Une importante frange des Polonais cultive une perception négative des Allemands. C’est ce qu’atteste un récent sondage CBOS selon lequel 40 % des répondants ressentent de la réticence à l’égard de leur voisin occidental. Le fruit d’une rhétorique germanophobe menée depuis des années par le parti Droit et Justice au pouvoir. Analyse.
En 2015, l’arrivée au pouvoir du parti national-conservateur Droit et Justice (PiS) en Pologne représente un tournant décisif dans les relations polono-allemandes. En effet, le maître à penser de cette formation politique, Jarosław Kaczyński, entretient une phobie constante à l’égard de l’Allemagne. Celle-ci résonne avec sa feuille de route idéologique, basée sur une interprétation traumatique de l’Histoire. D’après lui, quand bien même la nation polonaise serait unique et forte, elle n’en demeurerait pas moins martyre du passé, vulnérable et en proie à un perpétuel danger.Ce narratif véhicule une dichotomie bien connue du jeu politique : la confrontation entre l’ami et l’ennemi. De fait, le courant majoritaire du Droit et Justice défend une politique historique rancunière : les plaies issues de la Seconde Guerre mondiale apparaissent impossibles à panser. Le meilleur symbole de ce malaise étant la demande de réparations de guerre faite à l’Allemagne pour compenser les pertes liées au conflit le plus destructeur du XXème siècle. Le gouvernement polonais a ainsi exigé plus d’1,3 milliard d’euros à son voisin en septembre 2022. Sans surprise, Berlin n’a pas répondu positivement à cette requête.
Une aubaine pour le PiS, qui s’est longtemps servi de cette décision pour diaboliser la posture allemande, polariser l’opinion publique polonaise et mobiliser son électorat fidèle. Une enquête IPSOS de janvier 2023 pour OKO.press et TOK FM révèle que 98 % des électeurs du Droit et Justice estiment que l’Allemagne devrait payer son dû à la Pologne. Rappelons que déjà en septembre 2022, 68 % des électeurs du PiS décrivaient le pays comme « ennemi plutôt qu’ami »[1]https://gospodarka.dziennik.pl/news/artykuly/8624170,reparacje-niemcy-polska-pis-sondaz.html. Des résultats qui font écho au lexique souverainiste et désinvolte de M. Kaczyński, qui allait même jusqu’à utiliser le terme de « IV Reich » pour décrire les initiatives allemandes sur la scène européenne.
Les intentions allemandes constamment questionnées dans le cadre du conflit ukrainien
La guerre en Ukraine et l’impérialisme russe viennent complexifier encore davantage la relation bilatérale tendue entre Varsovie et Berlin. Les choix stratégiques allemands à l’égard du voisinage oriental sont ainsi régulièrement mis en cause par le Droit et Justice. La visée étant de laisser transparaître une supposée “complaisance” à l’égard de la Russie.
Le gazoduc Nordstream II, reliant la Russie à l’Allemagne en contournant l’Ukraine par la Baltique, a longtemps dominé l’espace médiatique. Lors de sa mise en pré-service en octobre 2021, le PiS s’est efforcé de faire apparaître une analogie douteuse avec le pacte germano-soviétique de 1939, qui plongea l’Europe et la Pologne dans le chaos. Depuis, en raison de la crise ukrainienne, le chancelier allemand Olaf Scholz a bien suspendu le 22 février 2022 la certification du gazoduc.
Kaczyński estime que les Polonais devront faire un choix entre une Pologne pleinement indépendante et sûre, et une autre docile et servile face à l’Allemagne.
En plus du dossier énergétique, le volet militaire joue un rôle prépondérant. Au mois de novembre 2022, la proposition allemande de livrer des systèmes de défense anti-aérienne Patriot à Varsovie aboutissait à des insinuations surprenantes de la part de Jarosław Kaczyński. Il déclarait que « l’attitude de l’Allemagne jusqu’à présent ne [donnait] aucune raison de penser qu’elle décidera de tirer sur les missiles russes ». Malgré ces tentatives de déstabilisation, trois systèmes Patriot PAC-3 ont été délivrés par l’Allemagne à la Pologne. Opérationnels à la frontière Est du pays, ils sont épaulés par ailleurs par plus de 350 soldats venus d’outre-Rhin.
Dernièrement, l’hésitation allemande quant à la livraison de ses chars de combat Leopard II à l’Ukraine a aussi été exploitée par l’appareil politique du PiS. Un jeu schmittien cynique donc, mais somme toute prévisible.
Un épouvantail pour consolider la base électorale du PiS
Les joutes à l’égard de l’Allemagne sont bien sûr utilisées à des fins de politique intérieure. L’objectif du Droit et Justice est d’associer à cette image négative le grand parti d’opposition libérale, la Plateforme Civique. Son programme pro-européen serait synonyme de soumission à l’égard du leadership allemand. Aussi, son chef, Donald Tusk (ancien président du Conseil européen de 2014 à 2019), est souvent désigné comme « complice » dans les médias publics à la botte de l’exécutif. Des enregistrements où celui-ci s’exprime en allemand sont diffusés, ou encore des louanges passées qu’il adresse à Angela Merkel (ancienne chancelière fédérale allemande, 2005-2021).
Alors que les élections parlementaires auront lieu en Pologne cet automne, M. Kaczyński estime que les Polonais devront faire un choix entre une Pologne pleinement indépendante et sûre, et une autre docile et servile face à l’Allemagne[2]https://www.pap.pl/aktualnosci/news%2C1538509%2Cprezes-pis-niepodleglosc-nie-ma-ceny.html. Une manière d’éviter les sujets difficiles comme l’inflation, la démographie ou l’éducation. S’ils apparaissent comme les instigateurs principaux de ce genre de message, Jarosław Kaczyński et le PiS ne sont pas les seuls à les porter en Pologne : l’ensemble des partis politiques de droite radicale partagent cette ligne, consolidant une hostilité répandue vis-à-vis du voisin occidental.