La Hongrie a besoin de centaines de milliers de travailleurs. Où les trouver ?

Appuyant des propositions du syndicat des patrons (le MGYOSZ) hongrois, le ministre de l’Economie, Mihály Varga, a affolé ses collègues, mercredi dernier, en déclarant que la Hongrie avait un besoin urgent d’importer plusieurs centaines de milliers de travailleurs. Cette annonce a fait l’effet d’un gros pavé dans la mare car elle tombe juste au moment où le gouvernement mène une intense campagne à relents xénophobes pour promouvoir son référendum contre l’accueil de réfugiés, prévu le 2 octobre.

Article publié le 14 juillet 2016 dans La Libre Belgique

 

Crédit : Hulala.org
Crédit : Hulala.org

Comme ailleurs en Europe, la situation démographique du pays est en effet problématique. Au déclin naturel de la population, amorcé au début des années 80 en raison d’une très faible fécondité, s’est ajouté une émigration massive. Plus d’un demi-million de jeunes Magyars ont quitté le pays ces dernières années pour aller travailler en Europe de l’Ouest.

Une véritable saignée qualitative et quantitative. La Hongrie compte ainsi seulement quatre millions de personnes actives pour une population totale de dix millions d’habitants. Au point qu’un quart des entreprises seraient aujourd’hui affectées par une pénurie de main-d’œuvre, notamment dans l’industrie hôtelière, le tourisme, la construction et l’informatique.

Pour illustrer cette situation, le journal de centre-gauche Népszabadság (« La Liberté du peuple ») s’est rendu à Szügy (lire le reportage en hongrois), une commune de 1 400 habitants adossée à la frontière avec la Slovaquie, où une usine de fabrication de capotes de véhicules cabriolets emploie des couturières russes, serbes et même mexicaines, faute de candidates locales.

Jusqu’ici, le Premier ministre Viktor Orbán a systématiquement balayé l’hypothèse d’une ouverture à l’immigration pour répondre à ces besoins. Il s’en tient toujours au même plan : relancer la natalité et miser sur la « ressource inexploitée » que représente la population Rom, largement sous-employée.

Mais le déclin démographique est bien trop aigu pour être enrayé par la politique familiale instaurée par le gouvernement Fidesz, aussi ambitieuse soit-elle. Et la volonté affichée d’intégrer solidement sur le marché du travail les centaines de milliers de Roms hongrois reste un vœu pieux.

L’inexorable déclin du peuple magyar

Importer des travailleurs « culturellement intégrables »

Face à ce constat, l’organisation patronale tire donc le signal d’alarme. Mais qui seraient ces travailleurs « culturellement intégrables » qu’elle préconise de faire venir ? Le ministre de l’Economie a rapidement tenté de déminer le terrain : il s’agirait, certes, de travailleurs issus de pays extérieurs à l’Union européenne, mais qualifiés dans des secteurs désertés par les Hongrois et seulement invités de façon temporaire. Des allégements fiscaux seraient mis en place dès l’année prochaine pour soutenir les entreprises dans la fourniture de logements. Mais Mihály Varga s’est peut-être aventuré trop loin. Son parti, le Fidesz, a sèchement réagi :

« Le gouvernement donne du travail aux Hongrois, pas aux immigrants. »

Selon une grande enquête publiée en juillet par le think tank américain Pew Research Center, 82 % des Hongrois craignent que l’installation de réfugiés menace leurs emplois et le peu qu’il reste de leur protection sociale. Ce qui n’est guère surprenant, vu la campagne menée par le gouvernement à l’intention des migrants l’année dernière : « Si tu viens en Hongrie, ne prends pas le travail des Hongrois !« , proclamaient d’immenses affiches dans tout le pays.

Cette crainte était déjà présente avant la crise migratoire. Lors d’un référendum historique organisé le 5 décembre 2004, les Hongrois s’étaient opposés à l’octroi de la citoyenneté hongroise aux Hongrois de souche des pays voisins, encouragés par le gouvernement de gauche qui avait brandi la menace d’une invasion sur le marché de l’emploi.

Au rang des nombreuses réactions suscitées par le plan du ministre de l’Économie, le site d’actualités le plus populaire du pays, Index.hu, s’est amusé à sonder ses lecteurs sur leurs préférences, sur le ton de l’ironie : des Cubains ? « La combinaison chrétienté-communisme en font d’excellents candidats. » Des Africains de l’Ouest ? « Comme nous, ils viennent de jeunes démocraties avec des institutions faibles et sont familiers des environnements corrompus » …

Mais la vraie question est comment réussir à attirer qui que ce soit, alors que les Hongrois eux-mêmes quittent leur pays en masse. Avec une langue réputée très difficile à apprendre et des niveaux salariaux trois à quatre fois inférieurs à ceux de l’Europe de l’Ouest, la Hongrie devrait rester, dans les années à venir, un pays que l’on quitte.

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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