« Le monde voit que quelque chose de l’Europe vit ici ». Au Bélarus, étudiants et enseignants entrent dans la danse

Avec la rentrée scolaire et universitaire, les étudiants bélarusses ont rejoint le mouvement de contestation contre le président Loukachenko. Malgré des interventions brutales et des arrestations jusque dans les couloirs de l’université de Minsk, le mouvement s’organise. Plusieurs professeurs ont témoigné publiquement de leur solidarité avec le mouvement.

La première semaine de septembre a vu l’arrivée de nouveaux acteurs sur la scène du mouvement de contestation qui secoue le Bélarus depuis des semaines : celle des étudiants de Minsk. Parmi eux, les étudiants de l’Université d’État de Minsk, à l’Institut des langues, ont manifesté leur opposition à la politique de répression du régime. Ils se sont rassemblés, ont organisé des réunions, mais surtout…ils ont chanté. Non sans une certaine maladresse, avec beaucoup d’improvisation et des talents plus que variables, les mélodies de  « Do You Hear The People Sing ? » ou des versions anglaises de La Marseillaise, ont retenti dans les couloirs des universités.

Les forces de l’ordre interviennent sur les campus

Les images de ces chorales improvisées ont vite fait le tour du net européen puis mondial. Ces images ont également été accompagnées d’une série de vidéos et de photos montrant, une fois de plus, la brutalité avec laquelle les protestataires sont traités. Alors que ces étudiants se rassemblaient pour échanger avec le doyen de la faculté, une trentaine d’hommes cagoulés ont fait irruption dans le bâtiment de l’Université de Minsk et ont arrêté cinq étudiants. Anastasia, qui étudie l’allemand à l’Institut des langues, n’en revient toujours pas. Même si elle connaît l’ampleur de la répression dans les rues, elle ne s’attendait pas à assister à de telles scènes dans l’enceinte même de son université. « Ils ont ouvert les portes à ces OMON qui se sont jetés sur nous. On ne faisait que discuter, chanter… », témoigne Anastasia.

La colère est palpable chez les étudiants avec qui nous avons pu entrer en contact. Colère contre les autorités, mais surtout contre les doyens et la rectrice, bien que cette dernière semble être pour beaucoup dans la libération récente de plusieurs étudiants. Dasha, une étudiante de français contactée par nos soins, nous confirme qu’elle avait vu les fourgons des forces de sécurité dans les environs du campus dès le petit matin. « Si les interventions des OMON sont même prévues dans nos emplois du temps, ça promet d’être une belle année… », lâche-t-elle.

« Je dois les aider. Cette université c’est mon Alma Mater. Ces étudiants, ça pourrait être mon neveu, ma petite sœur… »

Gleb, diplômé de l’université et coordinateur au sein du mouvement se dit révolté et choqué par ces interventions, mais relève que « le plus significatif c’est que personne n’est même venu demander aux étudiants ce qu’ils voulaient, s’ils avaient une pétition ou des réclamations ». Malgré l’émoi général, Gleb nous avoue sa satisfaction, pour ne pas dire sa joie, devant ce mouvement qui prend forme : « Alors que pendant des années, la vie universitaire était contrôlée par les structures d’État et des mouvements pro-gouvernementaux, toutes les associations étudiantes, du club de chimie à la troupe de théâtre, participent aujourd’hui à la mobilisation ».

Dans les rues, plusieurs étudiants ont également fait l’objet d’arrestations arbitraires. Avec une vingtaine de professeurs de l’université, Gleb organise le soutien à ces étudiants qui ont été interpelés, par exemple en récoltant de l’argent pour payer les frais de justice. Lorsqu’on lui demande pourquoi il s’implique autant d’entrain auprès des étudiants, alors que ses années sur les bancs de l’université sont derrière lui, il répond tout de go : « Je dois le faire, cette université c’est mon Alma Mater. Ces étudiants, ça pourrait être mon neveu, ma petite sœur… Et puis ils font face à des menaces de l’administration. Non seulement on peut leur faire rater leur année, mais aussi leur faire perdre leur place à l’université. Ce qui est synonyme de service militaire pour les garçons ».

