A partir du 1er avril, un recensement national va débuter en Pologne. A cette occasion, les citoyens polonais peuvent faire le choix de déclarer une autre identité ethnique ou nationale. Le député européen Łukasz Kohut milite pour une reconnaissance de la Silésie en tant que région autonome. Nous avons pu nous entretenir avec lui au sujet de l’identité silésienne et des enjeux politiques à venir.
Le régionalisme silésien est pour le moins méconnu en France. Pourtant, cette région historique du sud-ouest de la Pologne possède sa propre identité ainsi que sa propre langue. Si elle ne dispose d’aucune reconnaissance particulière au sein de la république polonaise, divers acteurs politiques se battent pour une meilleure reconnaissance du particularisme silésien – qu’il s’agisse de son autonomie, de son identité ou de sa langue.
Parmi ces acteurs se trouve le député européen Łukasz Kohut, membre du Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen. Lors du recensement national à venir en Pologne, qui doit débuter au printemps, les habitants de la Silésie auront la possibilité de déclarer leur identité ethnique et, le cas échéant, le Silésien comme leur langue du quotidien. Pour Le Courrier d’Europe centrale, M. Kohut est revenu sur ces questions.
Le Courrier d’Europe centrale : M. Kohut, Comment définissez-vous l’identité silésienne ?
Łukasz Kohut : L’identité silésienne est étroitement liée à la Silésie, une région frontalière située au carrefour de différentes cultures – allemande, polonaise et tchèque. Les Silésiens forment une minorité ethnique qui dispose de sa propre langue et culture. Au cours de l’histoire, les Silésiens ont été divisés par des frontières imposées par les États-nations voisins, eux-mêmes hostiles les uns envers les autres.
En Pologne, le régionalisme est-il un mouvement marqué politiquement ?
Le régionalisme n’est pas encore une idée très répandue dans le discours politique en Pologne. On peut toutefois affirmer sans risque que plus un parti est européen, ouvert et démocratique, plus il acceptera les notions de régionalisme et d’autonomie.
« Les politiciens du PiS – presque tous – perçoivent le régionalisme comme une menace pour le « caractère national » polonais ».
Que dit le Droit et Justice (PiS) au sujet du régionalisme ?
Le PiS est un parti nationaliste et conservateur, populiste de droite, qui exclut l’idée de régionalisme et ne comprend ni ses idées ni ses valeurs. Les politiciens du PiS – presque tous – perçoivent le régionalisme comme une menace pour l’unité territoriale et sociale de la Pologne, une menace pour le « caractère national » polonais. Ce qui est évidemment absurde.
S’agissant du recensement à venir, quels sont vos objectifs précis ? De façon générale, comment faites-vous pour mobiliser la population autour de revendications régionalistes et identitaires ?
Avant de répondre, j’aimerais souligner le fait que le mot « revendication » a une connotation négative en polonais, et que je préfère parler d’autodétermination. C’est aussi une description plus exacte, car on ne nous a jamais privés de notre identité silésienne – elle a été reniée, passée sous silence, mais elle a résisté, même dans les temps les plus difficiles. S’agissant du recensement lui-même, ma principale mission est de combattre pour le droit des citoyens à exprimer librement leur affiliation ethnique et linguistique. Lors du précédent recensement de 2011, 800 000 personnes avaient déclaré une nationalité silésienne, et 500 000 avaient indiqué utiliser le Silésien comme langue du quotidien. On est inquiet parce qu’à la propagande massive du gouvernement du PiS, s’ajoute le fait que le recensement sera mené sur internet, ce qui peut mettre en danger l’anonymat des participants. Les gens pourraient avoir peur et être dissuadés de déclarer leur véritable identité nationale et linguistique.
La politique de l’État polonais dans les dernières décennies a été de nier les régionalismes. Le gouvernement actuel, avec son obsession nationaliste, est de loin le pire depuis 1989.
Historiquement, comment le gouvernement polonais a-t-il réagi aux revendications régionalistes ? La ligne politique a-t-elle été constante, ou bien a-t-elle changé d’un régime à un autre ?
