« Les 2 minutes de la haine » de Miloš Zeman

Miloš Zeman a officiellement entamé, jeudi, son second mandat de président de la République. Mais son discours prononcé lors de la cérémonie d’investiture, dans lequel il a pris pour cible les médias et leur indépendance, lui a valu une volée de bois vert en retour. Revue de la presse tchèque de ce vendredi.

Crédit : Reuters.

C’est tout dire. Même l’Institut Václav Klaus, du nom de son prédécesseur au Château de Prague (2003-203) – qui n’était pourtant pas avare lui non plus de déclarations provocantes et populistes – a critiqué le discours de Miloš Zeman. « Cela a été un discours indigne [du contexte solennel] et malheureusement souvent déshonorant », estime ainsi l’auteur de l’analyse. « Nous soutenons Miloš Zeman, mais le moment n’était pas opportun pour régler ses comptes », a confirmé l’attaché de presse de l’Institut, en précisant que Václav Klaus, qui avait été un des premiers à féliciter son ancien adversaire pour sa réélection en janvier dernier, avait lu l’analyse et avalisé sa publication.

« Le cas Zeman », titrait pour sa part Respekt dans un commentaire mis en ligne sur son site. « Miloš Zeman n’a reçu qu’un peu plus de 51 % des suffrages lors du second tour de l’élection présidentielle (en janvier dernier), soit un résultat tellement serré que cela aurait pu l’amener à réfléchir, peut-on lire. Près de la moitié des Tchèques qui ont daigné se rendre aux urnes, ont voté contre lui – et une grande majorité d’entre eux ont eu la nausée quand ils ont appris qu’il avait gagné », constate l’hebdomadaire qui, un peu plus loin, regrette que le président n’ait « pas enterré la hache de guerre. Au contraire, il a montré tout au long de son investiture qu’il entendait intensifier sa lutte contre toute une moitié de la population. Durant son discours, pour lequel il a eu droit aux félicitations de Tomio Okamura (leader du parti d’extrême droite Liberté et Démocratie directe – 10,6 % des suffrages aux élections législatives en octobre dernier), il a attaqué tour à tour la Télévision tchèque, les ‘médias de Bakala’ et l’activisme citoyen. » [1]Homme d’affaires très controversé, Zdeněk Bakala, qui est une des plus grandes fortunes tchèques, est le propriétaire du groupe de presse Economia, qui publie, entre autres, le quotidien économique Hospodářské noviny et l’hebdomadaire Respekt. Inversement, les journaux Mladá fronta Dnes et Lidové noviny appartiennent à la maison d’édition Mafra rachetée par le groupe Agrofert, dont l’actuel Premier ministre Andrej Babiš a été le propriétaire jusqu’à l’année dernière. Et le commentateur répond lui-même à la question de savoir pourquoi Miloš Zeman agit de la sorte. « Peut-être a-t-il placé sa soif de vengeance au-dessus de tous ses autres objectifs – les médias cités l’ont souvent critiqué. »

« Une investiture par l’attaque », résume lui aussi Lidové noviny en gros titre de sa Une. « L’atmosphère était étouffante dans la salle », relate le quotidien pour expliquer qu’une partie des députés présents dans l’assemblée jeudi après-midi se sont levés de leur chaise et ont préféré quitter le Château de Prague plutôt que d’écouter jusqu’au bout les calomnies de son locataire.

Une liste d’ennemis à liquider

Dix jours après l’annonce de l’assassinat du journaliste d’investigation Ján Kuciak en Slovaquie voisine, les critiques des médias par Miloš Zeman ont donc été particulièrement mal perçues, et ce quasi-unanimement.

Hospodářské noviny compare même le discours et les attaques du président aux « deux minutes de la haine » du roman 1984 de George Orwell. « Il faut reconnaître sportivement que rares sont ceux à savoir exprimer leur haine aussi sincèrement », note ironiquement l’éditorialiste, qui souligne le besoin pour Miloš Zeman de focaliser son ressentiment sur un bouc émissaire – réel ou imaginaire, peu importe – qu’incarnent les médias, du moins ceux qui ne sont pas à sa botte. Le journal estime que ces mêmes médias sont pour lui « un ennemi universel comme George Soros l’est pour Viktor Orban et Robert Fico ».

C’est là également le constat que dresse Mladá fronta Dnes, un des autres principaux quotidiens tchèques, qui considère que le discours d’investiture de Miloš Zeman s’est résumé à « dresser une liste d’ennemis qu’il poursuivra tout au long de son prochain quinquennat ». Les journalistes, que le président tchèque rêve de « liquider » comme il l’avait glissé le sourire en coin à Vladimir Poutine l’année dernière, sont donc prévenus sur ce qui les attend et n’auront qu’à bien se tenir.

Notes

Notes
1 Homme d’affaires très controversé, Zdeněk Bakala, qui est une des plus grandes fortunes tchèques, est le propriétaire du groupe de presse Economia, qui publie, entre autres, le quotidien économique Hospodářské noviny et l’hebdomadaire Respekt. Inversement, les journaux Mladá fronta Dnes et Lidové noviny appartiennent à la maison d’édition Mafra rachetée par le groupe Agrofert, dont l’actuel Premier ministre Andrej Babiš a été le propriétaire jusqu’à l’année dernière.
Guillaume Narguet

Journaliste

Membre de la rédaction de l'édition francophone de Radio Prague

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