A l’origine des deux vaccins contre le Covid-19 basés sur l’ARN messager, il y a une scientifique hongroise du nom de Katalin Karikó. Celle qui est vue par certains comme la sauveuse de l’humanité et un futur prix Nobel a grandi dans le nord de la grande plaine, dans la Hongrie de Kádár. Portrait.
Cet article a été publié initialement le 29 décembre 2020.
Katalin Karikó a passé l’essentiel de sa vie dans des laboratoires, en Hongrie puis aux États-Unis, et dans le plus grand anonymat. Mais aujourd’hui, alors que les premières doses de « son » vaccin ont été injectées dimanche 27 décembre et marquent le début d’une grande campagne de vaccination de la population européenne, les médias du monde s’arrachent la biochimiste.
« Kati (son surnom) Karikó mérite le prix Nobel », pense même Derrick Rossi, médecin canadien, professeur à Harvard et cofondateur du laboratoire Moderna, un concurrent dans la course au vaccin. « Donnez le prix Nobel à cette femme ! » s’est exclamé Richard Dawkins, le célébrissime biologiste britannique auteur de « Le gêne égoïste », le 26 décembre sur Twitter.
A la veille de Noël, la nouvelle superstar de la science a elle-même reçue une dose du vaccin estampillé BioNTech/Pfizer issu de ses travaux menés en duo avec Drew Weissman : « le bénéfice est énorme et il y a vraiment peu ou pas de risque », ont-ils assuré.
Drs. Drew Weissman & Katalin Karikó—whose mRNA discovery at @PennMedicine helped pave the way for #COVID19 vaccines—received their first dose of the @pfizer/@BioNTech_Group shot together. They say, “The benefit is huge & there’s little to no risk.” https://t.co/Lg36CgMZMR pic.twitter.com/m64aoYTr3v— Penn Medicine (@PennMedicine) December 23, 2020
Née quelque part en Hongrie centrale
La presse hongroise s’est intéressée à elle dès le printemps. En rassemblant des pièces du puzzle glanées sur des médias comme 24.hu, G7, le site de l’Université de Szeged ou encore sur Wikipédia et sa page facebook, on peut brosser d’elle le portrait suivant, forcément très incomplet.
Katalin Karikó est née le 17 janvier 1955 (elle a donc 65 ans aujourd’hui) à Szolnok, dans le centre de la Hongrie. Mais c’est dans une petite ville voisine qu’elle a grandi et qu’elle est allée à l’école : Kisújszállás, qui compte aujourd’hui un peu plus de dix mille habitants, située dans le centre-est de la Hongrie, à deux heures de route de Budapest, dans la partie nord de la Grande Plaine, l’Alföld.
Pour la petite histoire, Kenderes, lieu de naissance et de résidence de la famille de Miklós Horthy, régent de la Hongrie dans l’entre-deux guerres, se trouve à seulement quelques centaines de mètres et le fief de la famille Sarkozy, à Alattyán, à une cinquantaine de kilomètres.
Fille d’un boucher, elle se serait éprise des sciences très tôt, dès ses années à l’école primaire et au collège réformé Móricz Zsigmond. Pour ses loisirs, elle joue dans l’équipe locale de basketball et participe aux camps d’été des jeunesses communistes, Magyar Úttörők Szövetsége. Elle a conservé de cette époque plusieurs certificats et médailles portant la mention fameuse pendant le kádárisme : « Pour les travailleurs, pour la patrie, en avant, inarrêtable ! » (A dolgozó népért, a hazáért előre, rendületlenül!).

Szeged, les belles années
Ses origines modestes et provinciales n’empêchent pas Katalin Karikó d’ouvrir les portes de l’Université de Szeged, pour y poursuivre des études supérieures. Cela grâce à une bourse d’études de la République populaire, la plus importante à l’époque, qu’elle décroche en 1975, 1976 et 1977.
En 1978, elle intègre le laboratoire de chimie des nucléotides de l’Institut de biochimie de l’Université de Szeged[1]Szegedi Biológiai Kutatóközpont, SzBK en tant que boursière de l’Académie hongroise des sciences. Elle y passera sept années, jusqu’à son départ pour les États-Unis. Entre-temps, elle soutient sa thèse de doctorat à l’Université Attila József de Szeged, en 1983.
