L’Autriche, ce pays qui préfère continuer à se passer de l’OTAN

Alors que la Suède et la Finlande sont en passe d’intégrer l’Alliance atlantique, la guerre en Ukraine n’a guère fait changer d’avis de la classe politique et la population en Autriche, très attachées à la neutralité du pays.

Lorsque les bombes russes ont commencé à tomber sur le sol ukrainien le 24 février, les centre-Européens se sont réveillés certes choqués, mais également rassurés de faire partie de l’alliance militaire formée par l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Tous, à une exception près : l’Autriche n’a jamais fait partie de l’OTAN, et n’a visiblement toujours pas l’intention de la rejoindre.

La guerre avait pourtant quelque peu ranimé le débat dans l’opinion publique, notamment à la faveur du retournement historique de la Suède et de la Finlande sur cette question. Les appels s’étaient multipliés pour réclamer un changement de politique et une adhésion à l’OTAN, pour en finir notamment avec la proximité parfois gênante de Vienne avec Moscou. Tout comme ses voisins hongrois, tchèques et slovaques, l’Autriche n’a pas d’accès à la mer et dépend très largement des livraisons de gaz et de pétrole russe.

Surtout, la période 2017-2019 a marqué les esprits par la proximité du gouvernement avec Vladimir Poutine. À l’époque, l’ÖVP, le parti conservateur, gouvernait en coalition avec le parti d’extrême droite FPÖ, ouvertement pro-Moscou et qui contrôlait le ministère des Affaires étrangères. La ministre Karin Kneissl avait défrayé la chronique en invitant Vladimir Poutine à son mariage et en dansant avec lui.

Le ministre des Affaires étrangères autrichien Alexander Schallenberg rend visite à des troupes autrichiennes stationnées à la frontières entre la Lituanie et le Bélarus à l’été 2021. Crédit photo : Österreichisches Außenministerium, CC BY 2.0.

Pour les partisans d’une ligne atlantiste, il s’agirait donc d’en finir une bonne fois pour toutes avec ce passé compromettant. Au mois de mai, une cinquantaine de personnalités autrichiennes ont même signé une lettre ouverte appelant à « une discussion sérieuse, d’ampleur nationale, portant sur la politique de défense et sécuritaire de l’Autriche ». Comparant la neutralité à un « un mythe supposément intouchable », ils dénoncent surtout une « interprétation en pratique très flexible » du non-alignement du pays.

« La neutralité nous a toujours bien servi, elle ne se discute pas »

Mais malgré un regain certain des discussions, le gouvernement actuel n’a pas longtemps tergiversé. « L’Autriche était neutre, est neutre et restera neutre à l’avenir. La neutralité nous a toujours bien servis, elle ne se discute pas » déclarait dans un tweet le Chancelier autrichien Karl Nehammer début mars.

Les partis d’opposition n’y trouvent pas grand-chose à y redire. Et pour cause, la grande majorité de la population reste attachée à la neutralité du pays. En mai, un sondage confirmait que seulement 17 % des Autrichiens désiraient rejoindre l’OTAN, tandis que plus de 70 % de la population considéraient la neutralité du pays comme étant « très importante ». Seule la jeune formation libérale NEOS soutient l’idée d’une adhésion à l’Alliance atlantique.

La neutralité inscrite dans la constitution

A l’inverse de la Suède et de la Finlande, le principe de neutralité de l’Autriche n’est pas seulement politique : il est aussi juridique, puisqu’il est inscrit dans la constitution. Il s’agit ni plus ni moins de l’un des fondements de la souveraineté du pays. En effet, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, l’Autriche, qui avait été intégrée dès 1938 à l’Allemagne nazie, est occupée et administrée jusqu’en 1955 par les vainqueurs, soient les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, mais aussi l’URSS. Pour Moscou, la neutralité perpétuelle de l’Autriche est alors une condition sine qua non pour qu’elle retrouve sa souveraineté.

« C’est ce concept de neutralité qui a permis aux Autrichiens de perpétuer le mythe selon lequel ils ne faisaient que vaquer à leurs occupations lorsqu’Hitler a soudainement envahi le pays. »

Katja Hoyer

Le 26 octobre 1955, le lendemain du départ des occupants, le parlement autrichien vote la loi constitutionnelle sur la « neutralité perpétuelle de l’Autriche », dans laquelle « l’Autriche déclare volontairement sa neutralité permanente » et « n’adhérera à l’avenir à aucune alliance militaire et ne permettra pas la création de bases militaires étrangères sur son territoire. »

Comme le souligne l’historienne Katja Hoyer, c’est le jour du vote de cette loi et non le départ des troupes alliées qui a été choisie comme fête nationale. « C’est ce concept de neutralité qui a permis aux Autrichiens de perpétuer le mythe selon lequel ils ne faisaient que vaquer à leurs occupations lorsqu’Hitler a soudainement envahi le pays. Par la suite, cette idée a légitimisé le processus de reconstruction […]. La remettre en question ou même la discuter soulève des questions extrêmement inconfortables sur la culpabilité, ébranlant les fondements mêmes sur lesquels le pays s’est reconstruit après la guerre », explique l’historienne dans les colonnes de Unherd.

Durant la guerre froide, l’Autriche use alors de son statut pour faire office de « pont » entre les deux blocs. De nombreuses organisations internationales s’installent à Vienne – l’ONU, l’OSCE, ou encore la puissante OPEP, l’organisation des pays exportateurs de pétrole – faisant, au passage, de la capitale autrichienne un véritable nid d’espions.

Un principe ouvert aux interprétations

Ce statut d’entremetteur a ses limites, l’Autriche s’étant largement alignée sur le bloc occidental. C’est d’autant plus vrai depuis son accession à l’Union européenne en 1995. Même si l’UE peine à s’imposer comme un acteur à part entière sur la scène internationale, cette appartenance entraîne un certain nombre d’obligations en matière de politique étrangère et sécuritaire. Vienne a notamment voté toutes les sanctions à l’encontre de la Russie, aux antipodes du comportement du gouvernement d’Orbán en Hongrie.

En même temps, Vienne conserve une certaine marge de manœuvre, permettant notamment au chancelier Karl Nehammer de se rendre à Moscou au mois d’avril pour rencontrer Vladimir Poutine – à ce jour, l’une des rares visites d’un dirigeant occidental au Kremlin.

En somme, si revenir sur la neutralité militaire n’est pas à l’ordre du jour, l’alignement politique de l’Autriche reste clair. « Il ne s’agit pas tant d’avoir un comportement neutre que d’une neutralité militaire » rappelle le politologue Heinz Gärtner au média Deutsche Welle. Le chercheur d’ajouter qu’il « serait bien plus intéressant d’assister à un débat sur la manière dont l’Autriche interprétera cette neutralité à l’avenir. »

×
You have free article(s) remaining. Subscribe for unlimited access.