La suspension de la grève des enseignants suscite l’émoi en Pologne

Le ZNP a annoncé hier la « suspension » de la grève des enseignants en Pologne. Si cette décision a suscité une certaine incompréhension voire de la colère dans les rangs des enseignants grévistes, une éventuelle reprise du mouvement au mois de septembre pourrait donner du fil à retordre au parti PiS au pouvoir, alors que démarrera la campagne pour les élections législatives d’octobre.

La conférence de presse était tendue. Hier à 13 h 10, Sławomir Broniarz a annoncé que le conseil principal du Syndicat des enseignants polonais (ZNP) a  décidé de suspendre la grève au sein de l’éducation nationale à compter du samedi 27 avril, en concertation « avec les enseignants, les parents et les élèves ». « Elle est arrêtée mais pas terminée. Je dirai plus : à partir d’aujourd’hui, nous entrons dans une nouvelle étape, beaucoup plus importante », a déclaré le dirigeant syndical.

Le président du ZNP a cherché à se démarquer de son rival Solidarność – minoritaire  dans l’éducation nationale, qui avait signé un accord avec le gouvernement au début du mois d’avril. « Nous sommes à mi-chemin. C’est pourquoi aujourd’hui, nous ne signons pas ce que Solidarność a signé en nouant les négociations avec le gouvernement« , a averti Sławomir Broniarz.

« La vérité est que la grève pourrait être poursuivie. La vérité est que la grève durerait pendant le baccalauréat. Et vous ne pourriez pas, Monsieur le Premier ministre Morawiecki, résoudre ce problème », a également menacé le chef du ZNP, expliquant suspendre la grève pour garantir aux élèves « les conditions d’un déroulement serein » des examens de fin d’année.

Sławomir Broniarz a annoncé vouloir « donner du temps » au gouvernement Droit et justice (PiS) et attendre de sa part « des solutions précises » aux problèmes rencontrés dans l’éducation nationale, notamment en matière de conditions de travail et de salaires. Avec une croissance moyenne de 3,3 % par an depuis 2013, un taux de chômage passé de 10 à moins de 5 % sur la même période et une augmentation du salaire moyen de 17 %, l’économie polonaise semble bien se porter. Malgré cela, les enseignants et les infirmières émargent autour de 2 400 złotys (554 euros) quand le salaire minimum est de 2 000 złotys et le salaire moyen dans le secteur privé au-dessus de 4 000 złotys brut, y compris pour des postes soumis à des contraintes horaires moins lourdes. Une des revendications du ZNP était d’aboutir à une revalorisation salariale d’au moins 1 000 złotys.

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Émoi dans les rangs des grévistes

La décision du ZNP a suscité à la fois des messages de soutien et d’incompréhension, comme le relate notre partenaire OKO.press. Beaucoup de leurs lecteurs ont tout d’abord signifié leur gratitude à l’égard du mouvement social, inédit par son ampleur et les débats qu’il a suscités dans le pays. « Merci, professeurs », « C’est une sage décision » ou encore « vous avez été dignes », a-t-on pu lire dans certains commentaires.

Du côté de la page Facebook du syndicat, OKO.press a relevé des messages beaucoup plus négatifs, évoquant une « trahison » de la part de Sławomir Broniarz. « Honte! », « Embarras », « Tu t’es moqué de nous », « Je romps la relation » ont écrit des enseignants amers, annonçant prêts à poursuivre la grève sous la forme des fameuses dispenses de travail « L4 »« La décision du ZNP de suspendre la grève est décevante pour nous », a déclaré Adam Hornung du comité de grève de Varsovie (WMKS).

Cet émoi s’explique à la fois par la forte adversité du pouvoir politique contre lequel près de 600 000 enseignants ont du lutter depuis le 8 avril dernier, essuyant de nombreuses tentatives de discréditation et d’intimidation de la part des médias proches du PiS, mais également par la lourdeur de la machinerie du dialogue social en Pologne, particulièrement restrictif en matière de droit de grève. Conformément à la loi sur les conflits collectifs, l’organisation d’une grève doit ainsi suivre quatre étape : 1) la formulation de la demande, 2) le pronostic de suivi, 3) une phase de médiation, 4) et enfin l’organisation d’un référendum auquel plus de la moitié du corps concerné doit participer.

Une mauvaise nouvelle pour le pouvoir

Un report de la grève au mois de septembre pourrait pourtant sérieusement compliquer les choses pour le PiS au pouvoir. Comme le rappelle sur son compte Facebook Justyna Suchecka, journaliste à Gazeta Wyborcza, « le gouvernement n’a rien « gagné » ici non plus. Il est suspendu à la menace d’une reprise de la grève à partir de septembre, juste avant les élections législatives ».

Selon elle, la décision de Sławomir Broniarz arrive à pic, car le ZNP « aurait pu perdre une grande partie du soutien social acquis par les enseignants ». Justyna Suchecka salue un mouvement de grève « qui a réussi à déconstruire le mythe du « professeur pantouflard », à forcer à discuter des salaires réels et du fonctionnement de l’école ». « [Les enseignants mobilisés] ont également mis en lumière la  terrible approche du gouvernement en matière d’élaboration de la loi et de dialogue », a-t-elle également estimé.

Le mouvement social des enseignants a suscité un large élan de solidarité en Pologne : de nombreuses villes avaient décidé de compenser le manque à gagner des personnels par des dispositifs de prime ; un « fonds de grève » de plusieurs millions de złotys avait été créé et largement abondé par des centaines de milliers de dons, et de nombreuses manifestations de solidarité avaient été organisées à travers tout le pays.

(Illustration en une : Agata Kubis /OKO.press)
Ludovic Lepeltier-Kutasi

Journaliste, correspondant à Budapest. Ancien directeur de publication et membre de la rédaction du Courrier d'Europe centrale (2016-2020) et ancien directeur de la collection "L'Europe excentrée" (2018-2020).

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