Au Bélarus, dans l’ombre de la guerre russo-ukrainienne, la machine répressive continue de tourner à plein régime. Ces dernières semaines, les tribunaux contrôlés par le pouvoir prononcent des condamnations à tour de bras. Celle d’un représentant de la minorité polonaise a cependant fait réagir Varsovie.
Le plus retentissant des procès est celui qui touche la direction de la principale organisation de défense des droits humains, Viasna (‘printemps’ en bélarussien), qui est restée dans le pays jusqu’au bout pour défendre les prisonniers politiques. Son directeur, Ales Bialiatski, qui a déjà passé près de trois ans en prison en 2011-2014 pour une prétendue fraude fiscale, se retrouve à nouveau sur le banc des accusés. En 2022, le prix Nobel de la paix lui avait été décerné ainsi qu’à son organisation.
Cette fois-ci, Bialiatski fait face à des accusations de « contrebande » et de « financement d’actions collectives perturbant l’ordre public », tout comme son bras droit Valiantsine Stefanovitch et deux autres collègues. Le procureur a requis 12 et 11 ans pour les deux dirigeants de Viasna et 10 et 9 ans pour les deux autres, ainsi que des amendes exorbitantes de quelque 70 000 euros. Le verdict devrait tomber dans les prochains jours.
« Criminaliser l’aide aux victimes de la répression politique est immoral et inhumain », a proclamé Bialiatski en réponse aux accusations, qui considèrent comme une complicité avec les manifestants l’aide légale, matérielle et financière aux victimes des répressions ayant suivi l’élection présidentielle d’août 2020 entachée de nombreuses irrégularités. Les accusés se tiennent la tête haute durant leur procès et continuent de clamer leur innocence. Bialiatski a aussi protesté contre les refus de la cour de tenir les audiences en bélarussien.
Procès in abstentia pour Tsikhanoŭskaïa
Un second procès qui attire l’attention médiatique est celui de la présidente en exil Sviatlana Tsikhanoŭskaïa et de plusieurs des dirigeants de son Conseil de coordination, organe créé en août 2020 avec l’objectif d’organiser un transfert du pouvoir pacifique. Le procès s’est ouvert à Minsk le 17 janvier et Tsikhanoŭskaïa et quatre membres du Conseil sont accusés de tentative de coup d’État. Les cinq accusés se trouvent en sécurité à l’étranger, mais le pouvoir en profite pour en faire un spectacle.
La présidente en exil a réagi à ce procès ainsi qu’à tous ceux qui ont lieu avec les mots suivants : « C’est un spectacle, une farce, et cela n’a rien à voir avec la justice. Il s’agit d’une vengeance personnelle de Loukachenka et de ses sbires, pas seulement contre moi, mais aussi contre toute personne qui s’oppose à lui. » Des condamnations à de sévères peines sont aussi à prévoir dans ce procès.
Syndicalistes et ouvriers enfermés
En décembre et janvier, six dirigeants et activistes des syndicats indépendants ont reçu des peines de prisons pour avoir appelé à des mouvements de grève, ce que la justice bélarussienne a interprété comme à des « appels à porter atteinte à la sécurité nationale ». Le président, vice-président et un activiste du Syndicat bélarussien des travailleurs de la radio et de l’électronique ont reçu des peines de 9 et 8 ans. Pour les hommes âgés entre 65 et 72 ans, il s’agit presque d’une condamnation à finir sa vie derrière les barreaux.
Dix autres activistes du ‘Mouvement ouvrier’ qui voulaient entreprendre des actions de grève sont aussi jugés depuis novembre dans la région de Homel. Les neuf hommes et la femme risquent jusqu’à 15 ans de prison pour des accusations allant de la « calomnie » à la « trahison de l’État » et « l’appartenance à une organisation extrémiste ». Le régime bélarussien déclarant facilement toute organisation ou même chat Internet d’opposition comme extrémiste, cette accusation permet tous les excès.
Pour tout et pour rien
En tout, Viasna, qui continue à travailler depuis l’étranger, a recensé 50 condamnations pour motifs politiques en janvier et 55 en décembre. Dans la plupart des cas, les accusés ont écopé de peines de prison allant de quelques mois à 22 ans. D’autres ont été condamnés à une assignation à domicile ou encore à des amendes. Il va sans dire que les tribunaux bélarussiens n’innocentent quasiment jamais les accusés. Fin janvier, Viasna recensait 1 436 prisonniers politiques encore derrière les barreaux.
