« Il y a eu 1 millimètre de pluie hier mais pas une averse pendant trois semaines avant cela ». La Pologne et l’Europe centrale vont connaître, cette année encore, une sècheresse potentiellement dévastatrice pour l’agriculture et qui va aggraver la crise économique et sociale causée par l’épidémie de coronavirus.
Cet article de Wojciech Kość a été publié le 17 avril sur l’excellent site Notes from Poland sous le titre original Poland set for « one of the worst droughts in over a hundred years ». Traduction : Gwendal Piégais.
Maksymilian Zaręba attend la pluie.
C’est un jeune agriculteur qui possède 120 hectares de colza, de blé, de triticale, de seigle, de pois et de betterave, près de la ville de Pułtusk, à environ 60 kilomètres au nord de Varsovie.
« Il y a eu 1 millimètre de pluie hier, mais pas une averse pendant trois semaines avant cela », nous déclarait Zaręba il y a une semaine. « C’est très mauvais. » Sur les sols plus légers qu’il exploite, le colza commence déjà à dépérir, dit-il.
Les bulletins météo ne sont pas encourageants. Les prévisions sur 16 jours pour la région de Pułtusk par le service météorologique polonais de l’IMGW-PIB indiquent que des « pluies légères » pourraient survenir uniquement le 23 avril, puis à nouveau les 28 et 29 avril.
« C’est l’une des pires situations de l’histoire des mesures hydrologiques du pays, effectuées depuis plus de cent ans », a déclaré le porte-parole de l’IMGW-PIB à la chaîne TVN24. Sur 500 stations de mesure des rivières, 42 ont enregistré des niveaux inférieurs à la normale, contre 10 seulement l’année dernière.
Heureusement, les températures devraient osciller juste au-dessus de 10 degrés pendant la majeure partie du mois, épargnant au moins à Zaręba l’évaporation du peu d’humidité qui reste dans le sol.
La Pologne s’assèche et brûle : « Nous payons un prix de plus en plus élevé pour nos erreurs »
Changement climatique et mauvaise gestion de l’eau comme causes de la sécheresse
Zaręba n’est pas le seul à craindre que la Pologne ne devienne une terre de plus en plus sèche. À travers le pays, les agriculteurs contemplent le ciel pendant des semaines, ne trouvant que le même azur sans nuages d’où aucune pluie ne tombe.
La Pologne lutte depuis longtemps contre les sécheresses. L’année dernière, la plus chaude jamais enregistrée en Pologne, la Vistule a atteint son niveau d’eau le plus bas à Varsovie, tombant à 33 centimètres. Alors que le pays se réchauffe à cause du changement climatique, le problème s’amplifie et devient de plus en plus complexe.
La pluviométrie totale en Pologne est restée à un niveau similaire à celui des hivers longs et enneigées, et des périodes entrecoupant phases sèches et périodes humides, explique Sebastian Szklarek, écologiste à l’Académie polonaise des sciences (PAN).
« Les précipitations annuelles moyennes de 550 à 600 millimètres par mètre carré ont tendance à se concentrer sur des périodes plus courtes, ce qui rend plus difficile la rétention d’eau. La plupart des précipitations s’écoulent rapidement dans les rivières et s’en vont vers la mer », explique Szklarek.
Cette situation est aggravée par la mauvaise gestion de l’eau et des ressources qui pourraient la maintenir dans le sol.
« Après avoir tout vidé pendant des années, nous ne faisons qu’accélérer le ruissellement », explique Szymon Malinowski, physicien atmosphérique à l’Université de Varsovie.
« Les périodes froides sans enneigement empêchent la reconstitution des ressources en eau. De plus, nous supprimons les bosquets, les lisières, les friches et les boisements près des champs à des fins d’agriculture à grande échelle. Nous bétonnons et scellons de grandes surfaces dans les villes. Pas étonnant que de moins en moins de précipitations puissent nourrir la nature et l’agriculture », explique Malinowski.
Des données satellitaires, quotidiennement recueillies par l’IMGW-PIB et Wody Polskie gestionnaire d’État polonais des eaux du pays, mesurant l’humidité du sol ont récemment montré de vastes étendues de terres – en particulier dans le centre et l’ouest du pays – où l’humidité tombe en dessous de 5%.
