La société civile se bouge face au « populisme tchèque à deux têtes »

Quelque peu groggy après les élections coup sur coup d’Andrej Babiš à la tête du gouvernement et de Miloš Zeman à la présidence, la société civile libérale tchèque s’est ressaisie et tente aujourd’hui de résister aux saillies du pouvoir contre les médias et la fonction publique.

La réélection de Miloš Zeman fin janvier à la présidence de la République au terme d’une campagne marquée par le populisme xénophobe et la désinformation a laissé des traces. D’autant plus après le triomphe du Mouvement des citoyens mécontents (ANO) de l’oligarque Andrej Babiš aux élections législatives d’octobre. Mais alors que l’opposition au gouvernement d’Andrej Babiš ne fait toujours pas entendre sa voix, la société civile est, elle, bien déterminée à combattre les forces anti-libérales qui prennent racines dans la région et le « populisme tchèque à deux têtes », selon l’expression du rédacteur en chef du journal libéral Hospodářské noviny, Petr Hanzejk.

La semaine dernière, des manifestations ont poussé à la démission un député communiste nommé à la tête d’une commission parlementaire en charge de la supervision des services de sécurité. Après avoir obtenu sa tête, plusieurs milliers de citoyens se sont rassemblés mercredi à Prague et dans diverses villes du pays sous le slogan de « Zeman! On ne donnera pas la Télévision Tchèque ! ». La foule s’en est aussi pris au Premier ministre Babiš et a scandé des slogans liés à l’opposition au régime communiste. Le lendemain, Zeman disaient des manifestants que ces « petits misérables lui faisaient pitié ». Ce jeudi, c’était au tour de milliers d’écoliers et d’étudiants de suivre les consignes des étudiants de la Faculté de théâtre de l’Académie des arts musicaux et de marquer une grève symbolique en plein après-midi. Le hashtag #VyjdiVen (SorsDehors) a réuni un mouvement plutôt hétéroclite et aux revendications fort diverses, mais ciblant essentiellement la défense de la constitution et des médias publics.

Pendant ce temps…Babiš gouverne

Bien qu’il ait échoué à recevoir la confiance du parlement lors de sa première tentative au mois de janvier, le Premier ministre Babiš, en poste depuis début décembre, et son gouvernement démissionnaire, conservent le soutien du président et ne se privent pas pour gouverner. Même en l’absence de coalition majoritaire, Babiš sait que certaines de ses attaques contre la démocratie libérale sont susceptibles de trouver le soutien de ses alliés officieux au parlement : l’extrême-gauche conservatrice (Parti communiste) et l’extrême-droite (SPD). Au menu, politiser la fonction publique et discipliner les médias publics.

M. Babiš s’est d’abord attaqué à la fonction publique en février, proposant une loi qui faciliterait le remplacement des fonctionnaires haut placés par des fidèles du pouvoir. Ce projet qui allait à l’encontre de l’esprit de la loi de 2015 – visant justement à réduire l’influence des politiques sur la fonction publique – a été abandonné fin février suite à une levée de boucliers. S’en est suivi une attaque contre Michal Murín, le chef de l’Inspection générale des services de sécurité, la police des polices, qui enquête sur des fuites d’information dans le scandale du « nid de cigogne », où Babiš figure parmi les principaux accusés. Malgré les menaces, il sera difficile pour Babiš de se débarrasser de Murín, auquel il n’a rien de concret à reprocher.

Les médias publics sont aussi mis sous pression du duo Zeman-Babiš. Il y a un an, Babiš avait été le plus agressif alors qu’explosait le scandale du Nid de cigone, accusant la télévision publique de mener une campagne de salissage contre lui. Aujourd’hui, c’est plutôt Zeman qui attaque la Télévision tchèque. Dans son discours d’inauguration le 8 mars dernier, le président a accusé directement la télévision publique d’être à la botte de l’opposition libérale, ce qui avait poussé les parlementaires libéraux à quitter la salle.

La question reste ouverte de savoir si la stratégie d’Andrej Babiš témoigne de son incapacité à trouver des compromis en vue d’une alliance ou s’il tente, à dessein, de polariser la société afin d’augmenter ses gains lors d’éventuelles élections anticipées. Alors que l’opposition parlementaire semble incapable de faire entendre une autre voix que celle du gouvernement – la droite libérale étant discréditée par son passé au pouvoir et les sociaux-démocrates se trouvant en pleine crise d’identité – la société civile résiste par ses propres moyens. Mais si Babiš réussit à former une coalition, ou si de nouvelles élections ont lieu, il faudra bien que ces opposants aient autre chose à offrir que des manifestations sentant la nostalgie de 1989 et trouvent un véritable débouché politique…

Photo : Michaela Danelová / český rozhlas 

Adrien Beauduin

Correspondant basé à Prague

Journaliste indépendant et doctorant en politique tchèque et polonaise à l'Université d'Europe centrale (Budapest/Vienne) et au Centre français de recherche en sciences sociales (Prague). Par le passé, il a étudié les sciences politiques et les affaires européennes à la School of Slavonic and East European Studies (Londres), à l'Université Charles (Prague) et au Collège d'Europe (Varsovie).

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