La jeunesse polonaise se mobilise pour défendre la Justice

Depuis une dizaine de jours, les Polonais se mobilisent contre la réforme de la Justice entamée par le PiS, le parti populiste au pouvoir depuis 2015. La journaliste Aleksandra Eriksson, qui a passé quelques jours à Varsovie pour EUobserver, raconte les manifestations.

Article d’Aleksandra Eriksson publié le 24 juillet sur EU observer sous le titre « Young people show up in droves to defend Poland’s courts ». Traduction réalisée par Justine Salvestroni.

Imagine, de John Lennon, retentit dans la nuit de ce dimanche 23 juillet, devant la Cour Suprême de Pologne, alors que les gens commencent à rentrer chez eux, après avoir participé à une nouvelle manifestation pour défendre la démocratie et l’indépendance de la Justice.

Depuis que le parti au pouvoir Droit et Justice (PiS) a annoncé son intention de réformer cette institution, il y a dix jours, les manifestations se sont multipliées, attirant toujours plus de monde et se propageant dans les villes et les villages à travers le pays.

Le nombre de participants a augmenté, jeudi, lorsque le Sejm, la chambre basse du Parlement, a voté une loi qui permet au gouvernement de prendre le contrôle de la Cour Suprême. Le texte prévoit que le gouvernement puisse limoger des juges et que le ministre de la Justice, Zbigniew Ziobro, puisse en nommer de nouveaux.

Cette loi – qui suit celles votées la semaine dernière dans le but de mettre la nomination des juges sous contrôle politique – a conduit la Commission européenne à déclarer que « la menace sur l’État de droit en Pologne » a « considérablement augmenté« .

Rien qu’à Varsovie, plusieurs manifestations ont lieu chaque jour. Certaines en face de la Cour Suprême, d’autre devant le Parlement ou le Palais présidentiel. Ce week-end, même la maison du chef du PiS, Jarosław Kaczyński, située dans un quartier résidentiel de la capitale, a attiré des manifestants. Si l’homme qui tire les ficelles de la vie politique polonaise n’est pas venu à la rencontre des protestataires, son chat les a longuement observés depuis la fenêtre.

Rien n’indique, pour le moment, que cette mobilisation a changé l’opinion des Polonais. Selon un sondage de l’institut IBRiS, le PiS a gagné cinq points d’opinions favorables, alors que les partis d’opposition restent stables. 37 % des Polonais voteraient encore pour le PiS, et seulement 23 % pour Plateforme Civique (PO, libéral), le principal parti d’opposition.

Un autre sondage, conduit par Kantar, estime que le PiS a perdu 3 points, à 32 % d’opinions favorables. PO serait stable à 23 % également.

Mais les manifestations pourraient être cruciales car elles mobilisent de nouveaux profils électoraux, à savoir les jeunes.

Łukasz, 30 ans, fait partie de ceux qui viennent de faire leur réveil politique.

Ce chanteur de rock, qui travaille aussi dans un Sex Shop, participe aux manifestations devant le palais présidentiel, qu’il filme pour les poster sur Facebook.

« Je veux que mes amis me rejoignent. On regardera des séries un autre jour !« , dit-il, ajoutant que la politique ne l’a jamais vraiment intéressé. Il n’était pas particulièrement satisfait de l’action du précédent gouvernement, et prévoyait de partir vivre à l’étranger. « Mais maintenant, plutôt que de rêver de partir en France ou au Canada, je devrais faire de la Pologne un pays où j’ai envie de vivre. »

Avec le PiS au pouvoir, la politique s’est immiscée dans sa vie, qu’il l’ait voulu ou non, explique-t-il.

« En protestant aujourd’hui, j’espère éviter de me réveiller un jour dans une Pologne qui aura été forcée à quitter l’Union européenne, ou dans laquelle je n’ai pas d’endroit où vivre parce que le gouvernement aura discrètement adopté une loi qui permet d’expulser plus facilement les gens« , dit-il en référence à une loi passée pendant le tumulte de la semaine dernière.

Le texte autorise les propriétaires à expulser les locataires du principal programme gouvernemental, sans raisons particulières.

