La politique continue dans une Tchéquie claquemurée contre la pandémie

Jour après jour, les mesures se durcissent dans la lutte contre le coronavirus en Tchéquie, où près de 300 cas de personnes infectées ont été détectés. Annonce de l’état d’urgence, fermeture des frontières et des magasins ; le premier ministre Andrej Babiš n’hésite pas à utiliser les grands moyens, mais sa gestion de la crise n’en est pas moins fortement critiquée.

« À partir de minuit le 16 mars jusqu’à 6 heures le 24 mars, le gouvernement interdit la libre circulation sur le territoire de la République tchèque », a énoncé gravement le chef du gouvernement Andrej Babiš dimanche soir à 23h, après 7 heures de négociations du cabinet. Les citoyens doivent rester autant que possible à leur domicile, limitant leurs déplacements aux aller-retours entre la maison et le travail, en plus de l’épicerie, la pharmacie et les résidences de leurs proches. Plus tôt, Babiš répétait que le pays « devait maintenir l’économie, la production, il faut produire ».

Le ministre de l’Intérieur, Jan Hamáček, a souligné que la police ne harcèlerait pas les gens, mais il a averti : « Si les gens ne respectent pas les mesures, ce qu’ils risquent, c’est d’infecter quelqu’un et que cette personne meurt et ils devront le regretter toute leur vie. C’est la pire chose qu’ils risquent ». « Si les gens ne respectent pas ces ordres, nous allons tomber dedans comme l’Italie », a-t-il averti. Pour le moment, le nombre de personnes infectées est de 300 et aucun décès n’a encore eu lieu, mais les tests révèlent de plus en plus de cas. Ce matin, une vingtaine de municipalités de la région d’Olomouc étaient complètement isolées du reste du pays après une explosion des infections.

Babiš exposé

Après avoir tout d’abord minimisé l’importance de l’épidémie et exclu toute restriction extraordinaire de la vie courante, le gouvernement tchèque a pris une série de mesures musclées la semaine dernière. Mardi, alors que le nombre de personnes infectées bondissait à 63, le gouvernement a interdit tout rassemblement ou événement pour plus de 100 personnes. S’ensuivit alors une série d’interdictions : état d’urgence jeudi, fermeture des restaurants et de la plupart magasins à partir de samedi matin, fermeture des frontières pour les non-résidents à partir de lundi.

Depuis le début de l’urgence sanitaire, le premier ministre s’est placé en tête des efforts gouvernementaux pour endiguer l’épidémie. Malgré une plus grande réactivité que dans d’autres pays européens où les mesures tardives ont mené à une explosion du nombre d’infectés, comme en Grande-Bretagne et en Espagne, les efforts tchèques ont aussi été critiqués et le style du premier ministre ne l’aide pas. Entre autres, le gouvernement a traîné avant d’introduire l’état d’urgence, qui aurait aidé à se procurer du matériel sans passer par les appels d’offres et aurait pu éviter la pénurie de masques et respirateurs dans le pays.

Niant systématiquement tout problème et attaquant volontiers les journalistes, Babiš se retrouve régulièrement pris en défaut par la situation. Ainsi, interrogé par la presse samedi sur les messages alarmants de médecins, travailleurs de la santé et autres employés des services publics disant manquer de masques et respirateurs, Babiš niait avec véhémence : « Ce n’est pas vrai, a-t-il clamé, dites-moi où et je les apporte personnellement aujourd’hui ! ». Plus tard dans la même journée, il a cependant concédé avoir exagéré après que son ministre de la Santé a déclaré qu’il manque à l’État jusqu’à un million de respirateurs et des millions de masques. Finalement, dimanche, le gouvernement n’a autorisé l’entrée à sa conférence de presse qu’aux médias publics et aux bienveillantes télévisions privées, sous prétexte de risque de contamination.

Jeux politiques

Samedi soir, le mouvement ‘Un million d’instants pour la démocratie’ lâchait une bombe sur les médias sociaux en révélant que le gouvernement se préparait à passer en douce, ce lundi, une loi avantageant l’empire agro-alimentaire d’Andrej Babiš. Avec document à l’appui, le mouvement dénonce les plans du gouvernement d’accorder une exception aux fonds fiduciaires dans une nouvelle loi censée révéler les bénéficiaires effectifs des compagnies pour éviter les conflits d’intérêts. Cela profiterait justement au premier ministre, qui a placé son empire agro-alimentaire dans ce genre de fonds et qui est accusé par l’opposition et par les organes européens de favoriser son empire, massivement soutenu par des subventions européennes et nationales.

Dimanche, Babiš a semblé quelque peu prêt à délaisser son rôle de capitaine et a enfin accédé aux appels de l’opposition de convoquer le Conseil de crise sanitaire, tel que prévu par les plans de lutte contre les épidémies. Il a cependant eu la prudence ne pas nommer à sa tête le ministre de l’Intérieur, tel que prévu par les règles. En effet, ne voulant pas laisser ce rôle de premier plan à son ministre Jan Hamáček, chef de ses partenaires de coalition sociaux-démocrates (ČSSD), il lui a préféré le vice-ministre de la Santé. Rusé, Babiš a plutôt confié à Hamáček le dossier chaud des masques et respirateurs manquants. Au temps du coronavirus, la politique continue ! Quant aux citoyens, dimanche encore, ils profitaient du soleil printanier pour se retrouver dans les parcs et les rues…

Adrien Beauduin

Correspondant basé à Prague

Journaliste indépendant et doctorant en politique tchèque et polonaise à l'Université d'Europe centrale (Budapest/Vienne) et au Centre français de recherche en sciences sociales (Prague). Par le passé, il a étudié les sciences politiques et les affaires européennes à la School of Slavonic and East European Studies (Londres), à l'Université Charles (Prague) et au Collège d'Europe (Varsovie).

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