Le 17 septembre dernier, Mateusz Morawiecki, était à Vilnius pour célébrer la création de « TVP Wilno », la chaîne de télévision de la minorité polonaise de Lituanie, propriété du groupe de médias publics polonais TVP. Cette initiative s’inscrit dans un contexte de réchauffement des relations avec Varsovie et de lutte contre le soft power russe dans la région. Analyse.
Varsovie, correspondance – Le 17 septembre dernier, tandis que le Président de la République Andrzej Duda commémorait à Varsovie les 80 ans de l’invasion de la Pologne par l’Union soviétique, son premier ministre, Mateusz Morawiecki, se trouvait à la Maison de la Culture polonaise de Vilnius, pour célébrer l’inauguration d’une chaîne lituanienne du groupe polonais de télévision publique TVP. Nommée TVP Wilno, la chaîne cible la minorité polonaise de Lituanie, forte d’environ 200 000 âmes (d’après le dernier recensement mené en 2011, soit 6% de la population totale), et composée pour l’essentiel des descendants des familles établies sur ces terres depuis des siècles, et dont la citoyenneté a varié en fonction de la redéfinition des frontières.
Si Marzena Paczuska, vice-présidente du groupe TVP, affirme en termes forts consensuels que la création de TVP Wilno vise à « promouvoir une image positive de la Pologne et à diffuser l’usage de la langue polonaise », il apparaît assez nettement que la chaîne vise aussi – et surtout ? – à rapprocher de Varsovie la communauté polonaise de Lituanie. Ceci en lui permettant de s’identifier aussi bien aux grands personnages de l’histoire qu’à la famille polonaise moyenne contemporaine, au moyen de la diffusion d’émissions historiques sur les Polonais « des confins » (dont certains ont durablement marqué l’histoire du pays, tels que Czesław Miłosz et Józef Piłsudski) et de productions polonaises à succès.
Dans cette entreprise, la communauté polonaise locale est loin de ne tenir qu’un rôle passif. L’une des caractéristiques majeures de TVP Wilno est qu’elle fonctionnera grâce à une équipe de journalistes locaux, basés dans la Maison de la Culture polonaise de Vilnius. Un détail important selon Jaroslav Narkevič (Jarosław Narkiewicz), ministre lituanien de la communication et membre du parti Action électorale des Polonais en Lituanie (Akcja Wyborcza Polaków na Litwie – AWPL), en ceci que cette chaîne permettra aux Lituaniens d’origine polonaise de « créer leur propre culture et de la diffuser [par leurs propres moyens] ».
L’intégration de la minorité polonaise de Lituanie au cœur des relations entre Varsovie et Vilnius
La question de l’intégration de la communauté polonaise dans la société lituanienne a périodiquement empoisonné les relations entre Varsovie et Vilnius depuis les années 1990. Échaudées par les discours séparatistes que ses représentants avaient tenus alors que la Lituanie accédait à l’indépendance, les autorités de la nouvelle république se sont longtemps méfiées de cette minorité à fort potentiel déstabilisateur, voyant en elle à la fois une potentielle cinquième colonne de l’Union soviétique puis de la Russie, ainsi qu’un outil d’ingérence de la Pologne dans ses affaires intérieures.
La Pologne, quant à elle, a régulièrement dénoncé les atteintes aux droits culturels des membres de cette minorité protégés par la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe, et en particulier l’interdiction de la graphie polonaise dans les documents d’état-civil, les difficultés d’accès à l’éducation, et l’absence de signes topographiques bilingues dans les zones de peuplement de la minorité polonaise (essentiellement les districts de Vilnius et de Šalčininkai).
Mateusz Morawiecki et le groupe TVP ont cette fois cherché à apaiser les choses, en inscrivant la création TVP Wilno dans un contexte de réchauffement des relations diplomatiques entre la Pologne et la Lituanie au cours des dernières années et qui semble gagner en intensité depuis l’élection de Gitanas Nausėda au poste de président de la république de Lituanie. L’évolution du climat géopolitique récent depuis l’annexion de la Crimée à la Russie a provoqué un alignement de planètes entre Varsovie et Vilnius, qui redoutent ensemble toute attitude hostile de Moscou à leur égard et partagent également des intérêts communs en matière d’approvisionnement énergétique.
