Les Sicules (székelyek en hongrois), un groupe magyarophone de Roumanie qui compte plus d’un demi million d’individus concentrés en Transylvanie orientale, revendiquent leur appartenance à la nation hongroise en même temps qu’une identité originale.
Article rédigé le 2 juillet 2007. |
Passé Târgu Mureş (Marosvásárhely en hongrois), on entre dans une région de basses montagnes difficile d’accès, le « Pays des Sicules ». Sur deux județ, Harghita et Covasna, les Sicules sont majoritaires à 80%. Hormis les plaques d’immatriculation et les drapeaux sur les bâtiments officiels, peu de signes indiquent que l’on est en Roumanie. Le tourisme thermal dont bénéficie la région cache mal un décor digne d’un film d’Emir Kusturica : les Dacia sont polluantes, les chevaux tractent des charrettes transportant le produit de lopins de terre exploités à la faux, sur des chaussées au bitume défoncé qui traversent des hameaux semblant être restés hors du temps. Cette « authenticité » qui fait le bonheur des touristes a, pour les locaux, une signification beaucoup moins folklorique : la région est restée sous-développée, à l’écart du monde moderne.
Székelyföld, une terre disputée
Les Sicules sont connus pour leur caractère fier, leur philosophie et leur humour singuliers, qu’on imagine hérités de leur passé de paysans soldats, gardiens durant un millénaire des frontières du Royaume de Hongrie. Lajos, retraité d’une usine qui a fermé depuis longtemps, se sent hongrois et connaît la biographie de Clemenceau par cœur, l’homme qui, par le Traité de Trianon, a « rejeté les Sicules dans les Balkans ». Dans le même temps, il n’hésite pas à dénoncer la légèreté des Hongrois de Hongrie, laissant une étrange impression à sa jeune interlocutrice de Budapest, Zsófi, qui constate : « les Sicules se sentent comme les vrais Hongrois ».
Cette identité propre, étouffée par un Etat centralisateur, s’accompagne de revendications autonomistes. En février 2007, les Sicules se sont prononcés à 80% pour une autonomie territoriale lors d’un referendum organisé par le Conseil national des Sicules dans les deux départements où ils sont majoritaires, mais considéré anticonstitutionnel par l’Etat roumain. Ces initiatives récurrentes entraînent des réactions virulentes de l’Etat roumain et entretiennent la méfiance entre Roumains et Hongrois.
« Des amis roumains ? Bien sur que non ! Avant je parlais bien le roumain mais j’oublie de plus en plus car je ne le pratique presque plus. Par exemple, je n’entre pas dans les magasins roumains à Marosvásárhely. A ma connaissance, c’est pareil pour tout le monde », commente Lehel, un Sicule de 29 ans. « Le clash est presque total entre les deux communautés », confirme Dorka, une étudiante de Budapest qui se rend fréquemment en Transylvanie. Les relations entre Hongrois et Roumains se sont gravement détériorées après le changement de régime, prenant une tournure dramatique en mars 1990 où de violents affrontements à Târgu Mureş avaient entraîné la mort de cinq personnes.
On comprend mieux, avec un tel voyage, le lyrisme qui accompagne chaque évocation de la Transylvanie par les Hongrois. Elle représente dans leur imaginaire ce que le Kosovo représente pour les Serbes : le berceau de leur culture et un paradis perdu.
Merci pour cet article intéressant 🙂
@Corentin Léotard
Vous allez finir par agacer Bucarest… 😉
Personnellement, je trouve le rapprochement avec Kosovo un peu maladroit. En effet, cet exemple de violence et extrémisme cadre mal avec les possibilités de dialogue des deux nations (hongroise et roumaine), qui ont fait des mains et des pieds pour être intégrées en UE.
Car à la lumière des différends de frontière qui ont été résolus avec civilité en Europe, force est de constater encore une fois : la maison commune européenne est l’unique solution!
faux! 🙂
Dire que Gesta Hungarorum, toutes les recherches et études, la communauté scientifique internationale et jusqu’aux guides touristiques hongrois actuels se trompaient en affirmant que la Pannonie serait le berceau de formation de la nation hongroise et que la Transylvanie serait le territoire d’expansion !
Si, en lisant cet article, j’ai appris que « non » – pour beaucoup de Hongrois la Transylvanie serait le berceau du peuple hongrois, me voilà pourtant tout confondu maintenant : comment se fait-il que le pape n’a pas envoyé la couronne en Transylvanie ?
Serait-ce quand même vrai que la présence hongroise n’était en réalité pas trop forte dans le berceau de la nation ?
Ou est-ce dû au fait qu’il y avait là-bas toutes les formations politiques valaques (dont celles de Gelou et Menumorout que le chroniqueur anonyme de Bela mentionne dans sa geste) dont les Hongrois ne se sont finalement prévalu qu’au milieu du Bas Moyen Âge ; dans ce cas, pour des raisons bien historiques, la Transylvanie ne devrait tout de même pas prendre la place de la Pannonie comme berceau de formation de la nation?