Le gouvernement polonais a fait un grand pas en avant dans la lutte pour la cause animale. La nuit du 18 septembre, la Diète a voté une nouvelle loi comportant entre autres l’interdiction de l’élevage d’animaux pour leur fourrure. La coalition de la Droite unie, au pouvoir depuis 2015, se déchire à son sujet, au point qu’un gouvernement minoritaire et des élections anticipées sont, à l’heure actuelle, autant de scénarios envisageables.
« Le moment est venu où nous pouvons enfin traiter sérieusement la question de la protection des animaux. Cela fait longtemps que notre formation et moi-même croyons qu’un nouvel ordre juridique devrait être introduit en Pologne en la matière ». Ce mardi 8 septembre, au siège du parti Droit et Justice (PiS), rue Nowogrodzka à Varsovie, Jarosław Kaczyński en est convaincu : son projet de loi chéri sur l’élevage des animaux « sera sûrement soutenu par tous les gens bons en Pologne ». Car, selon le chef du parti ultraconservateur et homme fort du pays, « ce n’est pas là une question politique, c’est une question liée à l’humanitaire », à la « bonté et à l’honnêteté humaines ».
Ce que prévoit la nouvelle loi
La nouvelle loi prévoit une interdiction de l’élevage d’animaux à fourrure à des fins commerciales. Pour une raison mystérieuse, les lapins sont exemptés de cette réglementation. Actuellement, la Pologne est le troisième plus grand producteur de fourrure après la Chine et le Danemark. Un chamboulement est à prévoir, selon Otwarte Klatki, une organisation polonaise militante pour les droits des animaux, il y a environ 550 élevages en Pologne qui exploitent quelque 5,2 millions d’animaux.
Le deuxième changement concerne l’abattage rituel qui sera désormais autorisé seulement en cas de besoin des associations religieuses nationales. Les producteurs de viande ne pourront plus exporter leur viande kasher ou halal, ils seront cependant compensés financièrement. La Pologne est un grand exportateur de viande casher vers Israël et les communautés juives d’Europe, les pertes peuvent être lourdes pour le secteur.
Prenant le pas sur le Royaume-Uni, l’utilisation des boîtes rotatives dans les abattoirs, permettant d’immobiliser un animal pour le faire tourner à 180° afin de faciliter l’égorgement, sera également interdite.
Les ONG protégeant les animaux reconnus compétentes acquerront le droit d’aider et d’assister la police, les gardiens municipaux ou les vétérinaires à collecter les animaux menacés pour leur vie ou leur santé. De plus, la police sera obligée de se déplacer à leur demande, en cas d’urgence.
L’utilisation d’animaux dans les cirques et autres spectacles de divertissement seront bannis. Grâce à cet amendement, la Pologne rejoindra une courte liste de pays qui interdisent l’utilisation de tout animal de foire, aux côtés de la Bolivie, la Bosnie-Herzégovine, le Brésil, la Chine, Chypre, la Grèce et Malte.
Et pour les animaux exploités jusqu’à maintenant ? Si leur propriétaire ne veut pas ou ne peut pas les garder sous les coups de la loi, il devra les remettre à un refuge ou à un zoo, dans un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation.
L’origine du projet
C’est le Forum des jeunes du parti Droit et Justice (PiS) qui a présenté un projet d’amendement pour une loi sur les droits des animaux le 8 septembre dernier. Un projet immédiatement loué par l’éminence grise de la politique polonaise, Jarosław Kaczyński, le chef du parti au pouvoir. Celui-ci a surpris tout le monde, en se prononçant sur TikTok, lui qui n’est même pas présent sur les réseaux sociaux : « la Pologne doit introduire un nouvel ordre juridique concernant la protection des animaux » tout en ajoutant que «c’est une loi qui sera soutenu par les gens bons ».
Ceux surpris par cette prise de position si marquée de Kaczyński ont courte mémoire. Une première proposition de modification de la loi sur la protection animale avait été déposée il y a trois ans, en novembre 2017. À cette époque, il affirmait déjà : « c’est une question de cœur ». Il était apparu, pour l’occasion, dans une campagne de Viva!, une fondation pour la protection des animaux : « on parle très souvent des normes européennes, de l’européanisation de la Pologne. C’est une voie vers la vraie européanisation. En Europe, ces pratiques deviennent interdites et les entreprises sont délocalisées en Pologne. Cela devrait être irrecevable ». Mais malgré toute l’influence de Jarosław Kaczyński, et même si certaines dispositions avaient fait l’objet des vives discussions, les travaux sur le projet avaient été suspendus.
