La Hongrie plaide de longue date pour un élargissement rapide de l’Union européenne, aux Balkans et à la Turquie. Son dirigeant Viktor Orbán convoitait depuis longtemps ce portefeuille stratégique qui va renforcer son influence grandissante dans les pays du sud-est de l’Europe.
Le gouvernement hongrois a réussi là où il avait échoué cinq ans auparavant : le portefeuille « voisinage et élargissement » aura un commissaire hongrois à sa tête, en la personne d’Olivér Várhelyi, un juriste et diplomate de quarante-sept ans. Mais que ce fut difficile de réussir à imposer ce second choix, après le recalage de l’ancien ministre de la justice, László Trócsányi !
M. Trócsányi avait échoué d’entrée de jeu dans le processus de désignation. La Commission du parlement pour les affaires juridiques l’avait trouvé en situation de conflit d’intérêt en raison des activités de son cabinet d’avocats Trócsányi & Nagy, qui avait contracté avec le gouvernement hongrois, contrairement aux affirmations du candidat.
Olivér Várhelyi, lui, n’a pas eu de mal à franchir cette étape, mais a été épinglé ensuite par la Commission des affaires étrangères, qui l’a auditionné pendant trois heures la semaine dernière, avant de rejeter sa candidature lors d’un vote. Finalement, les réponses écrites réclamées en guise de clarification lundi par la Commission l’ont, semble-t-il, convaincu que M. Várhelyi sera en mesure de mener sa mission en toute indépendance de Budapest.
Après ce feu vert de la Commission des affaires étrangères, le Parlement européen doit encore approuver l’ensemble des Commissaires lors d’un vote final, mais qui, sauf surprise, sera une formalité pour le candidat hongrois comme pour les autres.
Orbán ne lui a pas facilité la tâche
Le chef du gouvernement hongrois ne lui a pas facilité la tâche. Invité au Conseil turc le 15 octobre à Bakou en Azerbaïdjan (la Hongrie est membre observateur de cette organisation rassemblant les États turcophones), Viktor Orbán déclarait : « La Hongrie se bat actuellement pour le portefeuille de la politique d’élargissement et de voisinage. […] Si nous parvenons à l’obtenir, nous entretiendrons une coopération étroite avec l’Azerbaïdjan sur la question du partenariat oriental et avec la Turquie sur la question des négociations d’adhésion. Si nous parvenons à décrocher ce portefeuille, nous serons heureux de vous aider à poursuivre vos efforts ».
Les eurodéputés hongrois issus des partis de l’opposition (Momentum, le Parti socialiste et la Coalition démocratique) ont mené un lobbying intense à Bruxelles pour mettre en lumière ces propos et savonner la planche au candidat de Viktor Orbán. En effet, ils pouvaient être interprétés comme une violation de l’Article 17 du traité sur l’Union européenne, qui stipule l’indépendance des membres de la Commission : « La Commission exerce ses responsabilités en pleine indépendance. Sans préjudice de l’article 18, paragraphe 2, les membres de la Commission ne sollicitent ni n’acceptent d’instructions d’aucun gouvernement, institution, organe ou organisme. Ils s’abstiennent de tout acte incompatible avec leurs fonctions ou l’exécution de leurs tâches. »
Interrogé sur ce point par le parlement européen, Olivér Várhelyi s’est défendu par écrit : « Le Premier ministre hongrois a exposé les priorités politiques de la Hongrie […]. En tant que commissaire, mon seul objectif est de mettre en œuvre les priorités politiques de l’Union européenne ».
Les déclarations du premier ministre, le 13 septembre, sur la radio publique Kossuth, étaient encore plus encombrantes : exprimant le souhait de voir entrer rapidement dans l’Union les pays des Balkans, il estimait que « ce sera le travail de M. Trócsányi [premier candidat hongrois recalé] de représenter cette politique à la Commission ».
Un élargissement aussi large et rapide que possible
Aux antipodes de la position française par exemple, la Hongrie plaide en effet de longue date pour un élargissement aussi rapide que possible de l’Union européenne aux pays des Balkans qui sont encore en-dehors : la Serbie, la Macédoine du Nord, la Bosnie-Herzégovine et l’Albanie.