En février, des peines de prison particulièrement sévères ont été prononcées contre les ‘partisans du rail’, des citoyens qui tentent de freiner le mouvement des troupes russes engagées dans la guerre contre l’Ukraine depuis le territoire bélarussien. Le 10 février, Dzmitry Klimaŭ et Ouladzimir Aŭramtsaŭ ont chacun été condamnés à 22 ans de prison sur la base d’accusations de destruction de deux armoires à relais ferroviaires au début de l’invasion russe. Deux jours plus tôt, deux hommes ont été condamnés à 16 et 14 ans de prison pour avoir soi-disant planifié des attaques contre les déplacements de matériel militaire russe.
Parmi les nouveaux prisonniers politiques, certains n’ont fait qu’exprimer leur mécontentement sur les réseaux sociaux. Ainsi, un homme de 36 ans a été condamné à deux ans de prison pour dix-sept commentaires injurieux envers le pouvoir. Un autre a reçu un an et deux mois pour un commentaire injurieux envers la police. Signe que le régime veut aller jusqu’au bout, des citoyens sont constamment arrêtés et condamnés tout simplement pour avoir participé aux manifestations contre Loukachenka en 2020.
La Pologne réagit
Deux jours après la condamnation – lors d’un procès truqué – du représentant de la minorité polonaise Andrzej Poczobut, à huit ans de colonie pénitentiaire au Bélarus, Varsovie a appliqué une mesure de rétorsion. Et pas des moindres. Vendredi 10 février à midi, elle a suspendu « jusqu’à nouvel ordre » son passage frontalier de Bobrowniki dans l’est du pays, le plus emprunté entre les deux pays. L’agence de presse polonaise PAP rappelle que, l’an dernier, 1,2 millions de personnes avaient transité par ce passage en 2022.
La Pologne avait déjà fermé son passage frontalier de Kuźnica en novembre 2021, au pic de la crise migratoire à la frontière bélarussienne, en plus de deux autres passages fermés depuis la pandémie et les élections frauduleuses de 2020 au Bélarus. Il n’est désormais possible d’entrer ou de sortir sur cette section orientale de la Pologne que via Terespol pour les voitures et Koroszczyn / Kukuryki pour les camions.
La mesure avait été annoncée la veille sur Twitter, par le ministre de l’Intérieur Mariusz Kamiński évoquant « l’intérêt de la sécurité de l’État ». Les réseaux sociaux ont témoigné d’un passage frontalier vide côté polonais, de quoi faire réagir le Comité d’État (bélarussien) aux frontières. « La situation devient catastrophique, la saturation des deux derniers passages frontaliers va s’accroître de manière critique (…) la décision a été prise à dessein pour empirer la situation à la frontière » a-t-il déploré. Les routiers doivent maintenant attendre près de seize heures pour emprunter le dernier passage ouvert.
Interrogé par les médias le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki n’a pas hésité à laisser planer la menace d’une fermeture de nouveaux passages frontaliers. Et le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Łukasz Jasina, de surenchérir : « nous savons tous ce que fait le Bélarus et la politique agressive qu’il se permet d’appliquer envers notre État depuis un an et demi. Nous avons vu ce qui s’est passé mercredi. Je pense que nous avons été obligés d’agir pour des raisons de sécurité nationale ».
Les autorités polonaises s’apprêtent elles à élargir la liste de personnes sous sanction au Bélarus. « En accord avec la résolution du parlement (…) et la décision prise par le ministre de l’Intérieur, les personnes responsables de la condamnation et de l’emprisonnement d’Andrzej Poczobut seront placées sur une liste polonaise de sanction », a déclaré à PAP le Secrétaire d’État Piotr Wawrzyk, avant de conclure « nous appelons nos partenaires européens à inclure ces personnes sur la liste des sanctions de l’UE ».
Si l’objectif des autorités polonaises est d’isoler encore davantage le Bélarus vis-à-vis de l’Union européenne et d’affecter négativement ses relations commerciales, certains frontaliers polonais tirent déjà le signal d’alarme. À l’instar d’Ewelina Grygatowicz-Szumowska, propriétaire de l’agence douanière Terminus, qui, interrogée par le journaliste citoyen Piotr Czaban, a notamment rappelé que les firmes du Bélarus comme de Russie continueront d’ouvrir des entreprises polonaises pour contourner l’interdit.