Depuis samedi matin, la parution du titre et le site internet du Népszabadság, principal journal de gauche en Hongrie, sont suspendus, les journalistes n’ont plus accès à leurs bureaux ni à leur messagerie électronique. Cette nouvelle suscite de très vives inquiétudes en Hongrie. Plusieurs milliers de personnes ont manifesté hier soir à Budapest devant le Parlement.
Budapest – Un journaliste, qui a quitté Népszabadság il y a quelques mois, témoigne pour Hulala : «Les journalistes ne savent pas ce qui est en train de se passer. Ils ont été informés par courrier samedi matin que leur travail est suspendu jusqu’à nouvel ordre mais que leur salaire continue à être versé. Le déménagement de la rédaction devait avoir lieu ce week-end, tout était dans les cartons prêt à être déménagé.» Une fête devait même être organisée ce dimanche par les journalistes afin de célébrer l’événement, selon Index. Un mensonge de la direction pour évacuer en douce les anciens locaux de la rédaction : depuis samedi matin, ceux-ci ne sont plus accessible par les membres du personnels. Les journalistes n’ont également plus accès à leur messagerie professionnelle.
Sur la page Facebook du Népszabadság sur laquelle ils ont encore la main, les journalistes écrivent : «Chers abonnés, la rédaction de Népszabadság a été informée en même temps que le grand public de la fermeture sans délai de notre titre. Notre première analyse est qu’il s’agit d’un putsch. Nous vous tenons rapidement informés».
«On a vu toutes sortes de scandales sur le marché de la presse ces dernières années, mais ce qui se passe maintenant, l’abolition du premier journal d’opposition, c’est sans précédent, du jamais vu en Hongrie, reprend le journaliste que nous avons interrogé. Et maintenant nous n’avons aucune idée de ce qu’il va se passer. Selon les journalistes, c’est l’assassinat du journal. On essaie de tuer le journal de façon brutale et sournoise.»
«Selon les journalistes, c’est l’assassinat du journal»
Des rachats en série pour un titre en difficulté
Fondé en 1956, Népszabadság est l’ancien organe officiel du Parti socialiste ouvrier hongrois (MSzMP) de János Kádár, le dirigeant de la République populaire de Hongrie. Après la transition démocratique, le journal a été rapidement racheté par le groupe de médias allemand Bertelsmann AG. puis en 2003 par le suisse Ringier et enfin en 2014 par l’homme d’affaire autrichien Heinrich Pecina. Le Parti socialiste hongrois (MSzP), dont il a toujours été proche, a vendu ses parts du capital (27,65%) en juin 2015.
Le journaliste que nous avons interrogé revient sur l’atmosphère qui régnait ces dernières années : «On était dans l’expectative depuis que Mediaworks avait repris le journal il y a quelques années, car son propriétaire, Heinrich Pecina, n’a aucun intérêt pour la presse en Hongrie et passe pour être un homme de paille. Il y avait des suspicions, des théories de complot, mais nous n’avons vu aucuns signes avant-coureurs de ce qu’il s’est passé ce samedi matin, ce qu’on ne peut appeler autrement qu’un « coup ».»
Derrière le putsch, de fortes inquiétudes sur l’indépendance de la presse quotidienne régionale
Faut-il voir derrière ce «putsch» une volonté du gouvernement conservateur de tuer un journal d’opposition, de prendre son contrôle, ou cela relève-t-il d’une stratégie purement économique ? Des sources proches du Fidesz avaient affirmé mi-septembre au site d’actualités Index que le nouveau propriétaire de Mediaworks, proche du gouvernement hongrois, avait racheté la société éditrice du journal non pas par volonté d’en prendre possession mais pour prendre le contrôle de 13 titres de la Presse quotidienne régionale
Ce samedi, la page internet du site indisponible affiche un communiqué de presse de Mediaworks, en hongrois et en anglais, selon lequel la société avait acquis le 30 septembre la société Pannon Lapok, «de façon à devenir un véritable éditeur de presse régionale, avec également une forte présence sur le marché de la presse sportive et les magazines« .
