En Hongrie, le Premier ministre, Viktor Orbán, disposait en 2011 de la majorité parlementaire pour modifier la «Loi Fondamentale», la constitution hongroise. En Pologne, son collègue autoritaire Jarosław Kaczyński, lui, n’a pas de majorité suffisante pour changer la Constitution. Ce qui ne l’empêche pas de modifier le système politique selon ses désirs.
Article publié le 18 juillet 2017 en anglais sur le site de la revue Visegrad Insight et en allemand sur Der Freitag. Traduite de l’anglais par Justine Salvestroni. |
Depuis que le parti conservateur Droit et Justice est arrivé au pouvoir, remportant la présidentielle et les législatives en 2015, il a considérablement étendu sa capacité à changer le pays en fonction de la vision illibérale de son chef, Jarosław Kaczyński. Officiellement, M. Kaczyński n’est qu’un député. En réalité, il est l’homme le plus influent de Pologne. La Première ministre, Beata Szydlo, et le Président, Andrzej Duda, lui doivent leur position et obéissent à ses ordres.
Kaczyński contrôle les pouvoirs législatif et exécutif mais craint qu’une justice forte et indépendante, en particulier le Tribunal Constitutionnel, ne vienne une fois encore contrecarrer les réformes qu’il souhaite mettre en place, comme ce fut le cas lors de la courte prise de pouvoir de Droit et Justice, de 2005 et 2007. C’est pourquoi l’offensive contre l’État de droit s’est ouverte avec un complet remaniement politique du Tribunal Constitutionnel, aujourd’hui contrôlé par des juges nommés par son parti. Ce changement, sans précédent dans l’histoire de la Pologne démocratique (depuis 1989), largement critiqué par les experts en droit, a provoqué de grandes manifestations populaires. C’est également pour cette raison que la Commission européenne a déclenché une procédure sur l’État de droit contre la Pologne.
Après avoir mis la main sur le Tribunal Constitutionnel, il semble être temps maintenant d’accroître le contrôle politique sur le reste du système judiciaire. Les trois nouvelles lois comprennent :
- des amendements déjà adoptés concernant le Conseil National de la Magistrature, une institution qui nomme les juges. D’après la nouvelle loi, tous les membres du Conseil sont révoqués, les nouveaux seront désignés par le Parlement ;
- des changements – également adoptés – concernant les juges : le ministre de la Justice a le pouvoir de remplacer ou sanctionner les président des tribunaux ;
- une loi actuellement débattue sur la Cour Suprême.
D’après ce texte, débattu en ce moment au Parlement, il devrait être mis fin au mandat des juges de la Cour Suprême. Ceux qui restent seraient personnellement choisis par le ministre de la Justice, qui est également Procureur général. Un tel système va profondément réduire l’équilibre et la séparation entre les différents pouvoirs. La plus haute cour sera alors à la merci d’un seul politicien, aux compétences très larges. À ce jour, cette personne est Zbigniew Ziobro, un proche allié de M. Kaczyński. Ce n’est pas seulement cette extraordinaire concentration de pouvoirs qui inquiète l’opinion publique et a provoqué une vague de manifestations, mais le fait que la Cour Suprême valide les résultats des élections. La prochaine élection présidentielle se tiendra en 2019.
Ces attaques planifiées et très controversées contre le système judiciaire sont pour partie officiellement justifiées par les sympathies personnelles et les convictions profondes de M. Kaczyński. Le chef du PiS affirme qu’après la transition démocratique, le système judiciaire n’a jamais été convenablement examiné, arguant que les élites judiciaires de la Troisième République sont ceux qui ont bénéficié ou travaillé pour le régime autoritaire d’avant 1989, ou leurs descendants (!). Au mépris des faits, il soutient visiblement une moralité tordue qui fait que les enfants sont responsables des actes de leurs parents. Il est intéressant de constater combien le sentiment anti-communiste de M. Kaczyński est sélectif et ne s’applique pas aux individus tels que le député PiS Stanisław Piotrowicz, procureur tristement célèbre de l’époque communiste.
En parlant de faits, et non d’opinions, tous les juges de la Cour Suprême ont été approuvés après 1989, et du fait des lois sur la lustration de 1996 – amendée en 2006 – tous les candidats ou juges en poste des tribunaux sont passés au crible afin de déterminer s’ils ont travaillé ou collaboré avec l’administration communiste. Puisque le temps passe inévitablement, ces lois ne s’appliquent pas aux fonctionnaires plus jeunes, dont la carrière a débuté après la transition démocratique. Un excellent exemple de ce changement générationnel dans la vie publique polonaise est le Président Andrzej Duda, un docteur en droit âgé de 45 ans.
Pourtant, d’après la logique de Kaczyński, la plupart des magistrats sont irréversiblement corrompus et compromis par défaut, ils doivent donc être remplacés par de nouvelles élites, choisies non pas au mérite, mais à leur allégeance à la vision de Kaczyński. Le PiS a notamment remporté les élections de 2015 en nourrissant ces sentiments populistes anti-élite et anti-communiste. Ce dernier ressentiment, 28 ans après le changement de régime, est encore très fort en Pologne, particulièrement parmi la génération née après 1989, résultat d’une décennie d’efforts du PiS en matière de propagande historique.
En outre, le parti de M. Kaczyński a su habilement tirer profit de l’insatisfaction à l’égard des magistrats, particulièrement répandue en Pologne. Alors que les spécialistes des questions de droit et de démocratie sont fiers des nombreuses réussites du système judiciaire au cours du dernier quart de siècle, l’expérience quotidienne des Polonais est plutôt négative. Les procédures interminables, les scandales liés à la corruption et l’arrogance supposée de ses membres en ont fait une cible privilégiée. Néanmoins, la valeur de l’État de droit et la reconnaissance envers la démocratie libérale n’ont pas disparu en une nuit, comme le rappelle la très récente mobilisation de la société civile dans de nombreuses villes de Pologne.
Quelles seront les conséquences de la réforme de la Cour Suprême pour la démocratie en Pologne ?
La Cour Suprême examine les contestations électorales, valide les élections législatives et présidentielles, ainsi que les référendums nationaux ou qui portent sur la constitution. De plus, il traite les plaintes des partis politiques qui se sont vus refuser des subventions. Le premier Président de la Cour Suprême est par défaut à la tête du Tribunal d’État, une institution qui a le pouvoir d’incriminer les responsables politiques qui violent la Constitution.
Alors que le Tribunal Constitutionnel est le gardien de nos valeurs et de nos droits inscrits dans la constitution, la Cour Suprême assure le bon fonctionnement des pouvoirs et contre-pouvoirs démocratiques ainsi que le pluralisme en politique et la concurrence entre les partis. Un remaniement politique des deux principales institutions de surveillance déséquilibre profondément le système polonais.