« Ces années à l’Université de Szeged ont été la période la plus heureuse de ma vie. Nous avons beaucoup appris, nous sommes allés à des conférences et nous nous sommes exercés du matin au soir avec d’excellents professeurs ». Elle cite László Orosz (génétique), Gábor Bernáth (chimie organique), Imre Pávó (mathématiques), Lajos Ferenczy (microbiologie). « On avait aussi du temps pour s’amuser, c’était alors l’apogée de la discothèque, j’habitais le dortoir Herman à Újszeged, où il y avait une vie communautaire intense », se remémore-t-elle avec une nostalgie apparente.[2]Source : Interview publiée sur le site de l’Université de Szeged en avril 2020. https://u-szeged.hu/sztehirek/2020-aprilis/koronavirus-elleni?objectParentFolderId=25255
Côté vie privée, c’est pendant ces belles années qu’elle fait la rencontre de Béla Francia, en 1977, qu’elle épousera peu après à l’Hôtel de Ville de Szeged. Leur fille Zsuzsanna, qui naît en 1982 à Szeged, deviendra une grande championne d’aviron, double médaillée d’or sous les couleurs des Etats-Unis, à Pékin en 2008 et Londres en 2012.[3]Le site personnel de Zsuzsanna « Susan » Francia, championne d’aviron : https://www.susanfrancia.com/
Le départ de Hongrie et l’exil
« Je n’ai jamais voulu partir », assure-t-elle dans une interview qu’elle a donné au printemps au magazine G7[4]https://g7.hu/elet/20200331/ha-magyarorszagon-maradok-panaszkodo-kozepszeru-kutato-lettem-volna/. Elle raconte : « C’est le jour de mon anniversaire, en 1985, que j’ai été informée que je serais licenciée en juillet. J’ai essayé de trouver un poste en Europe, mais finalement j’ai dû aller jusqu’à Philadelphie. C’était une période stressante : nous venions d’emménager dans notre nouvel appartement, notre fille avait deux ans, tout allait bien et nous étions heureux, mais nous devions partir ».
La scientifique et sa famille n’ont pas eu de mal à décrocher la permission de sortir du pays. Mais détail croustillant pour les médias qui n’ont pas perdu une miette de cette anecdote : comme il était interdit d’emporter des devises, c’est en cachant le fruit de la vente de leur voiture dans l’ours en peluche de sa fille Zsuzsanna, l’équivalent de quelques centaines de dollars, qu’ils passent la frontière et disent viszontlátásrá à la Hongrie de János Kádár.
Le départ en exil a été difficile, mais c’est sans regrets aujourd’hui. « Nous nous sommes parfois demandé avec mon collègue János Ludwig si nous aurions pu accomplir le même travail dans notre laboratoire de Szeged. En nous en sommes arrivés à la conclusion que si nous étions restés, nous serions restés des chercheurs médiocres ». Non pas que l’Université de Szeged manque de talents – comme elle le rappelle, son patron d’alors, Jenő Tomasz, était un chimiste organique qui avait fait une découverte décisive dans la recherche sur l’ARN messager dès 1976.
Mais par manque de moyens. Car il faut de l’argent pour faire de la recherche. Une évidence que Katalin Karikó illustre en puisant dans ses souvenirs, toujours dans les colonnes de G7 : « quand j’ai eu l’idée de modifier l’ARNm, nous avons passé une commande de matériel pour la somme de cinq mille dollars, mais il s’est avéré que ce que nous avons acheté ne convenait pas. C’était douloureux de jeter cela par la fenêtre, car ça faisait beaucoup d’argent ».
Aujourd’hui, elle n’a plus vraiment de liens avec le monde de la recherche en Hongrie, outre une conférence à laquelle elle a participé à l’Université de Debrecen en 2017, portant naturellement sur l’application thérapeutique de l’ARNm. « Les chercheurs hongrois avec lesquels nous nous connaissons depuis longtemps travaillent principalement à l’étranger », explique-t-elle. Et de citer János Ludwig, chimiste organique à Bonn, ou encore le biologiste Tamás Kiss, qui a découvert comment la modification des nucléosides se produit dans l’ARN, au Laboratoire de Biologie Moléculaire Eucaryote (LBME) de Toulouse.