« La condition principale pour rester en alliance avec la gouverne de [Jarosław Kaczyński], c’est la soumission absolue à sa volonté. »
La coalition tangue
Cette fois, Jarosław Kaczyński ne compte pas reculer. L’ennui, c’est que ses ambitions animalières sont loin de faire l’affaire de tous, au sein du camp du gouvernement. Dans la nuit du 17 au 18 septembre, la « loi sur les animaux » été adoptée à majorité, grâce aux votes des adversaires du PiS, la Coalition civique et la Gauche. Mais au sein de la coalition Droite unie, pas moins de 38 députés du PiS ont bravé l’autorité du chef et voté à l’encontre du texte, poussant la coalition gouvernementale —formée des partis Solidarna Polska (« Pologne solidaire », ultra-droite populiste) et Porozumienie (« Alliance », centre droit) — au bord de l’éclatement. Une quinzaine d’entre eux ont depuis été suspendus du parti, sur les 235 sièges que le parti détenait jusqu’alors, la Diète polonaise en comprenant 460. Les représentants des deux autres partis de la coalition se sont soit abstenus, soit ont voté contre.
« À cette heure, toutes les options sont possibles, aussi bien celle d’un gouvernement minoritaire que des élections anticipées », a déclaré, peu après le vote, Piotr Müller, porte-parole du gouvernement. « Je pense que nos partenaires de coalition devraient commencer à vider leurs bureaux », s’est emporté pour sa part Marek Suski, figure influente au sein du PiS, rejoint par son collègue et chef du caucus parlementaire, Ryszard Terlecki qui a, lui, pesté contre « l’insubordination » de certains membres.
Les tensions sont tellement fortes que même le président Andrzej Duda a pris la parole, en déclarant : « Je demande la paix. […] La décision finale me reviendra. Je prendrai bien sûr en compte les questions du traitement de l’humain et du bien-être animal, qui sont toutes importantes, mais je garderai également à l’esprit le bien-être et la qualité de vie des agriculteurs polonais ».
Conséquences économiques
La veille du vote au parlement, éleveurs, agriculteurs et membres du parti Confédération (extrême droite) ont déferlé par milliers dans les rues de la capitale, accusant Jaroslaw Kaczyński d’avoir « trahi la campagne polonaise ». Ces changements se sont aussi heurtés à la vive opposition du Parti paysan polonais (PSL) et de Kukiz’15 qui forment une petite coalition depuis 2019. Le ministre de l’Agriculture, Jan Krzysztof Ardanowski, s’est lui-même prononcé contre la loi, mettant en garde le PiS contre la « détérioration de l’image du parti » aux yeux de son électorat, davantage rural.
L’Alliance polonaise des syndicats d’agriculteurs et des organisations agricoles a estimé, dans une lettre adressée à Jarosław Kaczyński : « L’introduction d’une interdiction d’élevage d’animaux à fourrure peut conduire à une situation où, pour des raisons idéologiques, il sera possible d’interdire toute production à l’avenir ».
Il est vrai que cette loi aura des conséquences économiques. La liquidation du marché de la fourrure en Pologne n’aura pas de conséquences dramatiques. Selon un rapport élaboré en 2018 par le Centre pour la recherche sociale et économique de l’Ouest, ces fermes n’assurent pas plus que 4 000 emplois et l’industrie n’est qu’un producteur de matière première, générant peu de valeur ajoutée. En revanche, l’Union polonaise des producteurs de viande prévient que la limitation de l’abattage rituel entrainera une baisse des prix qui affectera une quarantaine d’usines polonaises qui s’occupent de l’abattage rituel du bétail. La viande issue de ce type d’abattage représente 40% du total des exportations de bœuf polonais. Le marché alimentaire halal mondial est le marché ayant la croissance la plus rapide au monde.
Vers une porte de sortie ?
Dans la nuit du 21 au 22 septembre, Jaroslaw Kaczyński se serait toutefois engagé dans des tractations avec Zbigniew Ziobro, chef du parti Pologne solidaire et ministre de la Justice, à propos l’avenir de Droite unie. Soit quelques heures après que ce dernier ait joué les modérateurs, en conférence de presse, arguant « la nécessité de trouver un compromis, notamment en ce qui concerne la protection des animaux. »
En toile de fond, s’ajoute une autre pomme de discorde, celle d’une loi garantissant l’immunité des responsables politiques ayant contrevenu à la loi durant la pandémie, à laquelle s’était initialement opposée une partie des partenaires de coalition, dont M. Ziobro. Selon des informations obtenues par le site d’information Onet, mardi, le président du PiS aurait exigé de son interlocuteur, durant la rencontre, un soutien inconditionnel à ses deux législations-phares, sans quoi une exclusion du gouvernement de son parti Pologne solidaire s’ensuivrait.
À première vue, donc, Zbigniew Ziobro semblerait prêt à effectuer quelques concessions pour éviter de perdre la mise. « Mais est-ce suffisant ? », questionne le journaliste Piotr Cieśliński, dans le quotidien libéral Gazeta Wyborca. Et de rappeler que, « la condition principale pour rester en alliance avec la gouverne de [Jarosław Kaczyński], c’est la soumission absolue à sa volonté. »