Euro 2020 : Hongrie-France, le moment paroxystique de la ferveur magyare

La Puskás Aréna a vibré comme jamais encore le 19 juin pour la venue de la France lors de cet Euro 2020. Le match nul de la Hongrie contre les champions du monde a été célébré comme une victoire.

(Budapest, correspondance) – L’atmosphère est étouffante et électrique ce samedi en début d’après-midi du 19 juin. Trois hélicoptères tournoient entre le centre-ville et le stade où va débuter à 15h le match Hongrie-France en phase de Groupe F de ce mal-nommé « Euro 2020 », joué avec un an de retard. Deux mille supporters français rejoignent la Puskás Aréna à pied, s’offrant une belle parade dans les rues de la capitale hongroise. L’ambiance est bon enfant et joyeuse, on chante des « champions du monde, champions du monde », sous bonne escorte, le tout parfois agrémenté d’un brin de provoc’ face aux autochtones qui regardent passer le cortège.

Autre ambiance avec le groupe des ultras magyars qui passe devant la gare de l’Est (Keleti), facilement reconnaissables en t-shirts noirs portant l’inscription en blanc « Magyarorság ». Quelques centaines de cranés rasés en forment le noyau dur : l’auto-proclamée « brigade des Carpates » qui avait déjà fait le déplacement lors de l’Euro 2016 à Marseille. Ils laissent sur leur passage des énormes pétards qui assourdissent l’avenue qui mène au stade et l’enfument avec des fumigènes aux couleurs rouge-blanc-vert. « Vesszen Trianon ! » (A bas Trianon !), scandent-ils, parmi d’autres slogans.

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Un match entre la France et la Hongrie ne peut pas être anodin. Pas sur le plan sportif : même si la Hongrie mène au bilan total des confrontations (12 victoires hongroises, 8 pour la France et 2 matchs nuls), elle ne l’a jamais battu lors d’une phase finale de grande compétition ni au cours des 5 dernières rencontres. Mais parce que, comme nous le disait un supporter magyar mardi soir entre le Hongrie-Portugal (0-3) et le France-Allemagne (1-0), sur la place Szabadság tér noire de monde : « c’est vrai que contre la France c’est toujours spécial car nos relations sont historiquement mauvaises ». « Historiquement », cela veut dire à cause de Trianon, le traité qui a redéfini les frontières de la Hongrie en 1920. L’affaire est asymétrique car elle pèse aussi lourd dans la mémoire hongroise qu’elle est légère – en fait absente -, côté français. 

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L’arrivée à la Puskás Aréna est époustouflante par la taille de l’édifice. Le nouvel écrin du sport hongrois, concrétisation de la folie des grandeurs de Viktor Orbán qui dépense sans compter pour son sport fétiche, est somptueux. Dedans, plus de 60 000 fans prennent place peu à peu, dont un peu plus de 5 000 Français en bleu, rassemblés en bas derrière les buts du gardien Hugo Lloris et dans le virage. En face d’eux, derrière les buts adverses gardés par Péter Gulácsi, il y a les ultras magyars qui donnent le ton. Entre les deux groupes, des dizaines de milliers de Hongrois de tous âges venus soutenir leur équipe, et aussi un peu voir les champions du monde français. Hors terrain, les supporters de part et d’autre ne fraternisent pas franchement, mais tentent les échanges et multiplient les petits gestes amicaux : des jeunes français applaudissent un chant hongrois, et des retraités magyars saluent de même leur marseillaise. Les déguisements et les appareils photos aident à briser la glace.

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Dans les tribunes, les broncas, quand la France s’empare du ballon, sont assourdissantes, et à chaque récupération magyare, c’est tout le stade qui entre en ébullition et même en fusion totale lorsqu’elle porte le ballon dans le camp adverse. Quand Fiola marque contre le cours du jeu quelques secondes avant la pause, c’est le délire total. Il dure les 15 minutes de pause dans les toilettes et aux buvettes. Cette ambiance de feu continue jusqu’à la 66e minute et le but égalisateur d’Antoine Griezmann. La suite, sera du suspens et de l’angoisse. L’arène étouffe bien vite la Marseillaise lancée partie des tribunes. Quand Gulácsi tombe à genoux, la Hongrie tient son exploit et peut toujours espérer une qualification au terme de la 3e journée contre l’Allemagne. Aux abords du stade, les supporters français et magyars qui refluent du stade sont sonnés par la chaleur et les décibels qui ont empli l’Aréna pendant 1h30.

Texte et photos de Corentin Léotard.

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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