L’Europe centrale, la Chine et la nouvelle Route de la soie

Jarosław Kaczyński, le chef de Droit et Justice (PiS), le parti conservateur au pouvoir en Pologne, a rendu visite au premier ministre slovaque, Robert Fico, au début du mois de février. Au programme : des discussions liées à l’énergie, et la coopération au Format « 16 + 1 ». Un partenariat stratégique qui lie la Chine aux pays d’Europe centrale et orientale.

 

Cinq ans après la signature de la Déclaration du partenariat stratégique entre la Chine et la Pologne, l’un des pays les plus investis dans la coopération au format « 16 + 1 », la Chine accélère le pas. Les échanges avec la Pologne, qui ont dépassé les 20 milliards d’euros en 2015, ont été multipliés par six depuis 2004. La Pologne n’est pas un cas isolé en Europe excentrée, et la Chine continue sur cette lancée.

Le format « 16+1 » est une alliance entre la Chine et 16 pays d’Europe centrale et orientale (PECO). Aux pays d’Europe centrale – Pologne, République Tchèque, Slovaquie et Hongrie – s’ajoutent les États baltes : Estonie, Lituanie et Lettonie. Ainsi que certains pays des Balkans : Albanie, Roumanie, Bulgarie, Slovénie, Serbie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Croatie et Macédoine. Tous ont signé plusieurs accords de coopération avec la Chine, au sommet de Varsovie en 2012, de Bucarest en 2013, de Belgrade en 2014, de Suzhou en 2015 et de Riga en 2016.

Avant tout : un « dialogue stratégique »

Cette collaboration internationale doit permettre le développement économique de la partie orientale de l’Europe, et aussi l’épanouissement commercial des plus petites puissances. Cédric Pellen, chercheur en sciences politiques et spécialiste de la Pologne nous explique : « A un niveau plus politique, [ces puissances] espèrent peut-être également pouvoir affirmer ainsi leur autonomie diplomatique par rapport aux pays d’Europe de l’Ouest ». L’objectif est de former un contre-poids économique et d’accroître la visibilité des 16 États sur le plan international.

Dans un premier temps, un « dialogue stratégique » a été instauré entre la Chine et la Pologne. Cette dernière étant le partenaire commercial de la Chine le plus important au sein des PECO, il fallait privilégier la communication entre ces puissances. Des visites annuelles ont été programmées entre les deux vice-ministres des affaires étrangères pour contribuer au développement d’un consensus politique et poser les orientations fondamentales de la coopération dans des domaines tels que l’économie, l’industrie, l’agriculture, la culture, la science et le tourisme.

Une route de la soie 2.0

Les échanges matériels et concrets entre l’Europe centrale et orientale et la Chine sont amenés à se multiplier : la création d’une nouvelle « route de la soie » est en projet. Appelée « Road and Belt » (la Route et la Ceinture), celle-ci reliera le Sud-Est asiatique à l’Europe par les voies maritimes et terrestres. Les quatre corridors s’appuient sur des accords économiques régionaux qui, mis bout à bout, formeront un réseau commercial à l’échelle continentale. Outre le corridor du BCIM (Bangladesh, Chine, Inde, Myanmar), ont également été retenus sont le couloir économique sino-pakistanais, le couloir économique Chine-Mongolie-Russie et le corridor sino-vietnamien.

Grâce à ces réseaux de coopération économique, le transport de marchandises sera facilité : autoroutes, chemins de fer, gazoducs, oléoducs, réseaux de fibres optiques sont en projet. Cette nouvelle route de la Soie ira jusqu’en Europe de l’Est par la Mer Méditerranée et le continent asiatique pour importer les produits chinois directement en Europe orientale. Espace Schengen oblige, avec la concrétisation de ce projet, c’est la porte ouverte à l’Europe toute entière pour la Chine

Un pour tous et tous pour un

Cette nouvelle route de la soie est une aubaine pour les PECO qui voient en elle le moyen de rompre leur dépendance à l’Allemagne et à la Russie en matière de commerce extérieur. Car si la Chine importera plus en Pologne -celle-ci est le plus grand partenaire commercial de la Chine au sein des PECO – c’est également l’inverse qui se produira. La Pologne exportera plus en Chine et sera donc moins dépendante de ses actuels pays consommateurs : avec plusieurs clients, elle sera plus encline à décider pour elle-même.

Malgré ça, la balance commerciale reste très inégale : la Chine est beaucoup plus importante dans le marché polonais qu’inversement. Ce déséquilibre créé un fort écart dans ce traité asymétrique : le Président polonais Andzrej Duda négocie depuis plusieurs années avec la Chine pour augmenter la part d’importations polonaises et bénéficier d’un traité plus égal. Ce qui semble compromis au premier abord : pourquoi la Chine entreprendrait une relation « d’exclusivité » avec la Pologne au détriment d’importations plus rentables ? Une diplomate chinoise de haut rang a déclaré à Xinhua News Agency, l’agence de presse chinoise : « Une augmentation des importations chinoises de produits agricoles d’Europe centrale et orientale donne non seulement davantage de choix aux consommateurs chinois, mais favorise également le développement économique des pays de cette région, alors que la présence active de la Chine dans des projets d’infrastructure des pays d’Europe centrale et orientale, tels que le chemin de fer entre la Hongrie et la Serbie, aide non seulement des entreprises chinoises à pénétrer le marché mondial, mais contribue aussi à la modernisation de l’infrastructure et de l’interconnectivité des pays d’Europe centrale et orientale ».

La Chine voit donc dans ce partenariat un moyen de raccourcir le temps d’acheminement entre son pays et l’Europe, elle espère moderniser l’Europe centrale à son profit. Quant aux pays d’Europe centrale et orientale, d’après Cédric Pellen, « ils espèrent certainement bénéficier économiquement de ces potentiels futurs investissements ». Ils se servent de la Chine pour financer en partie ces infrastructures et les moderniser à moindre coût, favorisant les axes internationaux pour le commerce régional.

Yohan Poncet

Journaliste en devenir

Membre stagiaire de la rédaction de Hulala. Correspondant basé à Budapest. En formation à l'Institut supérieur des médias de Lyon.

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