Karel Gott, le « Sinatra de l’Est » n’est plus

Le légendaire chanteur tchèque Karel Gott est décédé dans la nuit de mardi à mercredi. Célèbre dans le bloc de l’Est, mais aussi dans le monde germanique, l’étoile tchèque est pleurée par le monde de la politique et de la culture, en Tchéquie, mais aussi dans le reste de l’Europe centrale, en Allemagne et en Russie.

Karel Gott, né à Plzeň en 1939, est mort le 1ᵉʳ octobre 2019 à Prague.

« L’un des plus grands Tchèques que nous avons eu l’honneur de connaître », a écrit le premier ministre Andrej Babiš sur Twitter mercredi après l’annonce de la mort du chanteur, ajoutant « Maître, je vous respectais beaucoup ». Plus tard dans la journée, M. Babiš a annoncé que le gouvernement proposait à sa famille des funérailles d’État et un deuil national le jour de l’enterrement. Du côté de l’opposition, mêmes sons de cloche, tous les chefs de parti célébrant l’artiste et exprimant leur tristesse, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite.

Le président Miloš Zeman, lui, a immédiatement fait mettre en berne les drapeaux du Château de Prague et de sa résidence de Lany et a salué le chanteur : « Karel Gott était un vrai Artiste qui se donnait aux autres (…) Karel Gott a donné sa vie à des générations, il nous l’a donnée à nous tous ». Son homologue slovaque, Zuzanna Čaputová, a aussi envoyé ses condoléances, soulignant que Gott « a influencé beaucoup de générations en Tchécoslovaquie, pas seulement en République tchèque ».

L’empereur des Slavík

Au-delà de son talent et de sa popularité, qui lui a permis de vendre près de 50 millions d’albums et de remporter 42 des 57 prix Slavík remis depuis 1962 par le public tchécoslovaque, puis tchèque, à son chanteur préféré, Gott est aussi pleuré pour sa gentillesse et sa modestie. La chanteuse Yvonne Přenosilová, qui a chanté avec lui dans les années 60, a rappelé que Gott « ne se vantait pas, était toujours modeste, même si c’était une étoile ». Une autre artiste avec laquelle il a partagé l’estrade dans les années 70, Naďa Urbánková, a dit : « Je ne suis pas d’accord, je ne l’accepte pas, car je pense que Gott ne meurt pas ».

Signe que Karel Gott a toujours réussi à rester au diapason de son époque, les plus jeunes ont aussi été touchés par l’annonce de son décès. Ainsi, le jeune chanteur de 22 ans, Adam Mišík, a écrit sur Twitter : « Maître, vous étiez mon idole, personnelle et professionnelle ». Gott n’a pas eu peur non plus de chanter au son du hip-hop, entre autres avec le rappeur Leoš Mareš, qui a rappelé sur Twitter ce que Gott lui avait raconté sur Sinatra : « La lumière de son étoile nous touche encore, même si elle ne brille plus depuis longtemps ».

La conscience du pays

Le ministre de la Culture, Lubomír Zaorálek a surtout insisté sur le rôle joué par Karel Gott pendant l’époque communiste, déclarant sur Twitter que « Karel Gott était une personnalité extraordinaire qui parvenait à nous unir ». Plus tard, devant les caméras, le ministre a répété que le chanteur avait appris aux Tchèques à vivre ensemble et qu’« il tentait de nous amuser pendant une période difficile et de nous rendre la vie plus légère ».Parlant de l’apparition de Gott devant la foule lors de la Révolution de velours de 1989 aux côtés du chanteur Karel Krýl, de retour après vingt années d’exil, Zaorálek a rappelé que Gott avait joué un rôle en liant le passé et le futur, avait aidé à la transformation, au tournant des années quatre-vingt-dix.

Interrogé par la Télévision tchèque, le journaliste polonais Mariusz Szczygieł, grand connaisseur de l’âme tchèque, a dépeint Karel Gott comme une sorte de dieu pour une société tchèque désacralisée. De plus, il a souligné que Gott, qui n’a jamais remis en cause le régime communiste, a aidé les Tchèques à accepter leurs propres contradictions avec le passé. « Les gens se disaient : avec Gott on a vécu le communisme ; tant qu’il marchait au pas avec ‘ce qui était juste’, comme par exemple l’anticharte (ndlr: déclaration du monde de la culture fidèle au régime dénonçant les dissidents), alors les gens se disaient aussi que peut-être leur vie à eux était aussi OK ».

Un succès international

Tel que l’a déclaré le ministre des Affaires étrangères Tomáš Petříček, peu de gens en ont fait autant pour l’image du pays que Karel Gott. Le chanteur a percé en Allemagne à la fin des années 60, séduisant le public allemand, à l’Est comme à l’Ouest, avec son accent slave. Entre autres, il a bercé une génération d’enfants en devenant la voix du générique du dessin animé Maya l’Abeille, une chanson qui a trôné en tête des ventes en Allemagne de l’Est à l’époque. « Die goldene Stimme aus Prag », « la voix dorée de Prague », a gardé toute sa popularité après la chute du Mur de Berlin. C’est ainsi que le rappeur allemand Bushido, avec qui il a aussi chanté, était parmi ceux qui exprimaient leurs condoléances hier.

La nouvelle a fait la une des sites d’information en Allemagne et en Autriche, dont celle du magazine allemand « Der Spiegel » qui écrit : « Karel Gott, une des plus grandes étoiles du monde des tubes, est mort ». Un Gott rajeuni fait aujourd’hui la couverture du journal allemand le plus vendu, le « Bild », qui annonce que le chanteur est mort entouré des siens. Celui qui a aussi beaucoup tourné en Union Soviétique et puis en Russie, a aussi été salué là-bas. Ainsi, le tabloïd « Komsomolskaïa Pravda » a fait ses adieux au « roi de la pop tchèque » et à l’« étoile de la musique populaire internationale ».

Adrien Beauduin

Correspondant basé à Prague

Journaliste indépendant et doctorant en politique tchèque et polonaise à l'Université d'Europe centrale (Budapest/Vienne) et au Centre français de recherche en sciences sociales (Prague). Par le passé, il a étudié les sciences politiques et les affaires européennes à la School of Slavonic and East European Studies (Londres), à l'Université Charles (Prague) et au Collège d'Europe (Varsovie).

×
You have free article(s) remaining. Subscribe for unlimited access.