« L’ascète Kaczyński » mis en cause dans une affaire de gros sous

Le journal polonais Gazeta Wyborcza a publié mardi 29 janvier des enregistrements embarrassants pour Jarosław Kaczyński, le chef du PiS, le parti qui gouverne la Pologne. L’apparente austérité de l’homme fort du pays n’est-elle qu’un écran de fumée ?, interrogent ses adversaires politiques.

– Un homme d’affaires autrichien du nom de Gerald Birgfellner a déposé une plainte Jarosław Kaczyński, le président du parti au pouvoir, le PiS.

– Birgfellner reproche à Kaczyński le non-paiement de ses prestations pour un montant de 9 millions d’euros, dans le cadre d’un vaste projet immobilier porté par une société liée au PiS, au cœur de la capitale polonaise.

– Gazeta Wyborcza a publié un enregistrement clandestin qui prouve l’implication directe du député Kaczyński dans ce dossier.

On la nomme déjà « l’affaire Srebrna », tant les révélations de Gazeta Wyborcza ont suscité de réactions ces dernières heures en Pologne. Du nom de la société Srebrna, dirigée par des proches de Jarosław Kaczyński, une entreprise qui projetait la construction d’un immense gratte-ciel de 190 mètres de haut à Varsovie, la « Srebrna Tower » ou la « K-Tower », de l’initiale du nom de Jarosław Kaczyński. ^[1]La part majoritaire de la société Srebrna appartient à la fondation de l’Institut Lech Kaczyński, présidé entre autres par le frère du président défunt. Srebrna possède des titres de propriété de nombreux bâtiments à Varsovie, notamment du siège du Droit et Justice, rue Nowogrodzka, et des villas voisines de la maison de Kaczyński dans l’arrondissement varsovien de Żoliborz. Le Conseil d’Administration de la Srebrna était dirigé par des collaborateurs du chef du PiS, notamment vice-président du parti Adam Lipiński. Maintenant, siègent encore Janina Gross, amie de la famille Kaczyński, et Jacek Cieślikowski, chauffeur et adjoint du chef du parti.

Le financement du projet immobilier était prêt, la banque Pekao S.A. tout juste renationalisée, ayant accordé un crédit de 300 millions d’euros pour l’investissement et 15,5 millions pour sa préparation destinés à l’entreprise d’un certain Gerald Birgfellner, un homme d’affaire autrichien et parent éloigné de Jarosław Kaczyński.

Mais la municipalité de Varsovie a fait barrage aux projets de la Srebrna. L’administration de Hanna Gronkiewicz-Waltz, membre du principal concurrent du PiS, la Plateforme civique, ne tolérant qu’une construction de 30 mètres de hauteur, donc très loin des 190 mètres de la K-Tower. Kaczyński a vu ses plans s’écrouler définitivement avec la défaite inéluctable de son parti à Varsovie lors des élections locales à l’automne dernier, défait par la Coalition civique. L’investissement au point mort, Gerald Birgfellner a réclamé le versement de sa rémunération qui devait s’élever à 9 millions d’euros, ce que Srebrna a refusé.

Un enregistrement clandestin qui provoque le scandale

Dans les enregistrements publiés mardi par le journal Gazeta Wyborcza et qui remontent au mois de juillet 2018, on entend Kaczyński dire à l’homme d’affaires qu’un permis de construire ne pourra être délivré que si son parti remporte la mairie de Varsovie à l’automne suivant.

Selon le journal, le chef du parti aurait ainsi assisté, dans son bureau à Nowogrodzka, à une vingtaine d’entretiens liés à ce projet de Srebrna, ce qui est contraire à la loi qui encadre les activités des députés. C’est d’ailleurs en tant que représentant de la société qu’il est mis en accusation par Birgfellner pour « escroquerie« .

L’opposition dégaine contre Kaczyński

Mais si l’affaire fait scandale, c’est aussi parce que Jarosław Kaczyński aime se présenter en « simple député » et en homme ascétique et à la probité irréprochable. Bien consciente de la mauvaise posture dans laquelle s’est empêtré l’homme fort du pays, l’opposition parlementaire est tout de suite passée à l’attaque, en déposant au parquet une nouvelle notification, accusant le chef du Droit et Justice de « protection payante, lobbying, transgression des prérogatives ». Trois députés de la Plate-forme civique – Cezary Tomczyk, Krzysztof Brejza et Marcin Kierwiński – soulignent que « [Cette affaire] met en cause le mythe de l’honnêteté et de la modestie personnelles de Jarosław Kaczyński, un mythe qui vaut aujourd’hui un milliard de zlotys (300 millions d’euros mentionnés – ndlr) dont il dispose illégalement ».

Selon ces députés, ceci montre que Jarosław Kaczyński, qui disait souvent que « l’on ne fait pas de politique pour avoir de l’argent« , comme ils le rappellent, « fait de la politique justement dans le but de réaliser des profits économiques ». Or, Wojciech Czuchnowski, co-auteur de l’article de Gazeta Wyborcza qui a dévoilé les enregistrements, souligne que le gratte-ciel projeté aurait rapporté chaque année à la Srebrna entre 250 et 300 millions de zlotys (de 6 à 7 millions d’euros). Selon lui, Jarosław Kaczyński cherche activement des sources de financement pour son parti.

Ryszard Petru, leader du nouveau parti Teraz! (Maintenant !), a également adressé une notification au parquet, visant le crédit accordé par la banque Pekao S.A. D’après lui, Jarosław Kaczyński aurait usé d’influence politique pour organiser le financement d’un investissement privé de la part d’une société directement liée à lui.

Une députée de la Plate-forme civique, ancienne collaboratrice de Kaczyński, Joanna Kluzik-Rostkowska, se dit convaincue que l’apparente austérité du chef du Droit et Justice n’est qu’une façade destinée à séduire l’électorat populaire, particulièrement sensible aux affaires d’argent. Selon elle, avec la publication des enregistrements, Jarosław Kaczyński vient de perdre ce précieux atout. « Jarosław Kaczyński est tombé dans son propre piège ».