Je pense que le problème du régionalisme a été largement incompris et rejeté tout au long du XXe siècle, et il l’est encore aujourd’hui. Parfois, les régionalistes ont réussi à atteindre certains de leurs objectifs – par exemple dans l’entre-deux-guerres, où il existait un parlement (Sejm en polonais) silésien disposant d’un certain pouvoir sur des questions régionales –, mais généralement, la politique de l’État polonais dans les dernières décennies a été de nier les régionalismes. Le gouvernement actuel, avec son obsession nationaliste, est de loin le pire depuis 1989. Mais je crois qu’avec le temps et avec un changement politique, la situation pourrait changer. Je vois beaucoup de jeunes politiciens démocrates, qu’ils soient de gauche ou centriste, comprendre et soutenir notre cause. Je suis aussi confiant dans le fait que l’on va bientôt être prêt à parler ouvertement des difficultés historiques de ma région, par exemple la tragédie de haute Silésie en 1945.
« Nous devrions avoir le droit de protéger notre culture et nos traditions, comme toutes les autres ethnies et les autres minorités linguistiques et culturelles ».
Quel type d’autonomie cherchez-vous à obtenir ? êtes-vous inspirés par d’autres modèles en Europe ?
J’aimerais que la Silésie devienne une région forte dans une Union européenne fédérale. Je suis un grand partisan d’une structure fédéraliste qui place les régions au cœur de la gouvernance, c’est là qu’elles sont le plus efficaces. Un très bon exemple est le régime fédéral de l’Allemagne. La minorité silésienne doit être reconnue comme une minorité ethnique, le silésien comme une langue régionale. Je l’ai évoqué l’année dernière lors d’une session au parlement européen, et je l’ai fait en parlant silésien. Le traducteur polonais n’arrivait pas à comprendre ce que je disais – quelle autre preuve faut-il pour enfin admettre que le Silésien est une langue, une langue distincte et à part entière ? Nous devrions avoir le droit de protéger notre culture et nos traditions, comme toutes les autres ethnies et les autres minorités linguistiques et culturelles.
Quelles convergences et quelles alliances sont possibles au sein du Parlement européen avec des représentants d’autres mouvements régionalistes en Europe ?
Je pense que nous disposons déjà d’une plateforme de coopération fonctionnelle et efficace – l’Intergroupe pour les minorités traditionnelles, les communautés nationales et les langues. Les membres de ce groupe représentent une multitude de nations, de cultures et de langues de l’Union européenne, et notre coopération est très fructueuse.

Récemment, la Commission européenne a réagi à l’initiative « Minority safe pack » qui a récolté un million de signatures en faveur de la protection des minorités ethno-nationales.[1]Le « Minority Safepack » regroupe un ensemble de propositions de lois qui visent à légiférer au niveau européen les droits des minorités nationales, en leur garantissant notamment un accès à leur langue ainsi qu’une préservation de leur culture. Ces propositions ont été soumises à la Commission européenne au travers d’une Initiative Citoyenne Européenne, un dispositif en place depuis 2012 qui oblige la Commission à répondre à toute pétition ayant rassemblé plus d’un million de signatures en provenance d’au moins 7 États membres. Dans son communiqué du 15 janvier 2021, la Commission ignore de fait toutes les propositions du Minority Safepack, en annonçant qu’aucune nouvelle mesure ne sera prise en faveur des minorités nationales Que pensez-vous de cette initiative et de la réaction de la commission ?
L’initiative des Citoyens Européens est une formidable initiative, qui contient neuf propositions concrètes pour améliorer la situation des minorités ethniques, culturelles et linguistiques en Europe. Mener à bout cette initiative a été un bel achèvement pour ses organisateurs (mentionnons l’Union fédérale des Nationalités Européennes) et surtout – pour les 1,2 million de citoyens européens qui ont signé la pétition. La réaction de la Commission est très décevante. Et franchement inacceptable. On ne va pas abandonner si facilement.
Propos rapportés par Thomas Laffitte.
Photo d’illustration : Ruch Autonomii Śląska
Notes
↑1 | Le « Minority Safepack » regroupe un ensemble de propositions de lois qui visent à légiférer au niveau européen les droits des minorités nationales, en leur garantissant notamment un accès à leur langue ainsi qu’une préservation de leur culture. Ces propositions ont été soumises à la Commission européenne au travers d’une Initiative Citoyenne Européenne, un dispositif en place depuis 2012 qui oblige la Commission à répondre à toute pétition ayant rassemblé plus d’un million de signatures en provenance d’au moins 7 États membres. Dans son communiqué du 15 janvier 2021, la Commission ignore de fait toutes les propositions du Minority Safepack, en annonçant qu’aucune nouvelle mesure ne sera prise en faveur des minorités nationales |
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