La Pologne s’assèche et brûle : « Nous payons un prix de plus en plus élevé pour nos erreurs »

La sécheresse en Pologne est si grave que les agriculteurs ont exigé l’annonce d’un état de catastrophe naturelle. Le centre du pays a également été exposé à de violentes tempêtes de sable durant les vacances de Pâques, mi-avril. Pour Szymon Malinowski, chercheur en physique atmosphérique à l’université de Varsovie, « il y aura de plus en plus de phénomènes similaires » à l’avenir.

Article de Robert Jurszo, publié le 27 avril 2019 sur le site de notre média partenaire en Pologne, OKO.Press, sous le titre « Polska wysycha i płonie. Prof. Malinowski: U nas może zdarzyć się to samo, co w Kalifornii w 2018 roku ». L’adaptation de l’article et sa traduction du polonais au français ont été réalisées par la rédaction.
L’Internet polonais a été inondé – ou plutôt recouvert – de photos de voitures essayant de s’extirper des tempêtes de sable qui ont traversé cette semaine la Pologne. Certaines personnes ont peur qu’un avenir climatique proche de celui du film Mad Max attende notre pays. Exagération ou prédiction ?

Les visions héritées du cinéma apocalyptique ne vont pas nécessairement se réaliser à cent pour cent. Mais le fait est qu’une partie de la Pologne s’assèche de plus en plus, comme le montrent des rapports gouvernementaux à ce sujet. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus de précipitations, mais c’est leur nature qui change : elles deviennent plus courtes et plus intenses. De cette façon, le sol n’absorbe pas l’eau de façon uniforme, ce qui pose un problème pour les végétaux qui ont besoin d’un sol humide en permanence.
C’est ce qui sous-tend le processus de désertification de certaines régions de notre pays, comme en Grande-Pologne.

Des choses très étranges se produisent avec le climat polonais. Nous avons eu un hiver très chaud, depuis la fin duquel il n’a presque pas plu. Des vents soufflant en rafales qui soulèvent des tempêtes de sable traversent la Pologne. La sécheresse crée des incendies de forêts. Et en outre, du sable est arrivé jusqu’à nous depuis le Sahara…

Il n’a rien d’extraordinaire en ce qui concerne ce dernier point, cela arrive même plusieurs fois par an. Toutefois, cette année, cela a coïncidé avec les tempêtes de poussière et les médias ont commencé à combiner, à tort, les deux phénomènes en un seul.

Cependant, les autres événements que vous avez mentionnés ont un dénominateur commun. C’est un changement climatique anthropique – c’est-à-dire lié à l’activité humaine – qui va s’amplifier.

Il y a une vingtaine d’années, la couverture de neige hivernale touchait la plus grande partie de la Pologne et tenait beaucoup plus longtemps qu’aujourd’hui. Les lacs gelaient et des embâcles se formaient sur les rivières. Au printemps, lorsque la glace des rivières fondait, on assistait à des crues, ce qui permettait d’alimenter profondément le sol. La fonte des neiges permettait aussi de conserver les réserves en eau dans le sol. Ces processus ont pratiquement aujourd’hui disparu car il ne neige pratiquement plus en hiver. Lorsqu’il y a des précipitations, c’est surtout de la pluie, pas de la neige. Et cela –ainsi que je l’ai mentionné plus tôt- dure trop peu de temps pour alimenter les sols en eau de manière suffisante.

Pourquoi est-ce arrivé ?

La différence de température entre l’équateur et les pôles diminue, car l’Arctique se réchauffe le plus rapidement, ce qui affecte la circulation de l’atmosphère en général et fait que les masses d’air humides en provenance de l’océan Atlantique passent de moins en moins souvent au dessus de la Pologne. Le vent souffle le plus souvent du Nord ou du Sud et cet air contient beaucoup moins d’humidité. S’il n’y a pas d’humidité, alors il n’y a aucune chance qu’il pleuve.

En Pologne, les précipitations sont désormais de plus en plus souvent ce qu’on appelle des pluies de convection. Elles ne sont pas le résultat de cette circulation atmosphérique à grande échelle dont je viens de parler, mais de mouvements locaux de masses d’air.

Cet air se réchauffe à partir du sol, s’élève jusqu’à une certaine hauteur et les petites quantités d’eau qu’il contient tombent sous forme de pluies violentes, mais dans un court intervalle de temps et sur un espace réduit. Dans cette situation, là où il pleut, l’eau ruisselle rapidement sans avoir le temps de pénétrer dans le sol, tandis que les zones environnantes restent sèches.

