La Nouvelle Vague tchécoslovaque, une déferlante cinéphilique

Mis à l’honneur au festival Travelling de Rennes début février, le cinéma tchèque et slovaque des années 1960 bénéficie en France d’une visibilité toujours plus grande, aidée par de fréquentes rééditions DVD et sorties en salles. D’une créativité prodigieuse, cette « autre » Nouvelle Vague attise désormais la curiosité des cinéphiles français.

C’est la nouvelle coqueluche des ciné-clubs où il est qualifié de « miracle », vanté pour son « ironie mordante » : Trains étroitement surveillés, réalisé en 1967 par Jiří Menzel, est un film édité et réédité à plusieurs milliers d’exemplaires en DVD, et il revient cette année, d’abord en salles puis dans un coffret intitulé La Comédie est une arme ![1]La Comédie est une arme ! (Malavida) : trois films comprenant Trains étroitement surveillés, Alouettes, un Fil à la patte et Une Blonde émoustillante, de Jiří Menzel, en versions restaurées. Le 23 février en salles puis en coffret DVD.. Il n’en faut guère plus pour qu’en France, les Trains de Menzel accèdent au rang de film culte. Et ce n’est pas un cas isolé.

Le cinéma tchèque des années 60 a le vent en poupe : « Il y a un total gain de popularité du classique », observe Markéta Hodouskova, fondatrice de l’association Kino Visegrad, directrice du Czech-In Film Festival et collaboratrice du Courrier d’Europe Centrale. « Les numérisations et restaurations, la disparition du 35 mm rendent possible la diffusion des films », précise-t-elle, d’autant plus enthousiaste face au succès du cinéma « classique » que celui-ci peut, selon elle, aider à rendre visible le cinéma actuel. 

Extrait du film Trains étroitement surveillés, réalisé en 1967 par Jiří Menzel. @Profimedia / https://archiv.hn.cz
Un cinéma adroit et subversif

Si le festival Czech-In met principalement l’accent sur la production contemporaine, son rôle dans la diffusion des films de la Nouvelle Vague n’est pas négligeable. Ainsi, l’édition 2021 s’est achevée sur l’avant-première d’Un Jour un Chat (1963), ressorti avant Noël en version restaurée, et qui n’est pas seulement « un bon vieux film d’Europe de l’Est » comme on a pu le lire dans la presse en décembre. C’est surtout, avec Chronique morave (1969), l’un des principaux long-métrages de Vojtěch Jasný, l’un des piliers du renouveau cinématographique tchécoslovaque. Trop fantaisiste pour le système politique en place, Jasný a payé son insolence par des années d’exil après le Printemps de Prague.

Au-delà d’un indéniable charme rétro, ce sont bien les aspects surréalistes et subversifs de cette Nouvelle Vague qui lui donnent son identité propre et semblent à même d’intéresser un nouveau public. Christian Paigneau, qui réalise actuellement pour Arte Un Conte de fées tchécoslovaque, documentaire sur le cinéma tchèque des années 60, se remémore l’époque à laquelle il découvrait ces œuvres avec les moyens du bord, sans sous-titres : « J’ai regardé les films en tchèque sans comprendre la langue, et pourtant j’en ai compris l’essentiel. C’est un cinéma qui a appris à se passer de la parole, il a développé un côté visuel ». Cet aspect très expressif est flagrant chez Jasný, il l’est aussi dans Les Petites Marguerites de Věra Chytilová (1966) et dans bien d’autres films distribués ou non en France.

Trailer UN CONTE DE FEES TCHECOSLOVAQUE from Talweg production on Vimeo.

Nouvelle Vague, un terme si français

L’appellation informelle Nouvelle Vague est parfois trompeuse si l’on se réfère à la version française. Ainsi, Christian Paigneau insiste sur la dimension collective de la variante tchécoslovaque : « C’est un mouvement qui ne met pas en avant les seuls cinéastes mais qui met aussi en lumière de nombreux techniciens à reconnaissance égale, comme des chef opérateurs, comme des scénaristes, comme des costumières. On trouve ainsi de nombreux duos ou même des trios artistiques notables. C’est à mon sens quelque chose d’assez étonnant et qui n’existe pas dans les autres mouvements cinématographiques de la même période ».

On remarque tout de même quelques ponts entre les mouvements tchécoslovaque et français, en particulier leurs côtés expérimentaux et leur volonté commune de briser les carcans, qu’ils soient liés à une traditionnelle « qualité française » dans un cas, ou au réalisme socialiste dans l’autre. 