Au milieu des années quatre-vingt-dix, c’est l’impasse totale. Elle doit avaler sa rétrogradation, sinon c’est le limogeage pur et simple. La chercheuse n’a pas fauté, simplement les études autour de l’ARN messager, qui avaient suscité tant d’espoirs dans les années 70, n’apportent pas les résultats escomptés et ne sont plus financées.
Elle retraverse l’Atlantique et rejoint BioNTech
La biochimiste hongroise a passé la majeure partie de sa carrière à tenter de percer les secrets des mécanismes de l’ARN messager, dans l’espoir de mettre au point des thérapies géniques destinées à lutter notamment contre le cancer. A vrai dire, la vaccination contre les maladies infectieuses ne figurait pas dans ses projets.
Après l’Université de Szeged, elle pose ses bagages à la Temple University, à Philadelphie, qu’elle quitte après quatre années à cause d’un différend avec son patron. Elle exerce ensuite son talent à l’Université de Pennsylvanie (Upenn), mais au milieu des années quatre-vingt-dix, c’est l’impasse totale. Elle doit avaler sa rétrogradation, sinon c’est le limogeage pur et simple. La chercheuse n’a pas fauté, simplement les études autour de l’ARN messager, qui avaient suscité tant d’espoirs dans les années 70, n’apportent pas les résultats escomptés et ne sont plus financées..
L’arrivée dans la même université de l’immunologiste Drew Weismann la sort de l’impasse. En duo, ils sont les premiers à réussir à maîtriser les réactions immunitaires liées à l’ARN messager.
En 2013, elle rejoint l’entreprise de biotechnologie allemande BioNTech, créée à Mayence par un couple de médecins d’origine turque, Ugur Sahin et Ozlem Tureci. Ils sont convaincus que l’ARN messager peut bouleverser le traitement des maladies infectieuses, des virus pandémiques, dont les coronavirus. UPENN ne retient pas la biologiste.
Katalin Karikó raconte ainsi les circonstances qui l’ont conduit à retraverser l’Atlantique pour se mettre au service de BioNTech : « Ugur Sahin m’a invitée à donner une conférence à Mayence, le 17 juillet 2013. Il était attentif, direct, enthousiaste, simple. Je me suis sentie appréciée. Nous avons beaucoup parlé et nous nous sommes rendu compte que nous avions été élevés de la même manière. Je me souviens qu’il m’a dit qu’il aimait le fait que je sois honnête, transparente et que je ne fais pas semblant. A la fin de la journée, il m’a proposé de devenir vice-présidente de l’entreprise. » Elle poursuit : « Il avait de vrais projets cliniques. J’avais 58 ans, je voulais que mon travail serve vraiment aux malades. J’ai accepté. »
Un peu moins de sept années plus tard, un virus hautement transmissible d’humain à humain est détecté à Wuhan en Chine, le SARS-CoV-2 et se propage sur l’ensemble de la planète, occasionnant un million et demi de morts à ce jour. Deux vaccins basés sur l’ARN messager, plus simples et plus rapides à produire, sont privilégiés : celui de l’Allemand BioNTech associé à l’Américain Pfizer, et celui de Moderna.
Ces deux vaccins anti-COVID-19 utilisent tous deux la technologie sous licence de l’Université de Pennsylvanie. Ils devraient rapporter des sommes rondelettes à l’Université, au Dr Weissman et au Dr Karikó.
L’intéressée vit toujours à Philadelphie, mais passe le plus clair de son temps à Mayence en Allemagne, et effectue des petites visites dans sa ville natale de Kisújszállás. Prix Nobel ou pas, le maire Fidesz-KDNP l’a faite citoyenne d’honneur au mois de juin. « C’est un grand honneur. Kisújszállás, la ville où se trouvait ma maison, où j’ai grandi, où je suis allée à l’école, la ville dans laquelle je retourne avec plaisir aujourd’hui », a-t-elle commenté sobrement sur facebook.
Notes
↑1 | Szegedi Biológiai Kutatóközpont, SzBK |
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↑2 | Source : Interview publiée sur le site de l’Université de Szeged en avril 2020. https://u-szeged.hu/sztehirek/2020-aprilis/koronavirus-elleni?objectParentFolderId=25255 |
↑3 | Le site personnel de Zsuzsanna « Susan » Francia, championne d’aviron : https://www.susanfrancia.com/ |
↑4 | https://g7.hu/elet/20200331/ha-magyarorszagon-maradok-panaszkodo-kozepszeru-kutato-lettem-volna/ |