La Hongrie et ses « perspectives pékinoises »

La crise économique de 2008 a mis à mal le consensus de Washington et l’ordre néolibéral. Quel rôle compte jouer la Hongrie dans le futur monde dominé par la Chine ? Quelques éclairages bienvenus, tandis que s’est déroulé ce week-end le sommet de la Nouvelle route de la Soie à Pékin.

Tribune de Viktor Buzna, publiée 15 mai 2017 dans Magyar Nemzet sous le titre « Pekingi perspektívák ». Traduite du hongrois par Ludovic Lepeltier-Kutasi.

Ce qui s’est passé ce week-end à Pékin lors de la rencontre à laquelle a pris part le Premier ministre hongrois, représente la pierre angulaire d’une nouvelle ère. Près de trente dirigeants, dont la majorité issus de pays orientaux, se sont réunis afin de discuter de la stratégie de corridor commercial initié par la Chine. Désigné par l’acronyme aisément mémorisable OBOR (One Belt, One Road), le projet mentionné ici n’est pas encore complètement arrivé à maturité. L’objectif de la stratégie définie en 2013 est de renforcer la coopération économique et commerciale des pays de la zone eurasiatique en investissant dans les infrastructures – principalement par des prêts chinois – et en développant des institutions financières communes. Si l’OBOR se concrétise, le principal gagnant sera la Chine : pendant que les pays partenaires rembourseront l’intérêt de leurs emprunts, le réseau routier consolidera l’offre des entreprises chinoises, lesquelles pourront exporter à moindre coût et plus rapidement des biens et des services vers l’Ouest.

Il y a déjà eu des initiatives similaires dans l’Histoire et il ne faut pas remonter à très loin pour en retrouver la trace. En novembre 1989, des chercheurs, des dirigeants politiques ainsi que les responsables du FMI et de la Banque mondiale se sont réunis à Washington afin de voir comment faire de l’idéologie néolibérale la matrice universelle des politiques économiques. C’est ce que les livres d’Histoire ont retenu plus tard comme le « consensus de Washington ». Ce fut la généralisation de l’ordre économique élaboré en Occident après la Seconde guerre mondiale aux pays d’Amérique latine mais également aux pays d’Europe centrale et orientale alors à l’orée de la transition post-communiste. La portée universelle du consensus de Washington s’est ensuite érodée au fur et à mesure du renforcement de la Chine. Au point que Joshua Cooper Romeo, le directeur du cabinet d’analyse Kissinger Associates ait le premier évoqué la notion de « consensus de Pékin », laquelle prévision semble se confirmer. La crise économique de 2008 a ébranlé le monde financier global construit sur le consensus de Washington, l’apocalypse fiscal ayant touché de la même façon tous les pays. Le PIB des États-Unis n’a progressé que d’1,6% l’année dernière, tandis que celui de la Chine a atteint 7%, en dépit de plusieurs années de baisse.

Et malgré les dénégations continues de Pékin, il est probable que la stratégie OBOR dépasse la seule coopération économique et financière. La création en 2014 de la Banque d’Investissement et de Développement asiatique (AIIB) comme bras financier de l’Entente 16+1 qui rassemble les pays d’Europe centrale et orientale ainsi que la Chine, montre bien l’entrain avec lequel se met en place le propre système institutionnel d’un monde bientôt recentré sur son flanc oriental.

La Hongrie joue un rôle de plus en plus important dans ce processus. S’il faut être prudent avec la stratégie de communication gouvernementale selon laquelle la Chine serait le principal partenaire de notre pays dans la région, l’empire du milieu apprécie sans aucun doute l’enthousiasme de l’exécutif hongrois. Ce week-end, le chef d’État chinois Xi Jinping s’est même entretenu personnellement avec Viktor Orbán, afin de signer ensemble l’accord de partenariat stratégique entre les deux pays, pour lequel le dirigeant hongrois plaide activement depuis des années. Les chances de voir se réaliser la ligne ferroviaire Budapest-Belgrade se sont également améliorées, alors qu’on la disait enterrée. L’infrastructure financée grâce à un prêt de la Chine pourrait selon nos informations rapidement bénéficier du feu vert de Bruxelles, autrefois rétive au projet. C’est à la Hongrie qu’incombe l’organisation du prochain sommet de l’Entente 16+1 à l’automne prochain, et le gouvernement fait tout pour lancer à ce moment-là le premier coup de pioche du chantier.

Mais de nombreuses questions restent encore sans réponse ! Si l’argent de l’Est est investi en Hongrie, à part Pékin qui en profitera : la société hongroise ou quelques décideurs chanceux ? Hélas, nous pouvons déjà constater avec la ligne Budapest-Belgrade que l’utilisation du prêt chinois ne se fera pas de façon transparente, ce qui ne change rien au fait que ce sera à la Hongrie de le rembourser. Le changement de l’ordre mondial n’est par ailleurs pas qu’une question financière. Il est vain d’attendre de nos élites une bonne connaissance des enjeux globaux. Il est plutôt à craindre que nous soyons réduits à voguer au gré des courants et des vents contraires tandis que les capitaines et leurs équipages jetteront l’amarre uniquement là où ils pourront se faire le plus d’argent.

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