Après une pause de deux semaines, officiellement motivée par le Covid-19, les députés polonais ont repris leurs travaux à la diète. Reprise également des protestations à Varsovie, ce mercredi dans un contexte plus que jamais tendu entre policiers et manifestants.
Mercredi 18 novembre, les députés polonais devaient se réunir — pensait-on — pour discuter d’un projet de loi en rapport avec la décision du Tribunal constitutionnel le 22 octobre rendant illégal l’avortement en cas de malformation grave du fœtus. Or, face à la vague de protestations qui a suivi l’arrêt, le gouvernement n’a toujours pas publié l’arrêt du Tribunal, qui aurait dû paraître le 2 novembre au plus tard. « Il est bon de se donner du temps pour dialoguer et trouver une nouvelle position dans cette situation difficile, qui suscite de nombreuses émotions », avait fait valoir le ministre de la chancellerie Michał Dworczyk pour justifier les atermoiements du gouvernement.
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Le gouvernement doit en effet faire face à une crise politique aux multiples facettes. Sur son « flanc gauche », il se heurte à l’opposition du centre et de la gauche, catégoriquement opposée à toute restriction du droit à l’avortement. Ses membres les plus à gauche œuvrent d’ailleurs à une libéralisation de l’avortement et soutiennent à ce titre un futur projet de loi citoyen initié par le Comité « Avortement légal sans compromis » issu des manifestations. Ce projet visant à instaurer le droit à l’avortement jusqu’à 12 semaines de grossesse, porté par une majorité de gauche qui pèse peu, a cependant peu de chance d’être in fine adopté.
De l’autre côté, des tensions ont éclaté au sein même de la coalition du PiS entre les plus conservateurs qui voudraient voir la mise en place telle qu’elle de la décision du Tribunal constitutionnel – inscrire l’interdiction de l’avortement en cas de maladie du fœtus dans la Constitution — et ceux qui voudraient trouver un terrain d’entente. Face à la contestation sociale et politique, le président Andrzej Duda avait proposé fin octobre un projet de loi qui rendait l’avortement légal uniquement en cas de fœtus non viable. Loin de faire consensus, ce « compromis » n’avait fait qu’attiser les tensions et provoquer les foudres des progressistes et des conservateurs qui, d’un côté comme de l’autre, reprochent une demi-mesure.
Les discussions sur ce projet de loi avaient donc été reportées au 18 et 19 novembre. Or, ce mercredi, il n’en a rien été. Les discussions ont même carrément été évitées, comme le rapporte TVN24. D’après le vice-président du Parlement Włodzimierz Czarzasty, interrogé par la chaine de télévision mardi soir, le gouvernement préfèrerait faire l’impasse sur le sujet tant que la majorité n’est pas unie, enfreignant de facto les procédures réglementaires.
Il faut dire que cette discussion devait intervenir dans un contexte politique tendu où les oppositions à la majorité ne font que se multiplier, entre gestion de l’épidémie de Covid-19 et annonce du blocage du budget de l’Union européenne par le gouvernement polonais. Autant de sujets qui auraient dû être discutés ce mercredi, mais qui ont été à peine évoqués, toujours selon TVN24. A la place, la députée Monika Wielichowska, membre de la Coalition civique – une alliance des principaux partis d’opposition de centre droit à centre gauche — a pris la parole pour montrer sa carte d’identité brisée et dénoncer les contrôles violents de la police, postée devant le Parlement. Cette intervention a poussé Jarosław Kaczyński, chef du PiS, le parti qui détient la majorité parlementaire, à accuser l’opposition de gauche qui soutient les manifestations « d’avoir du sang sur les mains » la jugeant responsables de transmettre le Covid-19 lors des manifestations. Et ce, alors que le gouvernement se félicite, paradoxalement, du « ralentissement » de la pandémie en Pologne.
Une réponse plus policière
Ces contrôles policiers dont a été victime la députée s’ajoutaient aux rangées massives de barrières installées les heures précédentes autour du Parlement pour empêcher un blocus annoncé par les protestataires le soir même. Les manifestants ont alors décidé de transformer le blocus en marche, sauf que de très nombreux cordons de policiers leur ont pratiquement complètement barré l’accès au centre-ville. Loin du rythme de croisière que les manifestations de plusieurs milliers de personnes avaient adopté ces dernières semaines en bloquant totalement la circulation, les participants ont brisé quelques cordons quand cela était possible ou ont dû faire demi-tour face à la fermeté des forces de l’ordre.
C’est dans ce climat tendu que des incidents ont fini par éclater, notamment place Powstańców Warszawy, devant le siège de la TVP, la télévision publique polonaise, où s’étaient rassemblés la majorité des protestataires. Après quelques heures d’encerclement, les policiers ont fait usage de gaz lacrymogène et auraient également interpelé une dizaine de personnes. De nombreux manifestants dénoncent la présence dans la foule de policiers en civil qui n’ont pas hésité à matraquer les manifestants.
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Cette réponse policière tranche avec la stratégie jusque-là adoptée par les forces de l’ordre. Depuis le début de la contestation, essentiellement pacifique, il y a maintenant presque un mois, les heurts entre policiers et manifestants se sont faits rares. De même, si les forces de l’ordre encadraient les manifestations et que des militaires avaient pu être déployés pour protéger des sites clés, les manifestants avaient toujours réussi à marcher dans les rues pour rejoindre les points stratégiques de leur rassemblement. Loin d’être fini, ce mouvement de contestation anti-PiS a, hier, semblé prendre une nouvelle dimension.