Face au laisser-faire de l’État, les villages touristiques de Hongrie se barricadent

Le dirigeant autoritaire Viktor Orbán a décidé…de ne pas décider. Ce sont donc les habitants des communes touristiques qui doivent se protéger eux-mêmes contre l’afflux de touristes à Pâques et la propagation de l’épidémie de coronavirus. En se barricadant s’il le faut.

On n’a jamais vu un village aussi désert un week-end de Pâques ! Le marchand de glaces est fermé, la pizzeria est fermée, la « Renaissance » aussi, ce restaurant où un diplomate marocain plus tard testé positif au SARS-CoV-2 a festoyé au mois de mars. La route qui monte à la citadelle qui surplombe le Danube sur son promontoire est bouclée, comme le château et les espaces de loisirs autour. Le bac qui convoie les randonneurs budapestois sur l’autre rive du Danube ne fait plus la traversée depuis plusieurs jours. Visegrád devrait grouiller de touristes en temps normal, mais cette année, le petit village du nord de la Hongrie, à quarante kilomètres de Budapest, a fait portes closes.

Ce n’est pas de gaieté de cœur, car ce lieu de villégiature tire sa relative prospérité de ses hôtels, de ses restaurants et de ses chambres d’hôtes, qui font le plein de touristes à la belle saison, venus de Budapest et d’ailleurs dans le pays, mais aussi d’Allemands et de tout ce que l’Europe compte de nationalités. Mais les Visegrádiens ont décidé de se protéger eux-mêmes. Le week-end précédent, des touristes ont afflué pour profiter du soleil au bord du Danube et dans les collines environnantes, sans rencontrer la moindre restriction. Alors que le pays est censé être soumis à un état d’urgence depuis la mi-mars qui interdit les rassemblements, impose une distance d’1,5 mètre entre deux personnes et impose aux Hongrois de ne sortir de chez eux que pour aller travailler, pour faire leurs achats essentiels ou s’occuper d’un proche.

A l’approche d’un week-end de Pâques de quatre jours avec une météo au beau fixe, le moment était crucial pour éviter une propagation de l’épidémie, notamment de Budapest (la zone la plus touchée en Hongrie) vers les lieux de villégiatures autour du Balaton et dans la courbe du Danube. Le premier ministre devant s’exprimer jeudi, la veille du grand week-end pascal, chacun s’attendait à ce qu’il fasse usage des « super-pouvoirs » que lui a conféré le parlement pour une durée illimité et qui ont suscité les vigoureuses critiques d’organisations internationales et fait dire à certains que, cette fois, la Hongrie est belle et bien une dictature. Mais à la surprise générale Viktor Orbán n’a pas ordonné le confinement, préférant donner aux municipalités le pouvoir d’émettre leurs propres restrictions. D’autant plus étrange qu’un projet de loi, enterré au début du mois d’avril, prévoyait d’ôter toute autonomie aux municipalités en matière de lutte contre l’épidémie due au coronavirus.

Visegrád, le 11 avril 2020. @CL / Le Courrier d’Europe centrale
« Restez chez vous ! ». Visegrád, le 11 avril 2020. @CL / Le Courrier d’Europe centrale
On se barricade !

Face au laisser-faire de l’État central, Visegrád et les autres localités touristiques du bord du Danube et du Balaton ont émis des messages exhortant les touristes à ne pas venir mettre en danger les populations locales. Balatonfüred, Tihany, Hollókő, Velence, Tokaj, Szentendre, Zebegény… Sur les forums privés sur internet, les esprits se sont échauffés, des habitants zélés promettant d’aller protéger, de leurs mains s’il le faut, leur communauté. Grâce aux pouvoirs spéciaux octroyés par le gouvernement, une petite milice citoyenne légitime – la polgárőrség – a dressé à Visegrád des cordons interdisant l’accès à tous les parkings et bloquant les entrées du village. Seul un point d’entrée filtrant a été laissé, où se relaient des polgárőrök depuis vendredi matin 8h jusqu’à lundi soir. Celui qui n’est pas en possession d‘une carte de résidence du village, est prié de rebrousser chemin illico. Dans le village, la polgárőrség veille au grain et celui qui ressemblerait par trop à un randonneur du dimanche est rapidement questionné par le quidam du coin.

Cette situation n’est pas inédite. Le taboïd Blikk rapporte par exemple que des habitants de Badacsonytomaj ont eux-mêmes barricadé leur localité ! Les touristes avaient déjà été repoussés par la fermeture des plages et des parkings décrétées par les autorités municipales, comme dans beaucoup de stations au bord du lac. Mais eux ont souhaité aussi tenir à distance les propriétaires d’une résidence secondaire, empêchés de venir y séjourner.

Visegrád, le 11 avril 2020. @CL / Le Courrier d’Europe centrale
Un jeu politique malsain

Pourquoi Viktor Orbán a-t-il tenu à concentrer tous les pouvoirs dans ses mains – isolant un peu plus son pays en Europe – pour se défausser ensuite sur d’autres ? Pourquoi ne pas avoir décidé d’interdire le temps de ce week-end particulier les déplacements ? C’est un comble, la Hongrie d’Orbán parait aujourd’hui bien laxiste au regard des autres pays de la région. Dans la Slovaquie voisine, le chef du gouvernement Igor Matovič – qui ne fait pas d’apparition sans son masque facial – a lui interdit purement et simplement les déplacements entre les départements du pays pour éviter que les Slovaques n’aillent passer Pâques à la campagne.

Un jeu politique trouble s’est installé entre le gouvernement et les municipalités et plus particulièrement entre Viktor Orbán et Gergely Karácsony, le maire de Budapest, principale menace pour le Fidesz aux prochaines élections législatives dans deux ans. La municipalité de Budapest a fermé, le temps du week-end, ses principaux lieux de détente, telle que l’île Marguerite, mais le gouvernement a lui laissé ouvert le Bois de Ville placé sous sa juridiction. D’autre part, le Fidesz et ses médias affidés accusent le maire de Budapest d’être responsable de la propagation du coronavirus dans une maison de retraite de Budapest, où 126 résidents ont été infectés, ce que Karácsony conteste formellement, documents à l’appui. On dénombre officiellement à ce jour 1 500 personnes infectées et un peu plus d’une centaine de personnes décédées en Hongrie. C’est sans doute dans ces semaines cruciales pour protéger la population hongroise de la pandémie que se jouent les prochaines élections. Peut-être aux dépens de la santé publique…

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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