Chez Tesco, « la plus importante grève en Hongrie depuis 1991 »

Au début du mois de septembre, des employés de l’entreprise multinationale Tesco ont mené la plus grande grève dans le secteur privé depuis la chute du communisme en Hongrie. Les pourparlers avec la direction sont toujours en cours pour obtenir une augmentation salariale et le recrutement de personnel. Le politologue Ambrus Kiss revient sur ce petit événement historique et plus largement sur les questions salariales et syndicales en Hongrie.

Ambrus Kiss, politologue chez Policy Agenda et membre du think tank Új Egyenlőség (nouvelle égalité).
Pouvez-vous revenir sur la grève chez Tesco qui a eu lieu le week-end du 9 et 10 septembre dernier et plus généralement des dernières grèves survenues en Hongrie et en Europe Centrale, comme par exemple celle de Volkswagen en Slovaquie en juin dernier ?

Il faut tout d’abord rappeler que la grève chez Tesco est la plus importante depuis la révolution des années 90 et pour moi, la cause principale n’est pas la demande d’augmentation des salaires – même si c’est important – mais essentiellement le manque de main d’oeuvre.

En effet, si on regarde maintenant à une plus grande échelle il y a eu une émigration massive des hongrois mais plus généralement des européens de l’est vers l’ouest (la Grande Bretagne, l’Allemagne, la France ou encore l’Autriche …etc) ces dix dernières années qui entraîne maintenant une pénurie de travailleurs au niveau national. Les données montrent que depuis 3 ans, plus de 200 000 Hongrois ont quitté leurs pays. De plus, des quatre pays du groupe de Visegrád, la Hongrie s’en sort assez mal économiquement puisqu’elle a le niveau de salaire le plus bas.

Pensez vous que l’on peut s’attendre à de nouvelles grèves ?

Tout dépendra du résultat des négociations entre Tesco et ses employés. S’ils arrivent à obtenir gain de cause, alors d’autres entreprises de la grande distribution pourraient être touchées. Mais ces mouvements sont aussi susceptibles de s’étendre à d’autres secteurs comme l’automobile ou l’électronique, puisque c’est dans ces secteurs que les syndicats sont les plus forts.

Revenons à la question salariale, peut-on espérer une amélioration pour les hongrois qui ont actuellement un des revenus minimums les plus bas d’Europe et qui continuent à souffrir de terribles écarts avec les pays d’Europe de l’Ouest ou du nord ?

Le salaire minimum a augmenté d’environ 10% depuis le début de l’année et je pense qu’il continuera à progresser l’année prochaine, pour atteindre à terme celui des autres pays de Visegrád. Cela viendra du secteur privé puis passera dans le public, et c’est pour cela que le dénouement de l’affaire Tesco est primordial. C’est seulement après une augmentation des salaires dans les entreprises privées que le gouvernement hongrois devra aligner les salaires dans le public et enfin le salaire minimum. Cela ne ramènera surement pas les travailleurs partis à l’Ouest pour autant…

« L’écart salarial est-ouest dans l’UE est profondément choquant »

Les syndicats ont du mal à se faire entendre par le gouvernement mais aussi par la presse. La grève de Tesco a par exemple reçue bien peu d’écho dans les journaux. Comment peut-on expliquer cela ?

Cela vient tout d’abord de l’attitude des travailleurs hongrois eux-mêmes. Ici, il n’y a pas de traditions de descendre dans la rue et donc de soutenir les causes des syndicalistes. Entre autre à cause du traumatisme laissé par la période communiste. La plupart du temps, les gens s’adressent au gouvernement pour réclamer des augmentations de salaires ou des baisses d’impôts, mais ils ne donnent pas de suite à leurs revendications. Les manifestations se déroulent essentiellement sur Facebook.

De plus, les travailleurs ne sont pas solidaires des actions qui sont menées dans les autres entreprises ou dans les autres secteurs et donc la presse ne s’empare tout le temps de ses sujets, puisqu’ils ne mobilisent pas. Par exemple, la grève des instituteurs l’année dernière n’avait pas marché parce qu’elle n’avait mobilisé que 10% des écoles et qu’elle ne trouvait pas de soutien parmi la population. Mais c’est un cercle vicieux car si la population ne soutient pas les grèves c’est parce qu’elle sait que les syndicats ont peu de chance d’être écoutés par le gouvernement. Si l’affaire Tesco réussit alors peut être que cela encouragera plus de gens à se syndicaliser. [1]Seuls 10% des salariés Hongrois adhèrent à un syndicat.

Revenons maintenant à l’actualité. Que pensez-vous de l’initiative du parti d’extrême-droite Jobbik de rassembler un million de signatures dans huit pays de l’Union européenne pour faire examiner sa demande de Bérunió (d’union salariale) par la commission européenne ?

Personnellement, je pense que cette campagne relève simplement d’une stratégie politique. Cette revendication n’a aucune chance d’aboutir parce que le Parlement ou la Commission européenne n’ont pas le pouvoir de mettre en place la convergence des salaires. Le Jobbik essaie juste d’envoyer des messages « de gauche » à la population en espérant se rapprocher du centre du spectre politique et attirer un électorat en vue des prochaines élections européennes. Il se sert essentiellement du Bérunió dans cette perspective.

Le Jobbik veut s’emparer de la question des bas salaires

Notes

Notes
1 Seuls 10% des salariés Hongrois adhèrent à un syndicat.
Camille Burgess

Stagiaire chez Hulala

Étudiante en sciences politiques à SciencesPo Paris - Campus Dijon.

×
You have free article(s) remaining. Subscribe for unlimited access.