Critiquées par l’Union européenne, les réformes de la justice mises en œuvre par le gouvernement polonais le sont aussi par le Conseil de l’Europe. Alors que les jugements de la Cour européenne des droits de l’Homme défavorables à Varsovie se multiplient, le gouvernement fait usage d’une méthode déjà utilisée contre Bruxelles – au risque de s’isoler davantage.
Deux mois seulement après avoir rendu un jugement controversé s’en prenant à l’un des fondements de l’ordre juridique de l’Union européenne (UE), le tribunal constitutionnel polonais fait à nouveau parler de lui en s’en prenant au Conseil de l’Europe.
Mercredi 24 novembre en milieu d’après-midi, la juridiction suprême s’est considérée non liée par l’article de la Convention européenne des droits de l’Homme (un traité du Conseil de l’Europe) protégeant le droit à un procès équitable.
Les effets pratiques d’une telle décision seront sans doute minimes, d’après Jakub Jaraczewski, coordinateur de recherche à Democracy Reporting International : « ce jugement ne concerne que les procédures individuelles devant le tribunal constitutionnel », or le nombre de saisines dudit tribunal a chuté à la suite de sa politisation, achevée en 2016, indique-t-il.
En revanche, il s’agit d’un acte symboliquement très fort, ajoute M. Jaraczewski : « c’est une attaque contre la Cour européenne des droits de l’Homme », et un signal clair que le gouvernement polonais sera prêt à défier toute juridiction internationale rendant des arrêts lui déplaisant.
Un acte politique
Car sous couvert de raisonnements juridiques pointus, c’est bien d’un acte politique qu’il s’agit. Quelques mois auparavant, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) avait déclaré qu’une partie des juges siégeant au tribunal constitutionnel avaient été nommée en vertu d’une procédure « entachée d’irrégularités ».
C’est en réaction à ce jugement que Zbigniew Ziobro, Procureur général et ministre de la Justice (et à ce titre principal artisan des réformes de la justice mises en œuvre par le gouvernement dès 2015), a saisi les juges constitutionnels afin de priver de fondement la compétence de la CEDH à examiner la régularité de la composition de leur propre tribunal…
Il s’agissait du premier arrêt de la Cour de Strasbourg portant sur lesdites réformes. Depuis, plusieurs autres arrêts ont été publiées et plusieurs dizaines d’affaires sont toujours pendantes, couvrant divers aspects de ces réformes (de la prise de contrôle du tribunal constitutionnel pour le premier arrêt mentionné, à la chambre disciplinaire de la Cour suprême, en passant par le Conseil de la magistrature, pièce essentielle de la capture du pouvoir judiciaire par l’autorité politique).
Par conséquent, cet acte de défi de Varsovie à l’égard de Strasbourg ne restera pas isolé. Une seconde requête, également déposée par M. Ziobro, vise à nier la compétence de la CEDH à examiner le contenu des réformes – et donc à « conférer un vernis juridique à la décision du gouvernement d’ignorer ses arrêts », souligne M. Jaraczewski. Soit la reproduction, pour le Conseil de l’Europe, du jugement du retentissant 7 octobre dernier privant d’effet les arrêts de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE)…
Risque d’escalade
L’arrêt du 24 novembre est « un mouvement très risqué pour la Pologne » estime M. Jaraczewski, qui redoute une escalade du conflit avec l’Union européenne (UE). « La Commission et la CJUE tiennent en haute estime la CEDH, et intégreront ce nouvel arrêt dans leur analyse de la situation de l’Etat de droit en Pologne ».
Cet arrêt arrive donc au mauvais moment, alors que Bruxelles n’a toujours pas validé le plan de relance post-Covid de Varsovie, du fait du conflit qui les oppose sur l’Etat de droit. Il apparaît par conséquent que les coûts à moyen terme de cet arrêt l’emportent sur les gains immédiats.
S’il conforte le récit gouvernemental d’une Pologne souveraine qui « se relève », et qui défie les pouvoirs supranationaux cherchant à lui imposer ses règles, il risque de renvoyer le pays à son isolement diplomatique, que la crise migratoire qu’elle traverse actuellement lui avait permis de rompre temporairement.