Le peintre tchèque Kupka s’envole sur le marché de l’art

Il y a 15 ans, ce pilier de la peinture moderne et précurseur de l’abstraction suscitait encore une certaine indifférence. Mais après plusieurs expositions, dont une « mégaexpo » au Grand Palais, la cote de Kupka n’en finit plus de monter, une tendance qui se confirme fortement depuis 2020 dans un contexte pourtant difficile. Le mois dernier chez Sotheby’s, un tableau de Kupka se vendait près de 9 millions d’euros, un record pour une œuvre tchèque.

Il n’est pas si loin, le temps où le Tchèque František Kupka (1871-1957) ne semblait incontournable que dans son pays d’origine. Et même si en France, son pays d’adoption, le Centre Pompidou et le Musée des Beaux-Arts de Rennes lui ont toujours réservé une place importante, le peintre était plutôt méconnu à l’international. En 2006, Le Monde s’étonnait que la cote de Kupka demeure modeste et que l’artiste « pourtant fasciné par la lumière [soit] resté dans une sorte de pénombre ». Le quotidien notait cependant un frémissement sur le marché de l’art, qui devient un bouillonnement quinze ans plus tard : Kupka vaut désormais des millions. Quelques expos sont passées par là.

La rétrospective František Kupka au Grand Palais en 2018. Au premier plan, Amorpha, Fugue en deux couleurs, 1912. (Crédit photo : Creative Commons)

En 1912, Kupka est le tout premier peintre à accrocher une toile abstraite, et même deux d’un seul coup au Salon des Indépendants à Paris : Amorpha, Fugue à deux couleurs (désormais Galerie Nationale à Prague) et Amorpha, Chromatique chaude (Musée Kampa, Prague). S’il est un artiste important de son époque, il reste longtemps dominé par ses contemporains Mondrian, Klee ou Kandinsky en termes d’appréciation et de monétisation. En 2003, Kupka figure au catalogue de l’exposition Aux Origines de l’abstraction, au musée d’Orsay, et c’est à cette époque que sa cote commence à grimper.

Des estimations pulvérisées

Non seulement la cote de Kupka augmente nettement dans les années 2010, mais elle s’emballe depuis la mégaexposition de 2018 au Grand Palais, présentée ensuite à Prague et Helsinki. Devenu un grand nom de la peinture, Kupka surprend les salles de vente. Si ses tableaux figuratifs demeurent sensiblement moins cotés que ses toiles abstraites, ils réalisent tout de même un bond spectaculaire. Ainsi, en décembre 2019 à Alençon, un pastel illustrant un conte traditionnel tchèque, Horymir, est estimé entre 12 000 et 15 000 euros. Il dépasse finalement 51 000 !

František Kupka, Le cheval blanc, la chapelle Sainte-Anne devant la mer, Trégastel, 1909.

Depuis 2020, dans un contexte économique morose, le marché de l’art a perdu 21% de chiffre d’affaires selon Artprice. Pourtant l’oeuvre de Kupka n’en finit pas de séduire les acheteurs. Le 15 mars dernier à Rennes, Le Cheval blanc, la chapelle Sainte-Anne devant la mer, Trégastel (1909) est vendu 630 000 euros, plus du double de l’estimation haute. On ignore encore qui l’a acquise, mais on sait que la toile avait été achetée en 1994 par un collectionneur privé pour l’équivalent de 6500 euros.

Pour acquérir un Kupka abstrait, le budget se compte en millions. Dès 2016, à Prague, un tableau de la Série C de 1935 devient l’oeuvre d’art tchèque la plus chère de l’histoire, à 2,3 millions d’euros – battue plusieurs fois depuis, notamment par La Dame de Pique (1926) de la peintre surréaliste Toyen alias Marie Čermínová. À la surprise des experts, Kupka reprend la tête des cotations pragoises fin 2020 avec Divertimento II (années 1930) qui approche des 3,5 millions d’euros.

La colorée, 1919-1920
Un peintre cher mais pas encore une star

C’est à Londres en 2021 que la cote de Kupka s’envole vraiment. Le 25 mars, le bien nommé Le Jaillissement II (1922-1923) est adjugé à 7,5 millions de livres (8,6 millions d’euros), soit le triple de l’estimation haute ! Pourtant, le prix ne choque pas les spécialistes et l’acheteur est d’ailleurs conseillé pendant la vente par une experte de Sotheby’s, Tessa Kostrzewa qui accompagne les enchères millionnaires de Kupka depuis dix ans.

Si les prix atteints par Kupka semblent importants et dépassent Klee ou Robert Delaunay, il convient tout de même de les relativiser face aux 50 millions de dollars atteints par Mondrian en 2015. De manière générale, si Kupka tient désormais une place importante parmi les grands peintres modernes européens, il reste très loin des méga-stars les plus cotées, dont certaines oeuvres dépassent les 300 millions, comme pour Cézanne ou De Kooning.

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