Le magnat Křetínský veut échapper à l’impôt sur les superprofits en Tchéquie

Après l’annonce d’un impôt sur les superprofits en République tchèque, le baron du charbon et du gaz Daniel Křetínský réplique en déplaçant une partie de ses activités à l’étranger. Le milliardaire connu en France pour ses investissements dans les médias fait ainsi un pied de nez au gouvernement tchèque.

« Nous avions informé le gouvernement de la situation mais il a quand même décidé de ne pas exclure de l’impôt sur les superprofits les revenus provenant de l’étranger », a justifié par l’entremise de son porte-parole le milliardaire sa décision de déménager la branche de son empire s’occupant du commerce international de commodités. Selon lui, il est injuste que les profits du commerce international soient imposés au même titre que les profits sur les activités locales.

Cette décision suit l’adoption d’une nouvelle loi par les députés tchèques le 4 novembre, qui inclut un impôt de 60 % sur les superprofits pour les compagnies énergétiques et les banques à partir de 2023, et ce pour trois ans. Ces entreprises ont vu leurs profits exploser cette année grâce à la crise énergétique et l’empire de Daniel Křetínský, EPH, n’est pas en reste, affichant une hausse de ses profits de 60 % à 1,7 milliard d’euros pour la première moitié de 2022.

Le projet Eustream de l’entreprise EPH. @EPH (photo d’entreprise)

Le milliardaire a bâti sa fortune sur le charbon et l’importation de gaz russe bon marché vers l’Europe centrale et l’invasion à grande échelle de l’Ukraine est venu chahuter ses affaires en 2022. Křetínský détient en effet 49 % de la compagnie Eurostream dont l’actionnaire majoritaire est l’État slovaque, une « poule aux œufs d’or » pour le groupe EPH, selon une analyse de Deník Referendum. Cette année, le groupe a encaissé le coup de la baisse des volumes transportés de Russie, mais cela a été très largement compensé par les autres branches du groupe stockant et fournissant du gaz venant d’autres pays.

Les Pirates déçus

La décision d’EPH a été critiquée par certains membres du gouvernement, comme le ministre des Affaires étrangères, Jan Lipavský, qui a déclaré à la télévision tchèque CNN Prima News : « Je me serais attendu à ce que Daniel Křetínský sache se montrer solidaire dans certaines circonstances, lui qui vient demander l’aide de l’État dans d’autres. » Il faisait allusion aux demandes d’EPH d’un prêt étatique en septembre pour couvrir la hausse des cautions bancaires demandées aux fournisseurs pour commercer en bourse. EPH a par la suite annoncé ne pas avoir réussi à s’entendre avec l’État.

Lipavský (Parti pirate) voulait déjà appliquer l’impôt sur les profits de 2022 et la coalition gouvernementale s’est affrontée sur le sujet, mais son parti a été mis en minorité par ses partenaires de coalition. Un accord a été trouvé à la dernière minute et la loi a été adoptée par les députés, mais l’opposition a déploré un texte bâclé dont les retombées seront incertaines. Le gouvernement s’attend à récolter près de 3,5 milliards d’euros avec cet impôt en 2023, ce qui couvrirait la majeure partie des dépenses liées au plafonnement des prix de l’énergie.

Křetínský, un habitué de l’évitement fiscal

Selon le professeur d’économie de l’université Mendel de Brno, Lubor Lacina, cité par le site de la radio tchèque iRozhlas, il est peu probable qu’EPH réussisse à trouver un nouveau domicile beaucoup plus accueillant dans l’Union européenne pour ses opérations de commerce international de commodités. « L’impôt sur les profits exceptionnels sera appliqué dans tous les pays de l’UE, peut-être pas à 60 %, mais à un certain taux », explique-t-il. L’accord européen misant sur un taux minimal de 33 %, il se peut cependant que certains pays soient plus laxistes.

Par le passé, Křetínský et son groupe ont souvent été accusés d’évitement fiscal. Comme d’autres milliardaires tchèques, Křetínský a longtemps utilisé Chypre pour éviter l’impôt avant de relocaliser son groupe en 2015 vers un autre paradis fiscal européen, le Luxembourg. Un an plus tard, le milliardaire était parmi les près de trois cents Tchèques figurant sur la liste des ultra-riches évitant l’impôt au Panama lors du scandale des Panama Papers.

Selon Petr Janský, professeur associé à l’Institut de sciences économiques de l’université Charles (Prague), EPH est loin d’être la seule compagnie à recourir à ce genre de stratagèmes. Il remarque que près de 11 000 sociétés tchèques sont basées dans des paradis fiscaux, surtout au Luxembourg et aux Pays-Bas. Selon des estimations qu’il qualifie de « conservatrices », l’évitement fiscal coûte entre jusqu’à deux milliards d’euros au fisc tchèque chaque année.

Křetínský actif en France

Daniel Křetínský s’est fait connaître en France en 2018 en investissant dans les médias, devenant actionnaire minoritaire du quotidien Le Monde, et propriétaire de titres comme Elle et Marianne. En Tchéquie, il était déjà propriétaire de plusieurs tabloïds comme Blesk. Il a motivé son arrivée sur le marché des médias en France en invoquant un « engagement citoyen », arguant que « la vague de populisme et de nationalisme en Europe est partiellement due à l’affaiblissement économique des médias traditionnels. »

Un commentaire qui surprend, sachant que les médias tchèques du milliardaire comme le site Info.cz, diffusent régulièrement du contenu d’extrême-droite et populiste, ce qui n’avait pas manqué d’attirer l’attention des journalistes du Monde à l’arrivée du nouvel actionnaire. Du côté tchèque, les médias n’avaient pas non plus passé sous silence les accusations envers Křetínský, qui aurait fait changer la une de Marianne à la veille du deuxième tour des présidentielles françaises pour soutenir Emmanuel Macron.

En France comme ailleurs en Europe, le milliardaire a décidé de parier sur le maintien en vie des énergies fossiles, rachetant en 2018 deux sites de production de charbon, la centrale thermique de Provence (Bouches-du-Rhône) et la centrale Émile-Huchet (Moselle). En Allemagne, cette stratégie lui a permis de gagner gros, en rachetant à bas prix des centrales, les exploitant quelques années et puis en touchant des milliards de compensations pour les fermer. Selon le journaliste de Libération, Jérôme Lefilliâtre, qui lui a consacré un ouvrage d’enquête en 2020, Křetínský remet en cause les causes humaines du réchauffement climatique, une position qui se retrouve entre autres dans ses médias tchèques.

Le milliardaire a aussi acquis des parts dans la chaîne de commerce alimentaire Casino et dans le groupe Fnac Darty (électroniques, livres et autres). Son nom a été aussi évoqué en France lors de son achat récent du Château du Marais situé non loin de Paris, qu’il veut réaménager en hôtel de luxe. Selon le magazine Forbes, sa fortune est estimée à quelque 5 milliards d’euros.

Adrien Beauduin

Correspondant basé à Prague

Journaliste indépendant et doctorant en politique tchèque et polonaise à l'Université d'Europe centrale (Budapest/Vienne) et au Centre français de recherche en sciences sociales (Prague). Par le passé, il a étudié les sciences politiques et les affaires européennes à la School of Slavonic and East European Studies (Londres), à l'Université Charles (Prague) et au Collège d'Europe (Varsovie).

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