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Et d’où viennent ces tempêtes de sable qui ont recouvert la Pologne ?

Elles sont également associées aux masses d’air de convection. Un vent fort dans la haute atmosphère au-dessus de la Pologne est « délivré » près de la surface de la Terre par des courants descendants. De fortes rafales de vent soulèvent des particules de sable provenant de sols desséchés. Ce phénomène n’est certes pas inédit en Pologne. Mais cette fois-ci – justement du fait de la sécheresse -, il s’est exprimé à une échelle tellement grande qu’on a pu le voir même sur des photographies satellite.

Ces tempêtes ne constituent pas seulement une menace pour le trafic routier du fait qu’elles limitent la visibilité des conducteurs. Elles représentent un péril mortel pour l’agriculture car l’érosion éolienne concerne la partie meuble des sols, la plus fertile car c’est elle qui contient les débris organiques.

J’ai vu une de ces tempêtes de sable à mon retour de Pâques. Et je me suis dit que c’était un peu comme si la nature se vengeait de nous pour quelque chose. Pour notre politique de drainage.

Certes, la Pologne est drainée depuis plusieurs décennies. Mais maintenant que la nature et la structure de la pluie ont changé, le drainage s’est transformé en sécheresse.
En outre, les bosquets au milieu des champs et les arbres le long des routes sont de plus en plus fréquemment abattus, détruisant ainsi les barrières contre le vent, ce qui accentue l’érosion du sol par les rafales. Nous payons un prix de plus en plus élevé pour ces erreurs.

J’ai peur de demander : les sécheresses, les tempêtes de poussière et les incendies seront-ils avec nous pour toujours?

Malheureusement, il y aura de plus en plus de phénomènes similaires. Mes peurs portent particulièrement sur les forêts. La plupart d’entre elles sont constituées de populations d’arbres à vocation économie dans lesquelles le pin – qui est particulièrement inflammable – domine. La combinaison de conditions météorologiques similaires à celles que nous observons depuis plusieurs jours – sécheresse et vent fort -, pourrait provoquer en Pologne une répétition du scénario qu’ont connu la Suède et la Californie l’année dernière.

Rappel : en juillet 2018, en Californie, 1850 km2 de forêt brûlée, la ville de Paradise, qui comptait, 27 000 habitants est partie et plus de 70 personnes sont mortes. Quelque chose comme ça pourrait arriver aussi chez nous ?

Et pourquoi pas? S’il vous plaît, indiquez-moi au moins une raison valable pour laquelle une catastrophe similaire ne pourrait pas se produire en Pologne. Je ne dis pas que cela se produira très bientôt ou bien dans un avenir plus ou moins proche, mais la probabilité que ce soit le cas va augmenter. Je comprends que cela n’arrive pas encore à atteindre nos consciences et que nous ne réussissions pas à intégrer cette représentation, mais cela ne fait que montrer nos limites mentales. Nous serons peut-être douloureusement ramenés à la réalité.

Que pouvons-nous faire dans cette situation ? Vous direz sûrement qu’il faut arrêter au plus vite d’utiliser des combustibles fossiles. Mais c’est une recette générale, et en plus – avec les vents (politiques, cette fois) dominants actuels – pas très réelle. Il semble que pour au moins une partie des changements climatiques négatifs en Pologne, nous devons simplement nous adapter.

La décarbonisation de l’économie est un problème mondial, tout le monde doit le faire. Parce que l’abandon de l’extraction minière et de la combustion de minéraux par quelques pays seulement ne résoudra pas notre problème global.

En ce qui concerne l’adaptation, nous devons avant tout changer la façon dont nous concevons nos investissements en infrastructures – des bâtiments résidentiels aux installations de plomberie.

Et il faut également repenser les principes de l’aménagement du territoire en général, ainsi que réformer la gestion forestière. Nous devons nous adapter aux changements climatiques attendus dans une perspective de 30, 50 ou 100 ans, en fonction de la durée de vie prévue pour une infrastructure donnée.

Pouvons-nous le faire?

Avons-nous le choix ?

Robert Jurszo

Journaliste et publiciste

Membre de l’équipe éditoriale du mensuel La vie sauvage (Dzikie Życie). S’il n’est pas en train de lire ou d’écrire, il se trouve probablement quelque part dans la forêt. Il enseigne l’art de la survie. Pour OKO.press, il écrit sur l’écologie et sur la commission Smolensk.

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