Le communiqué précise que : «Le tirage de Népszabadság a chuté de 74% ces dix dernières années, soit une baisse de 100 000 exemplaires, ce qui fait que depuis 2007, le titre a dû essuyer une perte de 5 milliards de forint, une situation qui s’est prolongé jusqu’à maintenant». L’objectif de l’éditeur serait «d’élaborer un nouveau modèle pour Népszabadság, qui soit mieux adapté aux tendances de l’industrie de la presse».
Des réactions de solidarité
Depuis l’annonce de la nouvelle, des marques de solidarité ont été exprimées de la part de plusieurs titres de la presse hongroise. Proche politiquement de Népszabadság, le quotidien social-démocrate Népszava a relayé les inquiétudes de collusion entre Mediaworks et le gouvernement dirigé par Viktor Orbán et appelé ses lecteurs à manifester à 18h devant le Parlement, sur Kossuth Lajos tér. D’autres titres marqués gauche ont exprimé la même grave préoccupation. Ainsi pour András Jámbor (Kettős mérce), le gouvernement a décidé «de liquider l’un des plus vieux titres de presse du pays».
Le Magyar Nemzet, classé à droite, a également exprimé sa vive inquiétude estimant que «la façon dont Mediaworks procédait avec les journalistes était inacceptable». Dans un communiqué officiel de sa rédaction, le journal conservateur a pris position contre un choix brutal, «que le grave déficit financier ne permet pas à lui-seul d’expliquer», prenant toutefois avec précaution les accusations d’une ingérence par le pouvoir. Le site d’information conservateur Mandiner a également publié un communiqué dans lequel il rappelait son attachement à la diversité de la presse d’opinion.
Du côté des partis politiques, le Parti socialiste hongrois (MSzP), ancien actionnaire historique du titre, évoque le 8 octobre comme le «jour noir» de la liberté de la presse en Hongrie et exprime sa plus grande solidarité avec les journalistes du Népszabadság. L’ancien Premier ministre de gauche, désormais chef de la Coalition démocratique (DK), Ferenc Gyurcsány a violemment critiqué le «plus grand crime jamais commis par Viktor Orbán» et a appelé tous ses militants et électeurs à se mobiliser de toutes les façons pour soutenir la démocratie en Hongrie. Même son de cloche du côté d’Együtt et de Dialogue pour la Hongrie (PM). Une autre politique est possible (LMP) demande de son côté au Fidesz, le parti au pouvoir, de démontrer qu’il n’est pas impliqué dans l’affaire.
Le Fidesz a également réagi samedi après-midi en exprimant ne pas vouloir se mêler de la secousse qui atteint Népszabadság, estimant que c’est prendre position «qui serait une atteinte à la liberté de la presse» (source : Blikk).
Plusieurs manifestation ont été prévues : l’une samedi à 17h30 à l’appel des socialistes (MSzP), devant le siège de Mediaworks (Futó utca, dans le 8e) et l’autre, plus large, à 18h devant le Parlement (lien vers l’évènement Facebook).
17h00 : Information Hulala (émission Tilos Rádió) | Les journalistes de Népszabadság ont décidé de se rendre à leurs bureaux demain afin de faire comme si la publication de leur journal n’était pas suspendue.
18h05 : Information Népszava | Le journal de gauche évoque de nombreuses rumeurs selon lesquelles une société aurait été créée par deux très proches de Viktor Orbán afin de racheter plusieurs titres de presse détenus par Mediaworks. Selon une information non confirmée, il pourrait s’agir de Gábor Liszkai, rédacteur-en-chef de Magyar Idők et de Lőrinc Mészáros, maire Fidesz de Felcsút, le village d’enfance du Premier ministre hongrois.
19h30 : Le direct de Kettős Mérce
9h00 : Le maire MSzP de Salgótarján, Máté Huszár, a annoncé la rupture du contrat qui liait la municipalité à Mediaworks dans la diffusion du journal local Salgótarján Ma en solidarité avec les salariés du Népszabadság.
10h :
#Hongrie #Népszabadság Les journalistes se rendront aujourd’hui à 14h à leurs bureaux pour essayer d’y entrer et travailler normalement https://t.co/PxH2uVcoUn
— Hulala (@Hulala_org) 9 octobre 2016