Toujours parmi les points communs : l’adaptation d’une littérature pas encore considérée comme classique, à l’image de ce que pratiquait François Truffaut. Ainsi, des auteurs comme Bohumil Hrabal et Arnošt Lustig ont été portés plusieurs fois sur grand écran, La Plaisanterie de Jaromil Jireš (1968) met en images le roman de Milan Kundera sorti un an plus tôt, et L’Incinérateur de Cadavresde Juraj Herz (1969) transpose un livre de Ladislav Fuks. 

Un culte discret

Après le Printemps de Prague, certains films ont été mis à l’index (ou « au coffre », selon la terminologie locale), et des réalisateurs comme Vojtěch Jasný et Miloš Forman ont quitté le pays. Restent de cette vague féconde un souvenir et un héritage avec lesquels le monde culturel tchèque semble entretenir des rapports complexes. « A la FAMU [l’école de cinéma pragoise NDLA] il n’y a aucune affiche qui célèbre le cinéma, ce sont des lieux très fonctionnels. Ils prétendent ne pas vouloir mettre un poids sur la tête des jeunes », explique Christian Paigneau. Mais qu’on ne s’y méprenne pas : «  Pour les Tchèques c’est très important le cinéma, ça ne rigole pas, je pense qu’ils sont fous de leur cinéma », précise le réalisateur. 

En France, depuis quinze ans, l’éditeur et distributeur Malavida fait vivre la Nouvelle Vague tchécoslovaque à travers sorties DVD et diffusion en salles de films restaurés. De retour du festival Travelling de Rennes, Lionel Ithurralde et Anne-Laure Brénéol, fondateurs du label, observent : « Le cercle des aficionados du cinéma tchèque s’élargit avec les années. Par exemple à Rennes, le dernier jour on était devant une salle archi-pleine pour présenter Les Petites Marguerites, ce qui n’aurait pas pu arriver il y a dix ans ». 

La transmission de la Nouvelle Vague passe largement par les festivals qui permettent une interaction entre le public et le monde culturel. Parfois les réalisateurs eux-mêmes y interviennent : « Ils sont plus ou moins généreux, plus ou moins à l’aise. Mais aucun ne refuse de venir, au contraire, ils aiment recevoir de l’amour et de la reconnaissance », confie Anne-Laure Brénéol. Cependant, travailler avec les auteurs devient compliqué à mesure que le temps passe. Les fondateurs de Malavida nourrissent ainsi des regrets : « On en a raté quelques-uns comme Věra Chytilová qui a été hospitalisée le jour où on arrivait à Prague. On l’aime tellement qu’on aurait été heureux de la rencontrer… ».

« Une période complètement insensée de créativité, de talent et de puissance ».

Anne-Laure Brénéol, co-fondatrice de Malavida.
Une promotion artisanale

S’il y a parfois des partenariats ponctuels avec quelques organismes publics, l’édition des œuvres anciennes n’est pas subventionnée par les pays d’origine. Que ce soit avec la République Tchèque, la Pologne, la Hongrie, la Serbie ou la Suède, « il n’y a pas d’aide, il n’y en a jamais eu et je doute que ça arrive un jour », souligne Anne-Laure Brénéol. 

Des restaurateurs de films aux exploitants de salles, en passant par les distributeurs et éditeurs, le cinéma d’auteur et patrimonial mobilise tout un écosystème qu’Anne-Laure Brénéol et Lionel Ithurralde entendent valoriser au mieux. Ce qui explique que l’offre VOD ne soit pas pléthorique sur la Nouvelle Vague tchécoslovaque. En effet, pour les dirigeants de Malavida, la VOD « gêne le travail des salles et le travail de l’édition physique qui ont beaucoup besoin d’être défendus en ce moment ». Demeurent quelques accords avec LaCinetek, à la ligne éditoriale auteuriste, et Mubi qui permet aux films de ne pas rester plus d’un mois en ligne.

Mieux vaut donc ne pas remiser son lecteur DVD qui restera, hors salle de cinéma, l’instrument des découvertes, le meilleur moyen de connaître cette Nouvelle Vague qu’Anne-Laure Brénéol décrit comme « une période complètement insensée de créativité, de talent et de puissance ».

Notes

Notes
1 La Comédie est une arme ! (Malavida) : trois films comprenant Trains étroitement surveillés, Alouettes, un Fil à la patte et Une Blonde émoustillante, de Jiří Menzel, en versions restaurées. Le 23 février en salles puis en coffret DVD.
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