En outre, la Pologne, qui se cherche des alliés à mesure que son isolement au sein de l’Union européenne s’accroît, a dû revoir ses priorités et ses rêves de grandeurs qui lui faisaient dire que la Lituanie a dans sa politique étrangère avec ses États voisins une importance proportionnelle à sa superficie – la plaçant au septième rang des sept États avec lesquels elle partage une frontière. Côté lituanien, on peut relever que la sensibilité pro-polonaise du nouveau gouvernement n’est pas sans lien avec l’entrée de l’AWPL dans la nouvelle coalition gouvernementale constituée durant l’été.
La minorité polonaise de Lituanie bénéficie de ce contexte général. De fait, la création de TVP Wilno fait suite à d’autres initiatives bilatérales de la même nature : par exemple, plus tôt cet année, la presse polonaise a accueilli avec satisfaction la décision des autorités lituaniennes d’autoriser l’utilisation des manuels scolaires publiés en Pologne dans les écoles polonaises du pays, afin de remplacer les anciens manuels qui étaient à la fois datés et de médiocre qualité.
Contrer le soft power russe
Opportune au sens où elle accompagne cette tendance au rapprochement, la création d’une chaîne de télévision polonaise en Lituanie répond également à un besoin. D’après le dernier rapport du Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe, l’offre en la matière est bien maigre, les Lituaniens d’origine polonaise ne pouvant compter que sur 30 minutes hebdomadaires de télévision et 15 minutes quotidiennes de radio en langue polonaise proposés par l’audiovisuel public, et sur deux radios privées.
En conséquence, le risque existe qu’une part croissante d’entre eux se tourne vers les médias russophones privés, et soit la cible de stratégies d’influence visant à entretenir le ressentiment des minorités contre l’État lituanien et à rallier ces dernières aux point de vue de Moscou. Ce qui ne manque d’inquiéter Vilnius, qui garde en mémoire les campagnes de désinformation qui avaient ciblé la communauté russophone d’Ukraine lors de l’annexion de la Crimée et de la guerre dans l’Est du pays, et suit d’un œil méfiant la trajectoire russophile de Valdemar Tomaševski (Waldemar Tomaszewski), président de l’AWPL.
Comme le rapporte le quotidien Rzeczpospolita, la volonté de contrer l’influence du Kremlin dans les pays baltes a figuré en bonne place parmi les raisons ayant poussé la Pologne et la Lituanie à s’entendre sur la création de TVP Wilno. En cohérence avec cet objectif, Varsovie a d’ores et déjà annoncé vouloir créer une chaîne similaire en Lettonie, pays où pourtant historiquement moins lié à la Pologne, et où, par conséquent, la communauté polonaise estimée en 2011 à 44000 individus ne constitue que 2% de la population, mais est pour moitié russophone.
TVP « au service de la vérité » ?
L’ironie de la situation ne passe pas inaperçu. Voir TVP s’ériger en avant-garde de la lutte contre la désinformation, alors que la télévision publique polonaise ne cache plus ses fonctions d’organe de propagande au service du pouvoir, a de quoi laisser perplexe. Le dernier World Press Freedom Index publié par Reporters sans frontières (RSF) ce mois-ci a en effet vu la Pologne rétrogradée au 58 rang sur 180 (soit une chute de 40 places comparé au classement publié trois ans plus tôt), réalisant ainsi sont plus mauvais score depuis 2006. Le rapport de RSF pointe en particulier la mainmise croissante du parti au pouvoir Droit et Justice (PiS) sur les médias publics. Ceci alors même que Jarosław Kaczyński, président dudit parti, dans un moment parfaitement orwellien, affirmer vouloir poursuivre la « pluralisation des médias » engagée depuis 2015 au nom du « droit du peuple à la vérité ».
Faut-il craindre que ce dévoiement du sens des mots frappe également TVP Wilno, au sujet de laquelle M. Morawiecki déclarait qu’elle s’attachera à montrer la vérité – « dans ses versions polonaises et lituaniennes, mais toute la vérité » ?
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