« Jasna Góra » : la visibilité retrouvée des Polonais de Transnistrie

À la différence d’autres communautés polonaises dans le monde, celle de Moldavie – et en particulier de Transnistrie – demeure peu connue. Avec plusieurs confrères journalistes, Tomasz Grzywaczewski et Marta Rybicka ont décidé de lui donner de la visibilité et un précieux soutien.

Varsovie, correspondance – Pour la troisième année consécutive, un groupe de journalistes polonais apporte son soutien à une action caritative au bénéfice de familles d’origine polonaises vivant en Transnistrie, région sécessionniste de Moldavie, à l’occasion de la Saint Nicolas et de la fête de Noël.

Tomasz Grzywaczewski est l’un d’eux. Journaliste et auteur d’un livre de reportages[1]Dont Frontières de rêve. A propos de pays non reconnus [Granice marzeń. O państwach nieuznawanych]. Voir sa fiche sur le site de l’éditeur. réalisés dans plusieurs Etats non reconnus dont la Transnistrie, il explique avoir voulu faire plus qu’apporter son témoignage. Avec plusieurs confrères, dont Marta Rybicka[2]Site personnel : martarybicka.pl, photojournaliste, ils se sont engagés à faire bénéficier l’association locale organisatrice de l’événement – « Jasna Góra »[3]Site de l’association : dompolskiwraszkowie.cba.pl –  de la couverture médiatique à laquelle leur métier et leur réseau leur donnent accès, et à aider à la collecte de dons en Pologne.

« Nous faisons ce que nous pouvons pour les aider. La Transnistrie n’est pas reconnue par la Pologne : le soutien que peut apporter l’État à la communauté polonaise locale est par conséquent extrêmement limité. Ils dépendent donc fortement des dons privés », explique Tomasz. Grâce à leur soutien, l’initiative connaît un certain succès : de 2016 à 2017 les dons ont été multipliés par cinq. La recette du succès ? L’information : « les gens sont prêts à participer à cette action, et veulent aider la communauté polonaise de Transnistrie, explique Marta. Ce n’est pas la bonne volonté qui manque. Simplement, bien peu savent qu’elle existe ».

À la différence d’autres communautés polonaises, que ce soient celles d’Ukraine, de Biélorussie, de Lituanie ou du Kazakhstan, la communauté polonaise de Moldavie – et en particulier de Transnistrie – demeure en effet peu connue.

De qui parle-t-on ? Difficile d’estimer la taille ou d’établir l’origine de cette communauté polonaise avec certitude. Les organisateurs de l’action caritative avancent le chiffre de 8000 personnes d’origine polonaise vivant en Transnistrie, souvent descendants lointains de vagues de peuplements s’étant étirées entre le XVIe et le XIXe siècle.

Un chiffre difficile à vérifier. Les recensements réalisés en 2004 et 2014 par la Moldavie n’incluent pas le territoire de la Transnistrie ; et les sections consacrées aux différentes « nationalités » des habitants du pays n’indiquent pas systématiquement le nombre de « Polonais » déclarés, qui, du fait de leur faible nombre (environ 2383 personnes en 2004, soit moins de 0,1% de la population, derrière les Bulgares et les Gagaouzes, qui représentaient à la même époque respectivement près de 2% et plus de 4% de la population moldave), sont souvent inclus dans la rubrique « autres ».

Le recensement par religion ne permet pas d’avoir une image plus fidèle. Si certains affirment que doivent être comptabilisés comme Polonais les catholiques de Moldavie (environ 5000 fidèles en 2004, moitié moins en 2014), les chercheurs sont plus nuancés[4]A ce sujet, lire (en polonais) : Derlicki Jarek, « Narodziny czy odrodzenie? Polska tożsamość w Mołdawii », Etnografia Polska. En libre accès sur Academia.edu.

et soulignent d’une part que d’autres populations catholiques se sont établies en Moldavie (Allemands, Lituaniens), et d’autre part que certaines populations slaves habituellement associées à l’orthodoxie, comme les Ukrainiens, peuvent tout à fait avoir embrassé le culte catholique romain.

