La Russie hors-jeu pour l’extension de la centrale nucléaire de Dukovany en Tchéquie

Contrecoup direct de la crise diplomatique entre Prague et Moscou, la Russie sera vraisemblablement exclue de l’appel d’offres portant sur la construction de nouveaux réacteurs sur le site de la centrale nucléaire de Dukovany en République tchèque.

Les tensions qui couvaient depuis de longs mois entre la Russie et la Tchéquie ont dégénéré en crise diplomatique ouverte après les accusations portées par Prague à l’encontre de Moscou. Samedi, le premier ministre Andrej Babis a accusé la Russie d’être responsable du sabotage de deux dépôts de munitions à la fin de l’année 2014, qui avaient provoqué de lourds dégâts matériels, causé la mort de deux personnes et affaibli le gouvernement d’alors.

« Sur la base de preuves claires rassemblées lors de l’enquête de nos services de renseignement, je dois constater qu’il existe des soupçons légitimes selon lesquelles des officiers de l’unité 29155 du service secret russe GRU ont été impliqué dans l’explosion d’entrepôts de munitions à Vrbětice en 2014 », a déclaré le premier ministre Andrej Babiš lors d’une conférence de presse d’urgence samedi soir. Il a annoncé dans la foulée l’expulsion de 18 diplomates russes et Moscou a répliqué à cette « provocation » derrière laquelle elle voit « les empreintes américaines » en expulsant à son tour une vingtaine de diplomates tchèques.

Bohuslav Sobotka, Premier ministre issu du Parti social-démocrate tchèque (ČSSD) de 2014 à 2017, donc au moment des explosions, a estimé dans une interview avec le média « Seznam Zprávy » que le sabotage présumé à Vrbětice « est sans aucun doute un acte de terrorisme d’État » de la part de la Russie. « Je dirais que depuis l’invasion de 1968, ce serait la plus grande attaque de la Russie sur les terres tchèques. C’est un moment historique et nous devons réagir », a-t-il aussi estimé. Selon l’interprétation de M. Sobotka, il s’agissait d’une « tentative de déstabilisation de la situation politique dans notre pays, parce que notre gouvernement ne convenait pas aux Russes ».

L’affaire est donc prise très au sérieux à Prague et les relations entre les deux pays devraient s’en trouver gravement endommagées, malgré le rapprochement à l’œuvre sous la pression de la présidence de la République. Conséquence principale d’ores et déjà envisagée : la participation de l’entreprise russe Rosatom à l’appel d’offres en vue de construire deux nouveaux réacteurs nucléaires à la centrale de Dukovany, situé dans le sud du pays proche de Brno, semble fortement compromise.

Dukovany, le serpent de mer de la vie politique

Ce projet nucléaire est un serpent de mer qui divise la vie politique tchèque sur une base éminemment géopolitique. Il s’agirait du plus gros investissement depuis des décennies et il lierait le vainqueur de l’appel d’offres à la Tchéquie pour plusieurs décennies à venir. Ce levier politique, les partis d’opposition, au premier rang desquels le Parti Pirate, qui dirige la mairie de Prague, refusent de le mettre dans les mains de la Russie.

En mars 2020, l’opérateur public ČEZ a déposé à la commission de la sûreté nucléaire une autorisation pour la construction de deux nouveaux réacteurs de 1200 Méga Watts sur le site de Dukovany qui dispose déjà de 4 réacteurs soviétiques de type VVER de 440 MW mis en service en 1985. Le gouvernement a proposé en juin 2020 un modèle de financement selon lequel l’Etat accorderait un prêt couvrant 70 % de la valeur approximative du projet (environ 5 milliards d’euros), les 30 % restants étant à la charge de ČEZ. Mais depuis, le gouvernement échoue systématiquement devant le parlement à faire aboutir et lancer son appel d’offres.

« On ne peut exclure totalement que les Russes reviennent dans la compétition ».

Dès dimanche, le ministre de l’Industrie, Karel Havlíček, notoirement favorable à une participation russe à la compétition, tout comme le président de la République Miloš Zeman, a dû concéder qu’une participation de Rosatom à l’agrandissement de la centrale de Dukovany semblait désormais difficilement concevable.

Il a été décidé depuis que le gouvernement n’inclura pas Rosatom dans son évaluation préliminaire concernant les clauses de sécurité. « ČEZ enverra un questionnaire de sécurité aux entreprises participantes d’ici le 30 avril », mais pas à Rosatom, a déclaré Karel Havlíček lors d’une conférence de presse après la réunion gouvernementale de lundi. M. Havlíček a souligné qu’il ne s’agit pas de l’appel d’offres proprement dit, mais d’une procédure internationale de laquelle découle l’appel d’offres, ce qui exclut de facto l’entreprise russe.

Les candidats disposeront de six mois pour répondre au questionnaire qui sera ensuite évaluée par le nouveau gouvernement. Restent en piste les entreprises de trois pays : la Corée du Sud, les États-Unis et la France. Le journaliste Jaroslav Spurný prévient toutefois dans l’hebdomadaire « Respekt » : « Si les partis et mouvements qui soutiennent toujours Rosatom par diverses astuces remportent de nouveau les élections [législatives, prévues cet automne – Ndlr.], on ne peut exclure totalement que les Russes reviennent dans la compétition sous une forme ou une autre ».

Image d’illustration : 60 Years 60 Pictures (51 03210568) » by IAEA Imagebank is licensed under CC BY-NC-ND 2.0

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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