A l’heure où The Sun – quotidien le plus lu au Royaume-Uni – prend officiellement position en faveur du Brexit, l’immigration originaire d’Europe centrale est l’un des sujets les plus polémiques de la campagne référendaire. Le scrutin aura lieu le 23 juin prochain.
Que l’on pense à Hammersmith, Ealing ou Balham, difficile d’échapper à Londres à la communauté polonaise, devenue depuis quelques années l’une des plus importantes du Royaume-Uni. Ainsi en 2015, sur les 2,7 millions de ressortissants européens, plus de 805 000 étaient des citoyens polonais, soit plus du tiers des migrants originaires de l’Union européenne. La même année, on dénombrait près de 350 000 Roumains, 79 000 Hongrois, 75 000 Slovaques, 65 000 Bulgares et environ 42 000 Tchèques, soient au total plus d’1,4 millions de ressortissants centre- ou est-européens. Cette immigration récente, principalement due aux différents élargissements de l’Union européenne depuis 2004, explique à elle seule que le nombre de ressortissants de l’UE aient dépassé en 2014 celui des immigrés originaires des autres régions du monde.
Ces «immigrés», que beaucoup de Britanniques aiment à distinguer des «expatriés» français ou allemands – alors que techniquement, les uns et les autres ont le même statut -, se sont ainsi largement immiscés dans la campagne référendaire sur le Brexit. Ce thème s’est solidement enraciné dans les arguments des détracteurs de l’Union européenne, lesquels voient chez ces ressortissants au choix, une menace pour le travail des Britanniques, ou bien pour l’État social. Concernant le premier aspect, il est toujours difficile d’évaluer les corrélations entre immigration et chômage, dans la mesure où les migrants prennent souvent des emplois dans des secteurs en pénurie de main d’oeuvre. Pour ce qui concerne le recours aux prestations sociales, les statistiques de Freedom of Information suggèrent que seuls 84000 ressortissants de l’UE auraient bénéficié jusqu’à présent d’une aide quelconque de l’État, tandis qu’une étude de 2013 de l’University College London portant sur la période 2001-2011 montre même qu’ils auraient contribué davantage au financement des services publics qu’ils en auraient bénéficié (différentiel de 34%).
En réalité, les partisans du Brexit auraient aimé pouvoir conserver le système discriminatoire qui avaient cours jusqu’en 2011. Les travailleurs issus des États membres d’Europe centrale et orientale devaient alors s’enregistrer dans le cadre du Work Registration Scheme et justifier de douze mois ininterrompus d’emploi avant de pouvoir prétendre à quelconque allocation ou aide sociale. Or pareil système ne pourrait que difficilement être reconduit, même en cas de Brexit. Si le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, il lui faudra ainsi choisir entre plusieurs scénarios de coopération avec Bruxelles. Entre le modèle turc d’union douanière, celui de l’Association européenne de libre échange (AELE) ou encore celui de l’Espace économique européen (EEE), seul ce dernier lui offrirait la possibilité d’un accès plein et entier au marché commun. A l’instar de l’Islande, de la Norvège et du Liechtenstein, cela impliquerait néanmoins le maintien de conditions de séjour et de travail privilégiées pour les ressortissants de l’Union européenne, assez proches finalement de la situation actuelle.
Face à cela, certains préconisent l’introduction d’un système de visa de travail à points, tel que pratiqué en Australie. Celui-ci repose sur une évaluation des compétences professionnelles entièrement indexée aux besoins en main d’oeuvre du pays. Là encore, dans la mesure où les ressortissants d’Europe centrale et orientale acceptent souvent les emplois les moins considérés sur le marché du travail, il est même assez probable que tel dispositif les favorise, aux dépens de ces très chers expatriés ouest-européens, que Londres aimerait pourtant garder à tout prix.
Si des mesures de rétorsion à l’accès au marché du travail britannique étaient finalement trouvées, il est sûr que les premiers à en payer les conséquences seraient les pays centre- et est-européens pourvoyeurs de main d’oeuvre. Même si l’émigration, notamment des plus jeunes, est souvent perçue comme négative sur les pays de départ, on constate dans les faits davantage des logiques de circulation que de rupture définitive. Comme l’observe la Banque mondiale, les migrations internationales ont des effets considérables sur la croissance et la réduction de la pauvreté dans les pays d’origine comme dans les pays de destination. Les transferts de fonds entre membres partis et restés d’une même famille contribuent souvent à une meilleure accumulation de capital, lequel est généralement réinvesti dans les localités d’origine.
Et les émigrés britanniques ?
Environ 1,2 millions de Britanniques vivent dans un pays de l’Union, hors Royaume-Uni. Les principales destinations de ces émigrés/expatriés sont l’Espagne, l’Irlande, la France et l’Allemagne. Ici encore, le devenir de cette communauté en cas de Brexit est incertain. Les militants du ‘Leave’ avancent l’argument selon lequel leurs droits acquis seraient protégés par la Convention de Vienne de 1969, mais personne ne peut l’affirmer à 100 %.
Quelle que soit l’issue de ce référendum, pour lequel les bookmakers pronostiquent le «Leave» (départ) gagnant, l’on peut s’attendre à ce le «problème de l’immigration» s’installe en tout cas durablement dans le débat public britannique. Alors que cette consultation populaire reste non-contraignante, il n’est pas exclu que le premier ministre David Cameron opte plutôt pour une renégociation des traités et accords avec Bruxelles que pour une sortie fracassante de l’UE. Si pareil pronostique se révèle exact, toute cette histoire n’aura alors servi qu’à alimenter la fabrique de nouveaux boucs émissaires.
Sources : The Migration Observatory, Office for National Statistics, MigrationWatch UK.