La Gárda en garde à vue, pas de meilleure pub pour Jobbik ?

Mardi 20 avril 2010, MTI annonçait que la police et la justice hongroises ont commencé à engager des poursuites contre le chef de la Magyar Gárda, milice d’extrême-droite proche de Jobbik, ainsi que deux de ses associés.

Ils sont accusés d’entretenir l’organisation, pourtant interdite et dissoute par décision judiciaire depuis le 2 juillet 2009. Après cette annonce, les têtes de la Garda seront peut-être mises en garde à vue une nouvelle fois, mais de là à être condamnées, c’est une autre histoire. Quant à l’interdiction elle-même, si elle n’est pas effectivement appliquée partout en Hongrie, c’est à se demander si elle ne sert pas plutôt les intérêts du marketing politique de Jobbik.

Depuis cette « interdiction », plusieurs rassemblements massifs de ces « gardes » en uniformes ont eu lieu en plein centre de Budapest. Pourquoi le centre de la capitale, alors que Jobbik et ses « gardistes » sont bien plus appréciés dans les campagnes paupérisées telles que le Nord-Est du pays, où la tension communautaire entre extrémistes et tsiganes est souvent à son comble ? Parce c’est là que les caméras des télés nationales se trouvent.

Jobbik et la victimisation de la Gárda

Deux jours seulement après cette fameuse décision de justice, deux ou trois centaines de membres de la Gárda remettaient l’uniforme par provocation lors d’un sitting pacifique sur la pelouse de Gödör à Erzsébet tér. Ils ont été délogés après plusieurs heures, dans les gaz lacrymogènes, bénéficiant ainsi d’une couverture médiatique hors du commun pour ce type d’événement. Cette opération avait attiré encore plus de policiers et de journalistes que d’extrémistes (voir photo). Ce jour-là, Gábor Vona lui-même avait été « embarqué au poste » devant les caméras de télévision pour avoir porté l’uniforme. Le jeu en valait bien sûr la chandelle pour le leader de Jobbik, puisque sa publicité faite par Budapest dans les campagnes hongroises valait largement ce léger désagrément.

Quelques jours plus tard, encore un coup de pub, mais au niveau européen cette fois. Lors de la première session du Parlement Européen à Strasbourg après les élections européennes de juin, Csanád Szegedi (voir photo), l’un des trois eurodéputés Jobbik de l’hémicycle, portait le même uniforme en signe de protestation. « Le seul problème avec cela« , selon l’eurodéputé Fidez Tamás Deutsch ce jour-là, « c’est que tout le monde le (prenait) pour un réparateur ou un technicien avec son accoutrement« .

Le laisser-faire des autorités

Le 23 octobre dernier, la Magyar Gárda en avait également profité pour rassembler plusieurs milliers de membres en uniformes sous leurs bombers, cette-fois au « temple du retour » qui jouxte Szabadság tér. L’idée était alors de rejoindre, après un garde à vous démonstratif devant les journalistes, le meeting de Jobbik se tenant quelques rues plus loin. Lors de cette marche qui fût encadrée par à peine une vingtaine de policiers, aucune arrestation, ni aucun heurt n’a été remarqué. Peut-être la Gárda avait-elle eu l’autorisation légale, à cette occasion, de se réunir fièrement, tout de noir vêtue avec une attitude militaire… Mais dans ce cas, la loi peut-elle être vraiment prise au sérieux?

Le 15 mars dernier, autre fête nationale hongroise qui commémore une révolution, le meeting préelectoral de Jobbik se tenait encore dans le même quartier, derrière la basilique Saint-Étienne sur Bajcsi-Zsilinszki út. Rebelote, les « gardistes » ont préféré porter leur uniforme paramilitaire dans sa version bombers et avec des pantalons de camouflage.

L’extrême droite, un « bouc-émissaire » gênant en Hongrie ?

Ironie du sort: la veille du 23 octobre 2009, le Comité Helsinki en Hongrie pour la surveillance du respect des droits de l’homme avait déclaré le port de cet uniforme paramilitaire illégal, jugeant que l’acte en soi devrait donner le droit à la police de dissoudre tout rassemblement de cette nature. A entendre Krisztina Morvai au Parlement européen (voir video ci-dessous à 1 min 30sec), la question du respect des droits de l’homme en Hongrie peut se retourner comme une crêpe, surtout depuis 2006 et les violences policières à l’encontre des émeutiers, mais également à l’encontre de plus d’un millier de manifestants pacifiques, pour la plupart sympathisants du Fidesz à l’époque, le grand parti vainqueur des élections ce mois-ci.

Depuis son mandat d’eurodéputée obtenu l’an dernier, la figure « sympa » de Jobbik, qui est justement juriste experte des droits de l’homme, s’est souvent illustrée en anglais à Bruxelles et à Strasbourg, fustigeant la situation démocratique très préoccupante de la Hongrie selon elle. En s’efforçant de museler son extrême-droite grandissante, la Hongrie pourrait bien en subir les effets pervers par son système policier et judiciaire qui laisse souvent à désirer. (Lire aussi pour mieux comprendre : le ministre de la Justice jète l’éponge)

Forgacs vs Vona, une justice impuissante

Le site Internet de la police hongroise indiquait hier que plus de cent témoins ont été interrogés au cours d’une enquête concernant l’entretien de l’organisation d’extrême droite, parmi lesquels des membres fondateurs de la Gárda ainsi que d’anciens membres. Quoique dise cette « enquête », la Garde Hongroise continue de faire l’innocente et de se revendiquer comme un « mouvement » regroupant des individus souhaitant recevoir une éducation traditionnelle hongroise… Autant dire une association, et donc pas une organisation de miliciens… Une manière comme une autre, plutôt subtile, de ne pas se sentir concernée plus que ça par la condamnation dont elle fait l’objet.

Bien que l’enquête ait révélé plusieurs caractéristiques qui font penser à une organisation paramilitaire, dotée d’une hiérarchie quasi-militaire, la Justice hongroise semble justement bien désarmée pour l’interdire de fait. Condamner sérieusement ses animateurs, qui bénéficieront de surcroît de la légitimité démocratique importante de Jobbik au Parlement dès la semaine prochaine (vraisemblablement aux alentours de 17% des voix dimanche) semble bien difficile et l’effet d’annonce de la police paraît du même coup assez anecdotique.

Le soutien publiquement apporté à la Magyar Gárda par Jobbik et son leader, Gábor Vona, est d’ailleurs sans failles. Vona a donc compris qu’il avait tout à y gagner. Lorsqu’au début de ce mois-ci, le nouvel intérimaire à la Justice, Imre Forgacs, l’a menacé de poursuites pour avoir affirmé qu’il portera l’uniforme à son entrée au Parlement, Vona, par l’intermédiaire de sa toute nouvelle porte-parole, Dóra Duró, rétorque qu’il poursuivra lui-même le ministre sortant pour abus de pouvoir et pour avoir porté de faux chefs d’accusation à son encontre. Ainsi, la même Duró avait déclaré le 8 avril que ces charges contre Vona étaient interprétées par Jobbik comme les « dernières tentatives pathétiques » du gouvernement Bajnai. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas gagné pour la Justice hongroise dans l’affaire du costume de la Gárda.

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