L’institut Ordo Iuris, une organisation catholique fondamentaliste, a inauguré vendredi à Varsovie une université privée censée former la future élite centre-européenne. Début des cours prévu pour octobre 2021, avec le gratin du milieu ultraconservateur.
Quelques juges polonais, une duchesse suédoise, le recteur de l’Université Corvinus de Budapest… Inauguré le 28 mai dernier, le Collegium Intermarium (CI) a déjà réussi à rassembler un important contingent de personnalités venant de la galaxie ultraconservatrice. Fondée par Ordo Iuris, une association ultra-catholique qui mène un intense lobbying contre le droit à l’avortement et contre ce qu’elle nomme « l’idéologie LGBT », cette nouvelle université privée basée à Varsovie prévoit d’ouvrir ses portes en octobre.
« Notre université se fonde ouvertement sur la révélation chrétienne et la culture chrétienne », explique le manifeste intitulé Une université libre d’Europe centrale. Au fondement de cette institution, « une culture commune, un respect du passé, et l’amour pour les accomplissements de la civilisation européenne, attaqués de toutes parts aujourd’hui. Nous chérissons la liberté, mais nous savons qu’elle n’est durable que si elle se fonde sur l’ordre. » Plus loin, l’institution prend aussi le temps d’avertir le public que « l’université s’engage à défendre activement ses étudiants et ses professeurs contre les attaques et les harcèlements qui limitent le débat académique, ou toute tentative de censure idéologique ».
L’État polonais n’est pas impliqué financièrement dans le projet. Visant l’autonomie financière d’ici 5 ans, l’université se finance pour l’instant à travers des dons, et principalement grâce au sponsor de PZW Inwestycje, une entreprise codétenu par Paweł Witaszek, un homme d’affaires très investi dans le financement des campagnes antiavortement.
Cela dit, elle a les faveurs du gouvernement du Droit et Justice (PiS). Le vice-premier ministre, Piotr Gliński, et le ministre de l’Éducation, Przemysław Czarnek, se sont rendus à l’inauguration le 28 mai dernier. Si la ministre de la Justice hongroise, Judit Varga, d’abord annoncée, ne s’y est pas rendue, Václav Klaus, l’ancien président de la République tchèque, était lui bien présent.

Le gratin des réseaux ultraconservateurs
La principale discipline enseignée sera le droit. À cette fin, CI va accueillir un certain nombre de juges polonais : Krzysztof Wiak, nommé par le Président Duda à la Cour Suprême en 2018, ancien membre du conseil scientifique d’Ordo Iuris ; Rafał Stasikowski, juge de la Cour suprême administrative, ainsi que deux autres juges venant de districts locaux.
Certains politiciens actifs seront également dans le corps enseignant, comme le vice-ministre des Finances polonais, Piotr Patkowski, ou encore Stephen Bartulica, un député croate ; on trouve d’autres personnalités comme l’américain Stephen Baskerville, récemment renvoyé du très catholique Patrick Henry College, après plusieurs déclarations homophobes (par exemple : « les activistes homosexuels ont joué un rôle dans la montée du nazisme ») ; Ingrid Frankopan, avocate et duchesse suédoise, ancienne conseillère de Jean-Paul II ; Ligia De Jesús Castaldi, professeure de droit à l’école de droit Ave Maria en Floride ; ou encore le Hongrois András Lanczi, recteur de l’Université Corvinus de Budapest.
Selon OKO.press, c’est surtout le fruit de plusieurs années d’activités de l’institut Ordo Iuris, qui a su se constituer un réseau à l’international, bien aidé par la défaite de Donald Trump, qui oblige une partie de ces réseaux à se rediriger vers l’Europe en quête de nouvelles opportunités.
« Contre la nouvelle dictature, nos racines sont notre force »
Le vice-président de l’institut Ordo Iuris, Tymoteusz Zych, a été désigné pour être le recteur de cette institution. À l’hebdomadaire conservateur hongrois Mandiner, il expliquait que ce « réveil conservateur » est « une nouvelle voix qui n’a rien à voir avec l’Open Society », l’ONG fondée et financée par le milliardaire américain d’origine hongroise George Soros, tête de Turc des nationaux-conservateurs dans la région.
Le Collegium Intermarium se veut d’ailleurs être le pendant de l’Université d’Europe centrale (CEU) fondée en 1991 par George Soros à Budapest – exilée à Vienne depuis 2019. En effet, dès sa fondation, la CEU affichait sa volonté de former l’élite de la région, alors que les régimes communistes venaient de tomber. « Il [M. Soros] a éduqué une génération tout entière d’intellectuels, de politiciens et d’avocats de gauche, dont par exemple le défenseur des droits Adam Bodnar », récemment poussé vers la sortie par le gouvernement du PiS. De la même manière, selon les mots des fondateurs, CI vise à forger l’élite régionale « pour former la politique, les lois et l’identité de l’Europe centrale ».
Lire : Les « Trois mers » : retour sur un concept historique connoté
Plus vaste que le concept d’Europe centrale, « l’intermarium » en question renvoie à cet espace déjà mobilisé au sein de l’Initiative des Trois mers : entre la mer Baltique au nord, la mer Adriatique au sud et la mer Noire à l’Est – un espace parfois labellisé « Europe médiane ». La Pologne se considère comme la puissance régionale et historique de cette région au travers du concept de Międzymorze (entre les mers), une idée qui ne fait pas l’unanimité en Europe centrale.
Image d’illustration : capture d’écran de la conférence d’inauguration officielle (source : https://www.youtube.com/watch?v=KUjY8KxweeI&t=1s)