Budapest, à la différence de la plupart de ses partenaires européens, soutient aussi le rapprochement de la Turquie avec l’Union européenne et même son intégration.
Repousser l’embarrassante frontière de l’espace Schengen qui court le long de ses frontières méridionale et orientale, pour retrouver son rôle de carrefour géographique au centre de l’Europe, est un objectif constant de Budapest.
Mais pour le dirigeant hongrois, une raison supplémentaire plaide pour cet élargissement à l’ensemble des Balkans : « Si en 2015 la Macédoine, le Monténégro et la Serbie avaient été membres de l’UE, si les migrants n’étaient pas arrivés dans ce « no man’s land », il est certain qu’ils n’auraient pas pu aller jusqu’en Allemagne », a-t-il déclaré.
Un portefeuille stratégique pour les hongrois
En sabordant la candidature de Manfred Weber (CSU) au profit d’Ursula von der Leyen, la candidate allemande de la CDU, Viktor Orbán s’est attiré ses grâces et a donc pu prétendre auprès d’elle à un portefeuille prestigieux et aussi important que possible, compte tenu du fait qu’il n’était politiquement pas possible pour la future présidente d’attribuer une vice-présidence de la Commission au controversé Fidesz.
Olivér Várhelyi pourra-t-il agir au seul service de l’Union et en toute indépendance de Budapest, pour faire progresser les pays candidats à l’Union vers l’accession, tels que la Serbie et la Macédoine du Nord ?
Le dirigeant hongrois a tissé des liens solides avec les forces politiques de droite dans les Balkans, peu scrupuleuses sur les questions d’Etat de droit si chères à Bruxelles. Signe de son influence grandissante dans la région, les eurodéputés croates du HDZ, slovènes du SDS et bulgares du GERB l’ont soutenu comme un seul homme lors du vote du Parlement européen déclenchant l’Article 7 en septembre 2018.
Comme l’indique une source au Parlement européen, le portefeuille de l’élargissement « sert les desseins géopolitiques de Viktor Orbán dans les Balkans, où il développe des réseaux d’influence, notamment avec ses alliés en Serbie et en Slovénie ».
L’ancien Premier ministre nationaliste macédonien, Nikola Gruevski, accusé de corruption, a trouvé refuge à Budapest l’année dernière et les autorités hongroises ont refusé depuis les demandes d’extradition de Skopje.
Lune de miel serbo-hongroise
Mais c’est avec le président serbe Aleksandar Vučić que Viktor Orbán vit une véritable lune de miel. « C’est grâce à M. Orbán que nos relations sont meilleures que jamais. Je vous assure que nous resterons des amis fidèles à vous-même et à votre pays », déclarait-il lors d’un colloque à Budapest en septembre.
Une intégration de ces deux pays permettrait au Hongrois de convertir ses réseaux d’influence en poids politique dans les institutions européennes. Leur connivence politique est assortie de bonnes affaires, comme l’ont révélé les enquêtes du média hongrois Direkt36. Elles ont mis en lumière les contrats sur-mesure remportés en Serbie par l’entreprise hongroise d’éclairage public Elios, profitant tant au gendre de Viktor Orbán qu’à des personnes de l’entourage d’Aleksandar Vučić.
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La question ukrainienne
Outre les Balkans, le portefeuille « voisinage et élargissement » comprend aussi un important volet ukrainien. Or la Hongrie est en conflit avec son grand voisin de l’Est, qu’il accuse de brimer la minorité hongroise de Subcarpatie. Budapest a même déclenché une véritable « guérilla » diplomatique contre Kiev dans les forums internationaux.
Des détracteurs du gouvernement hongrois estiment que Budapest fait le jeu de Moscou en entravant ainsi les initiatives diplomatiques de Kiev. Récemment, le ministre hongrois des Affaires étrangères, Péter Szijjártó, a espéré que les relations se détendent avec l’élection de Volodymyr Zelensky à la présidence.
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