Joanna, instit’ à Varsovie : « Il y a de l’argent pour les animaux et pas pour nous ?! »

Comme des centaines de milliers d’enseignants en Pologne, Joanna, institutrice dans une école à Varsovie, s’est mis en grève lundi. Pour enfin obtenir des salaires décents, mais aussi pour obtenir le « respect » et la « dignité » face à un gouvernement qui les méprise et les diffame.

(Correspondance à Varsovie) – Cheveux blonds coupés court, jean serré et blouse marinière Joanna Polcyn-Ostrowska, 47 ans, institutrice dans une école primaire à Varsovie, n’a pas eu souvent l’occasion de voir son école aussi déserte et silencieuse au beau milieu de l’année scolaire. Depuis lundi, la cloche ne sonne pas, la cour est vide et les enfants n’y courent pas dans tous les sens comme à l’ordinaire. La majorité de la cinquantaine d’instits’ de l‘école est en grève, à l’exception d’une poignée d’entre eux, dont les deux catéchistes.

Dans certaines régions de la Pologne, plus de 80 % des écoles se sont mises en grève nationale illimitée, à l’appel du syndicat ZNP qui réclame des hausses de salaires pour le corps enseignant et des meilleures conditions de travail pour eux-mêmes et pour leurs élèves. « Comme mes collègues, j’en avais ras-le-bol, et il ne s’agit pas uniquement des salaires qui sont très bas. Le pire, c’est qu’on ne respecte pas notre travail, et il est grand temps que ça change », explique Joanna.

Des salaires de misère…

« Je ne sais pas combien gagne un instituteur en France, prévient Joanna, mais en Pologne c’est de 600 à 700 euros. Et là, je parle d’un enseignant comme moi, qui a vingt-deux ans d’expérience, qui a fait des études supérieures, une maîtrise en pédagogie en l’occurrence, un diplôme post-maîtrise en éducation dans l’enseignement primaire et en plus d’une formation de socio-thérapeute ».

« J’en ai assez d’entendre dire que, nous les profs, nous sommes des parasites sociaux, qu’on a choisi ce métier pour profiter des grandes vacances d’été », dit cette femme qui enseigne dans les petites classes de la première à la quatrième, donc à des bambins âgés de six ans à neuf ans. « J’enseigne pratiquement tout à mes enfants, aussi bien les mathématiques que le polonais, le sport et les sciences naturelles. On passe ensemble toute la journée. En plus de cela, je dirige un atelier de cuisine pour eux après l’école ». Mais elle adore son métier et elle n’en changerait pour rien au monde.

La hausse des salaires est au cœur des revendications salariales, car les profs polonais comptent parmi les moins bien payés dans l’Union européenne et leur salaire a stagné voire régresser par rapport au coût de la vie ces dernières années. « La vérité, c’est que pour pouvoir partir en vacances, je dois prendre un job d’assistante en colonie de vacances pour pouvoir y emmener ma fille gratuitement. Je travaille donc bénévolement pour que ma fille parte en vacances. Mais ce ne sont pas des vacances pour moi ! ».

« Un instituteur en début de carrière n’a même pas 500 euros pour vivre », poursuit Joanna. S’il habite chez ses parents, ça va encore, mais s’il veut louer un studio à Varsovie qui coute 400 euros, il ne lui reste pas grand-chose pour manger… « N’est-ce pas Lénine qui a dit qu’un pays où un policier gagne plus qu’un instituteur est un régime policier ? », questionne-t-elle pour la forme. « Les profs en lycées, eux, ont encore la possibilité de donner des cours privés pour arrondir leurs fins de mois. Mais pas nous qui travaillons avec les tout-petits. C’est vraiment très difficile », se plaint-elle.

« On a besoin de respect pour notre profession. D’un peu de dignité. Et c’est pour cela aussi qu’on est là à faire grève ».

…et le mépris du gouvernement

Comme tous ses collègues qui font grève elle arbore un badge avec une inscription « PROTEST  8 avril 2019. ZNP ». Dimanche, les négociations de la dernière chance ont échoué entre le gouvernement conservateur Droit et Justice (PiS) avec ce syndicat majoritaire dans l’éducation.

La veille, le chef du parti conservateur, Jarosław Kaczyński, l’homme qui tire les ficelles du pouvoir en Pologne a promis une prime 500 + par vache et par cochon, soit 500 zlotys par bête (+/- 115 euros). Cette nouvelle mesure vient compléter une batterie de mesures sociales, comme la prime aux retraités au mois de mai dite « Emerytura + », des retraites pour les mères au foyer et bien sûr le fameux 500 + pour chaque enfant, le programme phare du PiS.

« C’est inimaginable de dire ce genre de choses ! Nous ne sommes pas des cochons, nous ne sommes pas des vaches. Il y a de l’argent pour les animaux et pas pour nous ?! », s’indigne l’institutrice. Ces propos de Kaczyński n’ont fait qu’accroître la colère des instituteurs qui depuis plusieurs mois tentent de se faire entendre, en vain.

« Quand il y a un mois le secrétaire d’Etat à la présidence, Krzysztof Szczerski, nous a conseillé de faire plus d’enfants, pour recevoir des allocations de 500 zlotys par enfant, c’était déjà la consternation. On a besoin de respect pour notre profession. D’un peu de dignité. Et c’est pour cela aussi qu’on est là à faire grève », explique Joanna.

L’incertitude est grande quant à l’issue de cette grève est illimitée. Les syndicats réclament une hausse de 1 000 zlotys (233 euros). Le gouvernement en propose 45 euros… « Difficile de dire combien de temps tout cela va durer…, moi en tous cas, je suis déterminée, je peux tenir longtemps s’il le faut. Même si c’est difficile pour ma famille car moi-même j’ai un enfant scolarisé, ma fille cadette a huit ans et l’aînée vingt. Pour l’instant on s’organise. Et puis notre directrice s’est montrée compréhensive. Elle nous a dit que si nous n’avions personne pour les garder, nous pouvions venir avec eux à la grève. Je vais peut-être devoir y aller avec ma fille Marysia si ça continue ».

Mais Joanna Polcyn-Ostrowska est de nature optimiste et veut le rester, en dépit de la campagne diffamatoire menée par le gouvernement contre les enseignants via la télévision publique. Un journaliste de droite est allé jusqu’à proposer de faire appel à l’armée. « Heureusement qu’on a le soutien des parents, qui se sont rangés derrière nous en majorité.  Mais pour combien de temps ? », s’interroge-t-elle. Elle reste confiante : « Je pense qu’on finira par trouver un arrangement. C’est d’ailleurs ce qu’on tente d’apprendre à nos enfants : la recherche du compromis. Aujourd’hui, c’est l’heure de vérité pour nous. Nous, les adultes nous devons passer le test et donner le bon exemple. J’espère que la grève ne va pas durer longtemps et qu’on finira par s’entendre. Mais quand ? il faut de la bonne volonté des deux côtés »…

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