Enfin, qui serait à la recherche d’une Varsovie-sur-Dniestr perdrait son temps, tant l’identité polonaise s’est transformée au fil des siècles, aussi bien sous le coup des répressions ayant visé les expressions culturelles polonaises dans la Roumanie des années trente puis à l’époque soviétique, que du fait de mariages « mixtes ».

Ce qui se vérifie à l’échelle nationale, et notamment dans les grandes villes où les communautés polonaises sont les plus nombreuses (Chişinău, Băltţi, Rîbniţa) est toutefois infirmé à l’échelle locale – et en particulier au village de Slobozia-Raşcov, situé au Nord de la Transnistrie, où est née l’association « Jasna Góra ». Slobozia-Raşcov est considéré par les habitants de Moldavie comme un village polonais, avec son cimetière catholique, et son église où la messe est célébrée dans la langue de Mickiewicz – bien que la langue parlée par les habitants soit l’ukrainien.

L’identité polonaise, qui doit sa consistance au caractère relativement isolé de la communauté rurale qui y vit, est entretenue par un lien historique – avéré ou fictif – reliant le village aux anciennes frontières de la République des Deux-Nations qui s’étendaient jusqu’ici. L’héritage est revendiqué par l’association, qui gère dans la ville voisine de Raşcov un centre culturel nommé « Wołodyjowski », en référence au personnage principal du roman du même nom de Sienkiewicz prenant place dans la région. Le centre entretient ce lien éloigné mais précieux avec la Pologne en organisant en particulier des cours de langue, de danses et de chants polonais.

« On dirait que nous sommes plus unis à l’étranger qu’en Pologne »

Les fonds récoltés permettront d’une part aux enfants de Slobozia-Raşcov et de Raşcov de recevoir des cadeaux pour les fêtes, et serviront également à la mise en place d’une structure officielle à Tiraspol, capitale autoproclamée de la Transnistrie.

« L’idée est de monter en puissance, explique Marta. Nous voulons diversifier les activités de l’association, par exemple en aidant à la mise en place de bourses d’études. Le centre de Tiraspol permettra de donner un caractère plus officiel à l’institution », et favorisera les contacts futurs entre bénéficiaires et donateurs.

Il ne fait aucun doute que l’association joue un rôle dans la diplomatie culturelle de la Pologne et permet de rapprocher de ce pays et de l’Union européenne une partie de la population de Transnistrie. Néanmoins, Marta comme Tomasz insistent sur le caractère caritatif, voire humanitaire, de l’action qu’ils soutiennent : « ils vivent dans des conditions très dures. La vie à Tiraspol n’est pas facile, elle l’est encore moins dans une zone isolée de Transnistrie, en milieu rural et en zone frontalière ».

Dans ces conditions, l’engagement et la constance de Natalia Siniawska-Krzyżanowska, à l’origine du projet, et de Marek Pantuła, infatigable et précieux soutien de l’association « Jasna Góra » basé dans la ville de Przemyśl, forcent l’administration. Avec peu de moyens, dans le contexte politique que l’on sait, ils ont redonné vie et visibilité à la communauté polonaise de Transnistrie.

À ce titre, ils font partie du tissu associatif étonnant actif des Polonais de Moldavie. Selon la base de données de l’Office Central de la Statistique de la République de Pologne, la Moldavie (Transnistrie incluse) compte pas moins de 46 organisations et institutions culturelles polonaises (cimetières, écoles, médias, bibliothèques…). Interrogé sur l’origine de ce fourmillement d’activités pour une communauté somme toute peu nombreuse, Tomasz conjecture : « peut-être que nous sommes doués pour nous organiser et porter des projets collectifs ». Et ajoute, un brin ironique : « on dirait que nous sommes plus unis à l’étranger qu’en Pologne… ».

Notes

Notes
1 Dont Frontières de rêve. A propos de pays non reconnus [Granice marzeń. O państwach nieuznawanych]. Voir sa fiche sur le site de l’éditeur.
2 Site personnel : martarybicka.pl
3 Site de l’association : dompolskiwraszkowie.cba.pl
4 A ce sujet, lire (en polonais) : Derlicki Jarek, « Narodziny czy odrodzenie? Polska tożsamość w Mołdawii », Etnografia Polska. En libre accès sur Academia.edu.
Béranger Dominici

Journaliste indépendant à Varsovie.

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