La campagne menée par le mouvement populiste ANO du Premier ministre Andrej Babiš, le grand favori en République tchèque, est symptomatique du faible intérêt porté par une grande majorité de Tchèques aux élections européennes…mais aussi de leur très grand pragmatisme.
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Les élections européennes 2019 vues par Le Courrier des Balkans et Le Courrier d’Europe centrale |
« S Orbánem nepůjdu« , littéralement « Je n’irai pas avec Orbán », était le titre d’une interview publiée lundi dernier par le quotidien Hospodářské noviny, dans laquelle Andrej Babiš l’assure : il ne s’alliera pas au Parlement européen avec Viktor Orbán si celui-ci devait bien quitter le Parti populaire européen. « Non, Jésus Marie Joseph, non. Nous n’envisageons pas [une telle possibilité]« , a répondu le Premier ministre à la question de savoir si les députés du mouvement ANO (centre-droit) resteraient au sein de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE) ou si lui ne réfléchissait pas à la création d’une nouvelle fraction avec son homologue hongrois.
N’empêche, le chef du gouvernement tchèque, qui affirme considérer Viktor Orbán « comme un ami », a lui aussi mené une campagne aux relents très nationalistes. Pour « Une Tchéquie forte », qui était le slogan qui barrait la casquette rouge qu’il portait dans le style Donald Trump le jour du lancement de la campagne le 2 mai dernier, et pour « Une Tchéquie que nous protégerons – avec force et sans compromis », comme on a pu le lire sur les affiches qui ont fleuri le long des routes un peu partout dans le pays ces dernières semaines.
Dans la même interview mentionnée ci-dessus, Andrej Babiš a toutefois bien eu du mal à préciser de quoi, au juste, il entendait « protéger la Tchéquie ». « Nous la protégerons de toutes les absurdités qui proviennent de l’UE, a-t-il déclaré. Par exemple quand ils nous disent que nous n’avons pas à avoir d’énergie nucléaire et nous disent quel devrait être notre mix énergétique. » Au journaliste qui lui a alors fait remarquer qu’il n’appartenait qu’à la République tchèque de décider de ses sources d’énergie et que l’UE n’avait pas son mot à dire, le chef du gouvernement a rétorqué : « Mais l’UE ne considère pas le nucléaire comme une source propre. Et nous protégerons la Tchéquie aussi des Etats membres qui affirment que parce que les Tchèques ne prennent pas de migrants, ils n’ont pas leur place dans l’espace Schengen. Je parle là du dernier discours de monsieur le président Macron. Nous la protégerons aussi des projets absurdes pour la production des voitures électriques, par exemple. »
« Comme s’il s’agissait d’élections législatives. Les nationalistes contre les pro-européens, la peur du monde ou de s’ouvrir à celui-ci. »
Une campagne tchéco-tchèque
A Prague, nombreux ont été les politologues, analystes et autres éditorialistes à regretter que la campagne qui a précédé ce scrutin européen mette par trop l’accent sur des thèmes nationaux. « Aucun grand élan. Aucune stratégie commune. Une grande inconnue quant à savoir de quelles fractions les partis tchèques entendent faire partie au Parlement européen. Une campagne tchéco-tchèque sans les thèmes internationaux qui résonnent en Europe : le climat, le plastique, la sécheresse. Comme s’il s’agissait d’élections législatives. Les nationalistes contre les pro-européens, la peur du monde ou de s’ouvrir à celui-ci », regrettait ainsi, mercredi, à l’avant-veille de l’ouverture des bureaux de vote, Petr Janyška, ancien ambassadeur tchèque en France, sur le site Aktualne.cz dans un texte intitulé « Elections européennes : le calme provincial de la campagne tchèque ».
Cette description pourrait être celle de la campagne menée par ANO, qui a remporté les élections législatives en octobre 2017 en recueillant près de 30 % des suffrages et qui figure toujours largement en tête des derniers sondages. Selon la dernière étude menée en avril par l’agence STEM, le mouvement créé par Andrej Babiš en 2012 est crédité de 34 % d’intentions de vote, loin, très loin devant le parti conservateur ODS (13,4 %), les Pirates (11,1 %) ou encore la formation d’extrême droite Liberté et Démocratie directe – SPD (9,8 %) et le parti communiste (9,5 %).
Le 1er mai dernier à Varsovie, à l’occasion de la cérémonie organisée pour le quinzième anniversaire de l’adhésion de dix nouveaux pays à l’UE, parmi lesquels huit d’Europe centrale et de l’Est, Andrej Babiš avait souligné combien il serait nécessaire, selon lui, de « réformer l’UE ». Le Premier ministre tchèque estime que le pouvoir devrait appartenir à « des États membres forts » et que la Commission européenne devrait « être à leur service ». Une Commission à laquelle il a reproché d’être « politisée », « hors de la réalité », et que cela était « inacceptable pour la Tchéquie ».
En somme, il serait « acceptable » pour le chef du gouvernement que la République tchèque puisse décider seule de l’usage des subventions en provenance des fonds européens, dont le pays a très largement profité – et certainement pas toujours à bon escient – en l’espace de quinze ans. Car le « diktat de Bruxelles », finalement d’abord considéré comme une excellente vache à lait, aura été un des autres principaux thèmes d’une campagne au cours de laquelle Andrej Babiš a souvent répété qu’il n’y avait « pas d’autre alternative » que d’être membre de l’UE.
Macron ne veut pas de Babiš dans sa nouvelle famille pro-européenne
ANO, dont tous les sondages laissent à penser qu’il remportera ces élections européennes, pourrait obtenir de six à huit mandats d’eurodéputés. Reste à savoir à quelle fraction le mouvement, représenté pour l’heure par deux députées au sein d’ALDE, se ralliera. Emmanuel Macron ne souhaite pas que le mouvement d’Andrej Babiš intègre le nouveau groupe central pro-européen qu’il entend construire au lendemain du scrutin.
En tous les cas, le mouvement ne figurait pas parmi les alliés européens de La République en marche (LREM) invités récemment à Strasbourg, au contraire de huit autres formations membres d’ALDE. Le populisme d’ANO dérangerait les responsables de la LREM, comme l’a confié son député Bruno Bonnell à l’hebdomadaire Respekt lors de son récent passage à Prague, précisément pour chercher de nouveaux alliés susceptibles « d’intégrer la famille ». Une famille pro-européenne dont Andrej Babiš s’éloigne peu à peu avec son discours toujours plus euro-pragmatique. Mais promis promis, il n’ira pas pour autant avec Orbán.