Le Brexit a été le « coup de grâce », les Polonais rentrent chez eux

« Nous avons toujours investi nos économies en Pologne. Au fond de nous, nous savions que nous voulions vraiment rentrer », dit Magdalena Sperkowska qui, comme beaucoup de Polonais au cours des dernières années, a fait le choix du retour.

Cet article de Weronika Strzyżyńska a été publié en anglais le 6 octobre par Notes from Poland.

En 2006, Magdalena Sperkowska a quitté son emploi dans une banque et a abandonné ses études universitaires pour quitter la Pologne et travailler comme femme de ménage au Royaume-Uni. Après quelques années, elle a trouvé un emploi stable dans une usine de biberons, où elle a gravi les échelons jusqu’au bureau du directeur.

Mais en 2019, après plus d’une décennie d’emploi, elle a été licenciée, ainsi que le reste du personnel de l’usine. La société fermait ses activités au Royaume-Uni et déménageait aux Pays-Bas.

« Nous pensons tous que c’est à cause du Brexit », déclare Sperkowska depuis son nouvel appartement à Bydgoszcz, une ville du nord de la Pologne, « mais l’entreprise ne l’a jamais admis ».

Le Brexit, le « dernier coup de grâce »

En septembre 2020, Sperkowska, 38 ans, avec son partenaire Emil Białas, 40 ans, et leur fils Borys, 8 ans, ont rejoint le nombre grandissant d’immigrés polonais qui sont retournés vivre en Pologne après le référendum sur le Brexit de 2016.

Toutefois, elle prend soin de souligner que le Brexit n’a pas été la seule raison derrière sa décision. « Nous avons toujours investi nos économies en Pologne », dit-elle, « au fond de nous, nous savions que nous voulions vraiment rentrer ».

Magdalena Sperkowska et Emil Białas.

Le chômage a été en quelque sorte « la dernière goutte » qui a persuadé Sperkowska et son partenaire de vendre leur propriété dans un village du Suffolk et de réaliser leur rêve de faire construire une maison en Pologne.

Cette histoire est loin d’être un cas isolé. Quelque 70 % des personnes interrogées qui sont retournées en Pologne depuis 2015 ont déclaré que le Brexit n’avait pas joué de rôle dans leur décision, explique Olga Czeranowska, chercheuse à l’Université des sciences sociales et humaines de Varsovie qui mène actuellement une étude sur les Polonais et les Lituaniens rapatriés du Royaume-Uni.

Bien que les Polonais soient la deuxième plus grande population née à l’étranger présente au Royaume-Uni – selon des chiffres récents, ils représentent plus d’un million de demandes auprès du programme de règlement de l’UE – il ne fait aucun doute que beaucoup sont rentrés en Pologne au cours des cinq années écoulées depuis le référendum.

Les chiffres exacts restent flous, mais selon de nouvelles estimations démographiques de l’Office britannique des statistiques, la population immigrée polonaise dans le pays était en 2020 à son niveau le plus faible depuis sept ans, 738 000 contre 100 0200 million en 2017.

« Nous avons constaté que chaque personne avait un ensemble de raisons pour son retour », explique Czeranowska. « Personne ne fait un choix aussi important sur la base d’un seul problème, et il me semble que le Brexit joue plutôt un rôle quelque part en arrière-plan ».

« Cela a pu conduire certains à se sentir vulnérables par rapport à leur travail ou à renforcer le sentiment de ne pas être chez soi ou pas pleinement accepté par la société ».

« Après le référendum, nous avons rencontré, peut-être pas du racisme, mais certainement de la xénophobie », déclare Zula Rabikowska, une photographe qui a déménagé en Pologne il y a six mois après avoir vécu au Royaume-Uni depuis l’âge de 11 ans. « On nous a jeté des choses aux fenêtres. Ma mère s’est fait agresser par des adolescents dans le bus lorsqu’ils l’ont entendue parler polonais au téléphone ». […]

La vague actuelle de re-migration est bien visible dans la prolifération de groupes Facebook, de forums et de blogs consacrés au thème du retour en Pologne. Białas et Sperkowska eux-mêmes ont chacun leurs propres chaînes YouTube, Koszty Budowy et Vlog z Życia , qui documentent leur retour au pays.

Sperkowska dit que ses vidéos visent à montrer la « vérité » sur la vie en Pologne. « Beaucoup de gens ne savent pas s’ils doivent revenir », note-t-elle. « C’est un choix très difficile. On dit souvent que les choses ont changé en Angleterre. Que les prix ont augmenté ».

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Les liens familiaux

Sperkowska explique aussi que les liens familiaux ont été déterminants dans son choix du retour.

« Quand vous vivez en Angleterre et qu’il se passe quelque chose, vous réalisez que vous êtes tout simplement trop loin », dit-elle. Il y a trois ans, sa mère est décédée subitement. « Quand j’ai appris, j’étais choquée, je ne savais pas quoi faire, je ne pouvais même pas réserver mon billet », se souvient-elle. 

Maintenant qu’elle est de retour auprès des siens, elle regrette le temps qu’elle n’a pu passer avec sa mère. « Même si je suis revenue et que mon père est ici, ce qui est génial, maman me manque beaucoup », dit-elle. […]

Pour Sperkowska et son partenaire, leur fils était également un facteur de motivation important. « Borys ne connaissait pas ses cousins ​​et tantes », dit-elle, rappelant que lors des réunions de famille en Pologne, le garçon s’adressait aux membres de sa famille élargie par des titres officiels réservés aux étrangers.

