État de droit : Ce que la Commission reproche à la Pologne et à la Hongrie

La Commission européenne a publié mercredi 30 septembre son premier rapport qui détaille la situation de l’état de droit, pays par pays. La Pologne et la Hongrie sont particulièrement pointées du doigt en raison d’atteintes « systémiques ».

Sans doute dans le but de décrédibiliser le contenu d’un rapport qui s’annonçait cinglant pour la Hongrie comme pour la Pologne, Viktor Orbán a lancé une attaque tous azimuts contre la Commission européenne dans les jours qui ont précédé sa présentation. Le premier ministre hongrois a réclamé la démission de la Commissaire européenne en charge des Valeurs et de la Transparence Věra Jourová, au motif que celle-ci a qualifiée la Hongrie de « démocratie malade » lors d’un récent entretien avec l’hebdomadaire allemand Der Spiegel.

Le duo magyaro-polonais a menacé de poser son veto contre le plan de relance européen (pour soutenir les économies frappées par la crise du coronavirus) si les aides étaient conditionnées à des exigences en matière de respect de l’état de droit. S’estimant victimes d’attaques politiques, les deux alliés ont également annoncé la création d’un institut chargé de mettre à jour un supposé « deux-poids deux-mesures » au sein de l’Union européenne.

Cela n’a pas empêché la Commission européenne de présenter son rapport comme prévu le 30 septembre. Il met le doigt sur les critiques précises formulées par la Commission européenne à l’adresse des États membres dans quatre domaines : Indépendance de la Justice ; Lutte contre la corruption ; Liberté et pluralité de la presse ; Procédures de contrôles et de contrepoids.

Voici les principales critiques adressées à la Hongrie et à la Pologne. Attention : ce qui suit n’est pas une traduction officielle des documents rédigées par la Commission européenne. Les liens vers chaque rapport, rédigés en anglais, sont disponibles à la fin.  

Hongrie

Indépendance de la Justice

– Le Conseil national de la magistrature est confronté à des difficultés pour contrebalancer les pouvoirs du président de l’Office national de la magistrature en charge de la gestion des tribunaux.
– Les développements liés à la Cour suprême (Kúria) soulèvent également des préoccupations, notamment sa décision de déclarer illégale une demande de décision préjudicielle adressée à la Cour européenne de justice.
– De nouvelles règles permettent de nominer à la Cour suprême des membres de la Cour constitutionnelle qui sont élus par le Parlement, en dehors de la procédure normale, et abaissent les critères d’éligibilité du président de la Cour suprême.

Lutte contre la corruption

– Des mécanismes de contrôle indépendants déficients et des interconnexions étroites entre la politique et certaines entreprises nationales sont propices à la corruption.
– Un manque systématique de mesures déterminées pour enquêter et poursuivre les affaires de corruption impliquant des hauts fonctionnaires ou leur entourage immédiat lorsque des allégations graves sont formulées à leur encontre.
– La diminution des moyens de contrôle civique dans le contexte des restrictions de la liberté de la presse, d’un environnement hostile pour les organisations de la société civile et d’une baisse de la transparence et de l’accès aux données publique, affaiblissent la lutte contre la corruption.

Liberté et pluralité de la presse

– L’indépendance et l’efficacité du Conseil des médias sont menacées.
– La transparence de la propriété des médias n’est pas pleinement garantie.
– La concentration des médias via la création du conglomérat Central European Press and Media Foundation (KESMA) a accru la menace qui pèse sur le pluralisme des médias.
– L’abondante publicité de l’État sur les médias pro-gouvernementaux biaise le marché et permettent au gouvernement d’exercer une influence politique indirecte sur les médias. Les médias indépendants sont systématiquement confrontés à des obstacles administratifs et éditoriaux et à des intimidations, et sont sous la menace constante d’une prise de contrôle économique.

Procédures de contrôles et de contrepoids (« checks and balances »)

– La transparence et la qualité du processus législatif sont sources de préoccupation.
– L’affaiblissement des institutions indépendantes et la pression accrue exercée sur la société civile affectent davantage les freins et contrepoids. La Cour de justice a estimé que la législation sur la transparence des organisations de la société civile financées par des fonds étrangers était incompatible avec le droit de l’UE.

Consulter le rapport sur la Hongrie dans son intégralité ici (en anglais)

Pologne

Indépendance de la Justice

– « Les réformes, qui ont eu un impact sur le Tribunal constitutionnel, la Cour suprême, les tribunaux ordinaires, le Conseil national de la magistrature et le parquet, ont accru l’influence des pouvoirs exécutif et législatif sur le système judiciaire et ont donc affaibli l’indépendance de la justice. » Le rapport rappelle que ces réformes ont conduit la Commission à lancer la procédure au titre de l’article 7, paragraphe 1, du TUE en 2017, qui est toujours en cours d’examen par le Conseil.

Lutte contre la corruption

Des faiblesses structurelles ont été identifiées dans le cadre juridique et institutionnel mis en place pour prévenir la corruption et promouvoir la transparence.

– Il existe une faiblesse structurelle dans les systèmes de déclaration de patrimoine et les réglementations en matière de lobbying.

– Des doutes existent quant à l’indépendance des principales institutions chargées de prévenir et de lutter contre la corruption, en raison de la subordination du Bureau central de lutte contre la corruption à l’exécutif et du fait que le Ministre de la justice est en même temps le Procureur général.

Liberté et pluralité de la presse

– Le régulateur des médias, le Conseil national de la radiodiffusion, semblent être en place, mais certaines préoccupations concernant son indépendance a été soulevée.

– Le rôle du régulateur a également été réduit par la réforme de 2016, qui a confié les compétences de gestion des médias publics polonais à un Conseil national des médias (RMN). Le cadre juridique sur la transparence de la propriété des médias n’est pas également applicable à tous les acteurs des médias.

– La protection des journalistes et la criminalisation des insultes à agents publics est problématique.

Procédures de contrôles et de contrepoids (« checks and balances »)

– Des éléments du système de freins et contrepoids sont sous pression. Des réformes ont été adoptées au moyen de procédures législatives accélérées avec une consultation limitée des parties prenantes ou des possibilités pour l’opposition de jouer son rôle dans le processus législatif.

– La Pologne possède une société civile dynamique et de solides associations professionnelles de juges et de procureurs, qui participent au débat public. Néanmoins, les organisations ont fait l’objet d’attaques verbales de la part de politiciens. Malgré l’environnement difficile, le Médiateur a continué de jouer un rôle clé en tant que garant de l’état de droit.

Consulter le rapport sur la Pologne dans son intégralité ici (en anglais).

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