Dominik, un avocat BCBG, chemise bleue et pull en cachemire noué autour des épaules, s’agace de l’arrogance du parti au pouvoir. Avec des amies, il se tenait, samedi, devant le Parlement, une bougie à la main. Il était minuit passé et, juste en face du groupe, le Sénat était en train de valider la réforme de la Cour Suprême au milieu des manifestants appelant au retrait de la loi.

Plutôt que de scander des slogans, les amis échangeaient des blagues, comme ils le feraient lors de n’importe quelle soirée normale.

Les filles ont commencé à protester contre le PiS l’an dernier, pendant les Czarny Protests (les manifestations noires) quand des milliers de femmes vêtues de noir sont descendues dans la rue, si bien que le PiS, effrayé, a abandonné le projet de loi qui devait restreindre davantage l’accès à l’avortement, alors que la loi Pologne est déjà l’une des plus restrictive d’Europe.

Les Polonaises (et des Polonais) dans la rue pour défendre leurs droits

Dominik, qui approche de la trentaine, ne les a rejointes que récemment, dit-il, car il craignait pour sa carrière, si l’un de ses collègues venait à découvrir qu’il manifestait. « Mais cette fois, le PiS a dépassé les bornes de la décence« , nous explique-t-il en référence à la réforme de la justice.

« Cela ne va pas améliorer le fonctionnement des tribunaux polonais. Et le Parlement qui passe les lois au milieu de la nuit, c’est ridicule« , ajoute Dominik.

En plus de leur colère face aux gesticulations du PiS et de leur sentiment très pro-européen, l’engagement croissant des jeunes pour la vie politique polonaise s’est illustré dans de nouvelles formes de protestations, plus inclusives.

La plupart des manifestations sont organisées par des mouvements citoyens ou des particuliers plutôt que par des partis politiques. Elles sont « no logo », les symboles des partis en sont bannis, et les seuls drapeaux autorisés sont ceux qui représentent l’intérêt général, comme celui de la Pologne ou l’étendard arc-en-ciel qui représente la communauté LGBT.

C’est Action démocratie, une plateforme pro-démocratique en ligne, qui a lancé la première l’idée de manifester avec des bougies à la main, appelée « chaînes de lumière ». Elles se tiennent maintenant tous les jours à 21 h dans plus de 140 lieux en Pologne et à l’étranger, sous l’impulsion de différentes organisations et communautés.

Les membres de la majorité ont bien fait comprendre qu’ils n’étaient pas impressionnés par les manifestations, mais leurs déclarations paraissent de plus en plus agressives et désespérées.

Vendredi, le ministre de l’Intérieur, Mariusz Błaszczak, a estimé que les gens rassemblés la veille devant le palais présidentiel – ils étaient 14 000 selon la police, 50 000 selon la mairie PO – étaient juste « sortis faire un tour » et s’étaient arrêtés là pour voir ce qui se passait.

Le ton s’est durci ce weekend, quand un parlementaire du PiS a qualifié les manifestants de « fantômes bolcheviks » et de « veuves des agents communistes« , alors que les médias pro-gouvernementaux accusaient les manifestations d’être de l’ »astroturfing » – une méthode de marketing qui consiste à faire passer des campagnes de communications pour mouvements spontanés – payé par George Soros, le célèbre milliardaire américano-hongrois qui finance les causes démocratiques. De telles déclarations semblent seulement pousser les manifestants à aller plus loin.

Tôt samedi matin, nous avons vu des manifestants bloquer une rue près du Parlement en faisant des va-et-vient sur un passage piéton. De cette manière, ils empêchaient les sénateurs PiS de rentrer chez eux après le vote.

Sur une pancarte tenue par une femme, on pouvait lire : « Nous sommes sortis faire un tour« . Une autre criait : « Tant que nous marchons, la police ne peut pas nous arrêter pour obstruction de la voie publique« .

Dimanche, des gens demandaient à leurs amis sur Facebook s’ils avaient déjà reçu leur virement bancaire de la part de Soros.

Mise à jour – Les manifestations devraient continuer ce lundi, malgré le fait que le Président polonais, Andrzej Duda, a exercé son droit de veto ce lundi matin pour bloquer deux lois sur la Cour Suprême et une autre sur le Conseil des juges. Cependant, les organisateurs veulent continuer les manifestations pour obtenir un troisième veto, concernant la loi sur les tribunaux de droit commun.)

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