Après Gyöngyöspata moins d’un mois plus tôt, c’est à Hejőszalonta, dans le Nord-est de la Hongrie, que Jobbik a mobilisé ses sympathisants et ses associations d’« autodéfense », samedi soir, pour provoquer et accuser collectivement l’ensemble de la communauté tsigane du meurtre d’une femme du village.

Toutes les entrées de ce petit village du département de Borsod-Abauj-Zemplén ont été bouclées par la police et plusieurs dizaines de policiers anti-émeutes ont été mobilisés, pour éviter que la situation, déjà tendue, ne dégénère en affrontement direct entre Roms et manifestants d’extrême-droite. La rue dans laquelle se concentre les Roms, en périphérie du village, a été évacuée, contre leur volonté, car ils avaient prévu de protéger eux-mêmes leurs habitations en formant une chaîne humaine le long du parcours de Jobbik.
Littéralement chassés de chez eux pendant cinq longues heures, tous ont été rassemblés une dizaine de mètres en retrait du parcours, derrière un cordon de barrières et de CRS. « Les responsables ne sont même pas du village !« , s’exclament des gamins, amusés par tant d’agitation et peu habitués à recevoir tant de sollicitude de la part d' »étrangers ». Très vite, une ambiance de kermesse s’installe entre les enfants, les parents et des militants arrivés de Budapest – du parti Lehét más A politika, du comité Helsinki et d’Amnesty International – notamment. Un ampli diffuse de la musique tsigane, qui vraisemblablement ennuie les enfants et les ados qui auraient préféré quelque chose de « plus moderne« . On leur distribue de la nourriture.
En marge, une hongroise d’une quarantaine d’années observe la scène avec amertume. Elle connaissait bien la personne assassinée dix jours plus tôt, qui lui achetait régulièrement du lait. Selon elle, ses agresseurs voulaient s’emparer de sa maison car les Roms essaient de faire fuir les gens du village. « La police ne fait rien. Moi, je mourrai s’il le faut, mais je ne partirai pas« , affirme-t-elle. Le maire de Hejőszalonta, József Anderkó, avait beau affirmer la veille que « 95% de la population est contre la manifestation de Jobbik« , force est de constater que peu d’entre eux se sont joints à cette contre-manifestation improvisée. Effectivement… au lendemain de cette journée, il concédait que Jobbik avait atteint son but en divisant ses administrés et que la moitié d’entre eux avaient finalement participé à la marche.

Jobbik réclame des statistiques ethniques pour la criminalité
A quatre cent mètres de là, la musique est différente. Sur fond de métal hongrois, plusieurs centaines de militants et sympathisants régionaux de Jobbik se sont rassemblés pour « une manifestation contre la terreur tsigane« . Le message des orateurs – Márton Szegedi et Zsol Egyedt, députés de Jobbik – est simple et limpide pour l’auditoire : Oui, il existe une « criminalité Tsigane« , « la pauvre Teréz néni » en est la nouvelle victime et le gouvernement de Viktor Orbán est incapable de protéger les « honnêtes Hongrois » contre les « criminels Tsiganes« . Ils réclament aussi l’établissement de statistiques ethniques de la criminalité en Hongrie.

A la tombée de la nuit, parés de torches, de drapeaux – Jobbik, Árpád et de la grande Hongrie -, les manifestants commencent une retraite aux flambeaux qui les conduit du stage municipal au quartier tsigane. A leur passage devant le rassemblement, ils hurlent à l’adresse des habitants locaux et de leurs soutiens « Tsiganes criminels !« , tandis que ceux-ci répliquent « dehors les Nazis! » et entonnent l’hymne national. Une manière de leur signifier : « Vous n’êtes pas la Hongrie ». Malgré les consignes de retenue promulguées par la présidente d’Amnesty, une vieille femme ne peut retenir un « Naci Géci !« . Arrivés devant la maison de la femme assassinée, ils déposent des bougies et les discours reprennent, pour marteler dans les esprits que Jobbik est la seule issue.

A l’autre bout du village, la « fête » se poursuit chez les Roms…avant que leurs bienfaiteurs d’un soir ne reprennent la route pour Budapest. Une fois encore, Jobbik a joué avec le feu. Mais le conflit larvé n’a pas éclaté. Le dérapage n’a pas eu lieu, celui qui servirait de prétexte à ce qu’ils sont de plus en plus nombreux à craindre dans les campagnes reculées de Hongrie : des affrontements interethniques.
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