Il en va de même pour Szymon Pyszny, 43 ans, un constructeur d’Aberdeen dont la fiancée et ses deux jeunes enfants ont récemment déménagé en Pologne. « Nous voulions que les enfants grandissent près de la famille, avec leurs grands-mères et leurs grands-pères », dit-il.

Des retours difficiles

De nombreux jeunes adultes polonais, qui ont déménagé au Royaume-Uni pendant la vague d’immigration européenne après 2004 se sont lassés du mode de vie précaire lié au statut d’immigrant et ont besoin du confort et de la stabilité de leur pays d’origine, dit Czeranowska, soulignant que les retours s’avèrent parfois compliqués et décevants.

« Pour ceux qui ont l’habitude de vivre à l’étranger, se confronter à la réalité polonaise peut être difficile », dit-elle. 30 % des participants à la recherche ont déclaré qu’ils souhaitaient émigrer à nouveau et 20 % ont déclaré qu’ils n’étaient pas certains de rester. Parmi ceux qui veulent émigrer, plus de la moitié veut retourner en Grande-Bretagne.

Pyszny a dû renoncer à l’espoir de s’installer définitivement en Pologne avec son partenaire et ses enfants car, malgré plus de 15 ans d’expérience en tant que constructeur, il n’avait aucune qualification formelle dans le métier. « Vous ne pouvez pas trouver de travail en Pologne sans les bons papiers, même si vous êtes compétent », dit-il.

Réalisant qu’il serait impossible de trouver un bon poste, il a trouvé un compromis avec son employeur en Écosse pour lui permettre de travailler à temps plein à Aberdeen pendant six mois et de passer le reste de l’année en Pologne avec sa famille.

« Même si je gagnerai moitié moins qu’avant, cela devrait nous suffire en Pologne », dit-il.

Białas, qui a travaillé comme boulanger en Pologne avant de se recycler dans la construction au Royaume-Uni, est également rebuté par la tendance des employeurs polonais à privilégier les qualifications formelles à l’expérience. Lui et son partenaire ont économisé pour leur retour. « Vous ne pouvez pas revenir sans argent », dit-il.

Le marché du travail n’est pas la seule difficulté pour eux. « La plainte la plus courante à propos de la vie en Pologne est en fait la qualité du service client », explique Czeranowska, expliquant que de nombreux rapatriés n’étaient pas satisfaits de ce qu’ils percevaient comme l’attitude grossière et déprimée des vendeurs.

« La mentalité en Pologne est différente », explique Sperkowska, qui, après son retour en Pologne, a commencé à travailler elle-même comme vendeuse. 

Elle a essayé d’introduire certaines façons de faire de la vente au détail qu’elle a acquises dans le Suffolk– en commençant par abandonner les titres officiels Pan (Monsieur) et Pani (Madame) – mais ses efforts sont suscité la méfiance.

Le déménagement n’a pas non plus été facile pour son fils Borys. « Il a du mal avec le polonais », dit Sperkowska. « Il ne parle pas couramment et n’arrive pas à faire des phrases complètes ». Ses amis d’école lui manquent et il reste en contact avec eux via des jeux en ligne.

Il n’est pas le seul anglophone dans sa nouvelle école. « Il y a un autre garçon dans sa classe qui vient également de rentrer du Royaume-Uni », dit Sperkowska. Deux des cousins ​​nés en Grande-Bretagne de Borys rejoindront également l’école en septembre. Les enfants ne se parlent qu’en anglais.

Attentes déconcertantes

Le profil de plus en plus cosmopolite des plus grandes villes du pays est attrayant pour les jeunes Polonais instruits. « Je pensais que Varsovie était un peu comme un géant Canary Wharf, mais c’est en fait très branché », dit Rabikowska, « et Cracovie est beaucoup plus internationale que je pensais ».

Depuis son installation à Cracovie, elle travaille sur de nouveaux projets, interrogeant l’identité polonaise et les expériences d’autres rapatriés. « Je continue de trouver beaucoup d’artistes vraiment formidables dont personne en dehors de la Pologne n’a peut-être entendu parler, mais qui font un travail vraiment passionnant », dit-elle. […]

Pour des raisons professionnelles, Rabikowska voit son avenir proche en Pologne, mais souligne que « rien n’est définitif ».

Pendant ce temps, Sperkowska et Białas sont déterminés à rester dans le pays pour toujours. Sur YouTube, Białas publie régulièrement les avancées du chantier de sa maison. Rien de tout cela n’aurait été possible si lui et son partenaire n’avaient pas travaillé au Royaume-Uni.

« Si nous n’étions pas allés en Angleterre, nous serions pauvres et vivrions à crédit », un avenir qu’il espère que son fils pourra éviter.

« Nous mettons déjà de l’argent sur un compte pour lui. Quand il sera grand, il aura des économies, il parlera anglais, il pourra vivre n’importe où. Eh bien… probablement pas en Angleterre, mais ailleurs ».

Crédit image principale : Mateusz Skwarczek / Agencja Gazeta