La Hongrie s’immisce dans les affaires de la Bosnie-Herzégovine, Orbán prend le parti des Serbes

Le dirigeant magyar prend fait et cause pour Milorad Dodik, le chef des Serbes de Bosnie, qui menace de faire sécession. Le commissaire européen Olivér Várhelyi est accusé par des députés européens de collusion avec Dodik au profit de Budapest. 

Les velléités séparatistes prêtées à Miroslav Dodik font craindre un nouvel éclatement de la Bosnie-Herzégovine. Viktor Orbán, qui a gagné en influence dans la région des Balkans s’étirant au sud de la Hongrie, s’est récemment immiscé dans ce jeu dangereux en prenant le parti du principal représentant des Serbes de Bosnie-Herzégovine. Cela avec, semble-t-il, l’assistante du Commissaire européen à l’élargissement, le Hongrois Olivér Várhelyi.

« Les Balkans ne peuvent pas être stabilisés sans les Serbes et les Balkans ne peuvent pas être stabilisés sans la Bosnie-Herzégovine. La Bosnie-Herzégovine ne peut être stabilisée sans restaurer les droits des Serbes. C’est notre logique. La clé des Balkans est donc la Serbie et la nation serbe », a argumenté le dirigeant magyar, lors d’une conférence de presse le 21 décembre. Par conséquent, a-t-il prévenu, la Hongrie mettra son véto à toute tentative européenne de sanctionner Milorad Dodik, souhaitée par le nouveau gouvernement allemand.

Des remous jusqu’à Strasbourg et Bruxelles

Cette immiscion à peine masquée du gouvernement hongrois dans les affaires bosniennes commence à faire des remous jusque dans les instances européennes. L’eurodéputée hongroise Katalin Cseh, du parti d’opposition Momentum, a transmis une lettre aux eurodéputés dans laquelle elle écrit que « le gouvernement hongrois soutient et aide activement la campagne des Serbes de Bosnie de Milorad Dodik à mettre en œuvre sa stratégie politique visant à diviser la Bosnie-Herzégovine […]».

Le 12 janvier, des eurodéputés ont suivi les inquiétudes de Katalin Cseh et interpellé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dans une lettre ouverte dans laquelle ils réclament une enquête pour déterminer le rôle du Commissaire européen à l’élargissement, qu’ils soupçonnent de collusion avec Milorad Dodik, au profit de Viktor Orbán.

Rapprochement avec Vučić puis Dodik

La Hongrie est traditionnellement beaucoup plus proche de la Croatie et ses relations ont souvent été tendues avec la Serbie, en raison de la minorité hongroise qui y vit. Mais au cours des dernières années, Viktor Orbán s’est trouvé un solide allié en la personne du président de la Serbie, Aleksandar Vučić. Et il fraie aujourd’hui aussi avec Milorad Dodik, principal dirigeant des Serbes dans la Bosnie post-guerre, d’abord à la présidence de la République serbe de Bosnie-Herzégovine, puis à la présidence tripartite du pays.

Le Hongrois et le Serbe, qui avaient convenu en 2019 de resserrer des liens politiques et économiques très lâches, multiplient les contacts. Au mois de septembre, Milorad Dodik a été reçu en chef d’Etat pour participer à un grand rassemblement clérico-conservateur à Budapest aux côtés des alliés politiques d’Orbán, parmi lesquels le premier ministre slovène Janez Janša et Aleksandar Vučić. En retour, Orbán s’est rendu mi-novembre à Banja Luka, capitale de la République serbe de Bosnie, puis à Laktaši, la localité de naissance de Dodik, au moment précis où ce dernier était pointé du doigt par l’Union européenne, accusé de vouloir faire éclater la Bosnie.

Budapest a confirmé, fin décembre, qu’elle débloquait cent millions d’euros à la République serbe, au titre de sa politique de bon voisinage.

Orbán a-t-il agi en concertation avec Aleksandar Vučić ou même avec Vladimir Poutine ? La visite cachait-elle des intérêts économiques ? Orbán n’a pas fait taire les spéculations véhiculées dans divers médias, se contentant d’invoquer le mantra européen sur « la paix, la stabilité et la sécurité dans les Balkans » et la nécessité de leur développement économique. Il avait alors annoncé son intention de soutenir les petites et moyennes entreprises en Republika Srpska.

De fait, Budapest a confirmé, fin décembre, qu’elle débloquait cent millions d’euros à la République serbe, au titre de sa politique de bon voisinage. De quoi alimenter les suspicions vis-à-vis d’Orbán, déjà soupçonné, mais sans preuves, de n’être pas totalement étranger à la circulation, dans les instances européennes au printemps, d’un non-paper, c’est-à-dire un document non-officiel et non-signé, proposant un plan de redéfinition des frontières dans les Balkans et une « dissolution pacifique » de la Bosnie-Herzégovine, au profit des nationalistes serbes.

« Deux millions de musulmans »

Orbán s’est battu pour décrocher le portefeuille « voisinage et élargissement » de la commission européenne, qui lui confère un certain pouvoir d’influence dans les Balkans et il pousse pour une intégration immédiate de la Serbie à l’UE, puis de la Bosnie. Toutefois, Orbán ne se fait pas que des amis dans les Balkans. 

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« Je ferai tout mon possible pour convaincre les grands dirigeants européens que les Balkans sont peut-être plus éloignés d’eux que de la Hongrie, mais que la sécurité d’un État avec deux millions de musulmans est également dans leur intérêt ». Son porte-parole international, Zoltán Kovács, a enfoncé le clou en twittant que « le défi avec la Bosnie est d’intégrer un pays avec deux millions de musulmans ».

Les réponses en provenance de Sarajevo ont été rapides et cinglantes : « xénophobe et raciste », a qualifié le grand mufti Hussein Kavazović, chef de la communauté islamique locale, quand le membre bosniaque du pays la présidence, Šefik Džaferović, préférait les qualificatifs « honteuse et grossière ». « L’intégration de deux millions de musulmans bosniaques n’est pas un défi pour l’UE, car nous sommes des Européens autochtones qui ont toujours vécu ici ».

Photo : Zoltán Fischer/Prime Minister’s Press Office/MTI

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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