C’est un vrai problème pour les agriculteurs comme Zaręba. Il dit que le sol sec entrave l’efficacité des engrais. En s’écartant un peu de ses terres, la situation n’est pas meilleure : les données indiquent que l’humidité ne dépasse pas 30% dans la majeure partie du pays.
En plus de rendements moindres, le dessèchement du sol augmente également les risques de déclenchements de feux de forêts. Bien que nous ne soyons qu’en avril.
La société d’État de gestion forestière a mis la totalité du couvert forestier sous alerte rouge à plusieurs occasions, c’est-à-dire qu’on est face à « un risque élevé d’incendie de forêt ».
Risque de hausse des prix de la nourriture et de l’énergie
Cette situation déjà préoccupante sur le long terme l’est encore plus cette année, car la sécheresse aggravera la crise économique et sociale causée par l’épidémie de COVID-19.
Outre une potentielle augmentation des prix des denrées alimentaires, les prix de l’électricité et de l’eau devraient également augmenter pour les consommateurs, qui ont déjà subi une des plus fortes inflation au cours des derniers mois.
La sécheresse aggravera la crise économique et sociale causée par l’épidémie de COVID-19.
« À plus long terme, il y aura de plus en plus de pénuries d’eau pour l’industrie électrique », explique Malinowski. « Et puis nous pouvons nous attendre à des problèmes pour répondre à la demande en eau dans les villes et les ménages. »
De telles pénuries se sont déjà produites en juin de l’année dernière, lorsque les autorités locales de Skierniewice, une ville d’environ 50 000 habitants du centre de la Pologne, ont imposé des limites à l’utilisation de l’eau pour les ménages après une hausse en flèche de la demande pendant une forte vague de chaleur.
Le secteur de l’énergie, dont plusieurs installations dépendent de l’eau de rivière pour refroidir leurs systèmes de production d’électricité, est également inquiet. Il a déjà été aux prises avec une crise de gestion de l’eau. En août 2015, le gestionnaire du réseau électrique polonais, PSE, a imposé des limites à la consommation d’énergie pour l’industrie après que les températures aient dépassé les 30 degrés, abaissant le niveau d’eau des rivières du pays.
À un moment critique, les services publics – ne pouvant plus refroidir les systèmes de production d’énergie – ont baissé la capacité de production mais ainsi ont presque éliminé les réserves nécessaires pour assurer le bon fonctionnement du système électrique.
Pour cette année, le scénario semble peu probable, car l’épidémie de coronavirus est plus que susceptible de mettre à l’arrêt l’économie et donc de réduire la consommation d’énergie. Mais le problème restera en grande partie non résolu sans un effort à l’échelle nationale pour empêcher l’eau de simplement ruisseler jusqu’à la Baltique.
« Nous devons retenir les précipitations aussi près que possible de l’endroit où elles tombent. Il nous faut construire de petits étangs de rétention, ‘encombrer’ les rivières pour ralentir le débit et restaurer les systèmes d’écoulement pour qu’ils ne se contentent pas de drainer, mais aussi de retenir l’eau », explique Szklarek.
« Le problème de l’évaporation et des précipitations s’aggravera si nous ne modifions pas la façon dont l’eau est gérée de manière à la conserver dans l’environnement. Sinon, il n’y aura plus d’eau pour nourrir les cultures et elles se tariront. Ensuite, les forêts vont commencer à brûler », ajoute Malinowski.
De retour dans sa ferme, Zaręba est lui aussi conscient de la nécessité de s’adapter. Une façon de réduire la consommation d’eau est la culture sans labour, qui, dit-il, devient une méthode de choix pour de plus en plus d’agriculteurs, même s’ils sont encore minoritaires.
« C’est compliqué parce que vous devez vous occuper de la rotation des cultures, ce qui est un problème en Pologne, où la majorité des cultures sont des céréales », a déclaré Zaręba, qui s’inquiète de plus en plus pour son colza. Il dit que l’agriculture sans labour ne peut résoudre tant de problèmes alors qu’il y a si peu de pluie.
« J’ai environ un mois pour décider si je veux me débarrasser du colza et planter du maïs à la place. C’est à peu près tout ce que je peux faire. »
En Pologne, la vague de chaleur donne un avant-goût de la crise de l’eau qui pointe