Persévérance étudiante et solidarité des enseignants

En dépit des arrestations dont ont été victimes les étudiants, dans les universités comme dans les cortèges, ils entonnent à nouveau leurs chants de protestation. Samedi, ce sont plus de trente étudiants qui ont été arrêtés à Minsk, au motif de rassemblements illégaux. Le 7 septembre les doyens tentaient de dissuader leurs étudiants de prendre part à de nouvelles action, et dès le lendemain matin, ils chantent à nouveau, sortent des bâtiments pour former des chaînes humaines. Le net bélarusse a été inondé de ces photos d’étudiants vêtus de blanc et rouge, formant le drapeau bélarusse par leur disposition dans les auditoires.

Étudiants bélarusses, 8 septembre 2020. Source : Studentyby.

Face à l’intrusion des forces de l’ordre dans l’université et à l’arrestation de plusieurs étudiants, plusieurs enseignants ont fait barrage de leur corps, dans les couloirs comme aux abords des campus. Hier, plusieurs professeurs de l’Université de Minsk ont clairement pris position contre ces violences dans une vidéo diffusée par Tut.by :

Dans une déclaration qui ne manquant pas de dramaturgie, ces enseignants affirment sans ambage que « récemment, beaucoup de gens parlent d’un point de non-retour, un point après lequel une position neutre cesse d’être une position. Pour la plupart des citoyens de notre pays, cette frontière a été franchie dans les premiers jours qui ont suivi les élections. Ces jours-ci, nous avons été témoins d’une violence et d’une brutalité monstrueuses. Il ne s’agit plus seulement de politique, mais d’une confrontation entre le bien et le mal, l’humanité et l’inhumanité. »

« Nous, les enseignants de l’Université Linguistique d’état de Minsk, voulons dire à nos étudiants : nous vous respectons, nous sommes solidaires de vous et vivrons ces jours à vos côtés. »

S’ensuit la lecture d’une déclaration des plus fermes, témoignant aux étudiant du campus toute leur solidarité : « Nous, les enseignants de l’Université Linguistique d’état de Minsk, ne pouvons pas tolérer l’anarchie et l’indifférence. Aujourd’hui, nous voulons dire à nos étudiants: nous vous respectons, nous sommes solidaires de vous et vivrons ces jours à vos côtés. »

Les enseignants de l’université font face à des pressions multiples. Le 31 août, Sviatlana Volchak, professeur à l’Université d’État du Bélarus qui a participé à la création du comité de grève de l’université, a été condamné à quinze jours de détention administrative pour « participation à un événement de masse non autorisé ». Son mari Mikhail a écopé de la même peine.

Loin d’être découragé par ces mesures, Gleb nous dit que professeurs et étudiants n’en sont que plus galvanisés et confortés dans leur démarche non-violente. Alors que nous évoquons les récentes arrestations dont des étudiants qu’il connait ont été victimes, Gleb nous parle soudain de Maria Kalesnikova. Membre du présidium du Conseil de transition, formé depuis les élections bélarusses de l’été  2020, elle a été enlevée dans la journée de lundi, à Minsk, et conduite de force à la frontière bélarusso-ukrainienne, après diverses menaces interrogatoires. Refusant d’être exilée de force, elle n’a pas hésité à déchirer son passeport, empêchant ainsi tout franchissement de la frontière.

Le geste de Maria Kalesnikova est devenu depuis le symbole de la résolution du mouvement de contestation. Gleb nous en parle, et nous dit à quel point lui et ses proches ont trouvé cette posture et cette action impressionnante et inspirante. « Elle montre que nous sommes là et que nous resterons là, dans nos universités, dans les rues, dans notre pays. Elle le montre à Loukachenko et au monde. Maintenant les gens comme vous voient que nous ne sommes pas qu’un petit pays post-communiste. Le monde voit que quelque chose de l’Europe vit ici ».

Gwendal Piégais

Docteur en histoire

Université de Bretagne occidentale, spécialisé en histoire militaire, Première Guerre mondiale, Europe Centrale, Russie impériale et soviétique

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