Révoqués par l’église de Moscou, cinq prêtres orthodoxes lituaniens sont pris sous l’aile du patriarche de Constantinople, après un arbitrage qualifié d’historique.
Le patriarche orthodoxe œcuménique Bartholomée – primus inter pares des chefs des Églises autocéphales orthodoxes – est en visite officielle pour deux jours en Lituanie, après avoir rendu une décision favorable à cinq prêtres orthodoxes lituaniens. Pour s’être opposés aux déclarations bellicistes du patriarche russe Cyrille, ils ont été radiés de l’ordre des prêtres. Cette visite marque le retour de l’église de Constantinople, plus de deux siècles après son éviction.
Depuis que les détenus ont quitté la prison de Lukiskes dans le cœur de Vilnius en juillet 2019, l’église située au premier étage a été transformée en salle de concert. Mais depuis le 19 mars, elle accueille de nouveau les fidèles du patriarche Bartholomée, et peu leur importe que les volutes d’encens s’accrochent aux spots lumineux au-dessus de l’autel. Dans l’assemblée, il y a Tatiana pour qui c’est « une grande joie. » Elle est venue spécialement de Kaunas à 100 km d’ici. Elle affirme ne plus avoir mis les pieds dans une église orthodoxe depuis 2014, date de l’annexion de la Crimée par la Russie. « Moralement, c’était très dur d’aller prier dans une église où l’on priait pour le patriarche Cyrille » chuchote-t-elle. Pour pratiquer, elle suivait alors la messe catholique ou chez les Uniates. On rencontre aussi Natalia, une Russe réfugiée en Lituanie depuis 2015. Cette liturgie est très importante pour elle, « car après l’invasion, quand l’église russe a supporté Poutine, a supporté la guerre, pour moi personnellement c’était très difficile de prier avec l’église russe ».

C’est pour la même raison que Vitalijus Daubaras et Gintaras Sungaila qui officient sont deux des cinq prêtres révoqués en 2022 : ils ont pris position contre l’agression russe en Ukraine. En 2014, après l’annexion de la Crimée, la situation se tend un peu. « Nous pensions tout d’abord que nous sommes en Lituanie et c’est ce qui paraissait le plus important, même si quelques fidèles partaient » se rappelle Gintaras Sungaila, qui a aussi des racines familiales en Ukraine. Mais « Depuis début février, toutes les lignes rouges ont été franchies, le patriarche Cyrille a commencé à justifier la guerre, à dire que les soldats verraient tous leurs péchés absous » explique-t-il.
Il y a un an, quelques semaines après le début de la guerre, la situation des 5 prêtres était beaucoup plus incertaine. Ils venaient d’être suspendus pour avoir pris position. Ils ont fini révoqués en juin, accusés de vouloir provoquer un « schisme » dans l’église au terme de leur procès. Il leur faut donc s’organiser pour vivre. Dans le courant de l’été, « ils ouvrent une cagnotte en ligne, créent une fondation dédiée à l’orthodoxie et obtiennent des fonds » raconte le prêtre Vladimir Seliavko. On peut même croiser l’un des prêtres au volant d’un VTC.
« Si nous étions en Russie ou en Biélorussie, nous serions déjà morts ou en prison ».
Vladimir Seliavko
Mais surtout, ils font appel de cette décision auprès de Bartholomée. Dans cette démarche, ils ont le soutien de l’État lituanien qui depuis le début de l’invasion russe en Ukraine dénonce l’agression et plaide pour une riposte sévère contre Moscou. Le 19 septembre, Mantas Adomenas, le vice-ministre des Affaires étrangères est reçu au Phanar, à la cathédrale Saint-Georges, résidence et siège du patriarche œcuménique à Istanbul. « La liberté de culte est l’une des libertés principales, inscrite dans la Constitution. Il est du devoir du gouvernement de le défendre » assure-t-il. Le culte orthodoxe est considéré comme l’une des neuf religions traditionnelles en Lituanie et dispose ainsi de certains droits, comme celui d’enseigner le catéchisme dans les écoles publiques. Mais comme le relève Mantas Adomenas, « les églises dépendant de Moscou, agissent comme un instrument de la propagande de Poutine ». Il est impensable de tolérer cela en Lituanie.
La décision du patriarche est rendue publique le 17 février dernier, le lendemain de la fête d’indépendance de la Lituanie. « Les raisons pour lesquelles les sanctions ont été imposées ne découlent pas du tout de critères ecclésiastiques, mais de l’opposition justifiée de ces ecclésiastiques à la guerre en Ukraine » lit-on dans le communiqué publié par le patriarcat œcuménique. Les décisions sont rendues au cas par cas explique Gintaras Sungaila. Il n’a pas connaissance d’autres cas comme le leur depuis le 24 février. Les 5 dissidents sont désormais les prêtres du patriarcat de Constantinople. Un « soulagement » pour tous, car comme le souligne Vladimir Seliavko, « si nous étions en Russie ou en Biélorussie, nous serions déjà morts ou en prison ».

L’arbitrage est qualifié d « historique » par tous, en partie car il marque le retour du patriarcat de Constantinople en Lituanie. Il en avait été chassé à la fin du 18e siècle, quand l’empire tsariste occupa le grand-duché de Lituanie et l’en évinça « à coups de pots-de-vin », explique Mantas Adomenas.
Après la visite du patriarche Bartholomée en Lituanie qui a rencontré les représentants des plus hautes instances de l’État, les questions juridiques pour la création d’une entité en Lituanie sont en cours de résolution. Le chemin ne sera pas aisé d’autant plus que le prêtre Gintaras Sungaila reconnait subir parfois des provocations de la part de la communauté pro-russe, quand « on nous prend en photo ou on nous envoie des messages suspects pouvant contenir des virus ».
Pour cette nouvelle communauté, tout reste encore à construire. Combien des 3 500 fidèles pratiquant les suivront ? Est-ce que d’autres prêtres les rejoindront ? L’église de Saint Michel les accueillera désormais le dimanche en attendant de trouver un nouveau lieu où l’on n’aura pas à poser les icônes sur de simples chaises. Comment faire aussi pour que cohabitent Lituaniens, opposants russes et les 40 000 réfugiés de guerre ukrainien présents en Lituanie ? Pour le moment, ils font avec les moyens du bord. A cinq, ils doivent se partager deux tenues liturgiques. Durant le culte, dans l’église de Saint Michel, le faiseur de miracle, pas un seul mot de russe n’est prononcé et lors des intentions, les prêtres souhaitent la victoire de l’Ukraine.
Quant à l’État lituanien, il espère toujours que le patriarche Cyrille se retrouvera bientôt sur la liste des sanctions européennes à l’encontre de la Russie.