Entre la Pologne et le Bélarus, relations glaciales, frontière gelée

Les tensions entre la Pologne et le Bélarus ne cessent de croître depuis le début de la guerre en Ukraine, et se matérialisent au niveau de leur frontière commune. Entre les menaces interposées, le cas épineux des réfugiés et les passes d’armes autour du trafic routier, la frontière est à l’image des relations entre les deux voisins, figée.

Depuis le 20 février dernier, le passage de la Pologne au Bélarus s’apparente à un concours de patience. En quelques jours, la file indienne des camions bloqués à la frontière n’a fait que s’allonger, jusqu’à atteindre une longueur de 40 km. La cause de ce formidable bouchon ? Une panne sèche du dialogue entre Varsovie et Minsk. Les deux voisins appartiennent à des camps opposés concernant la guerre en Ukraine, et naturellement les relations diplomatiques en ont pâti. Dernier épisode en date, la condamnation du journaliste binational Andrzej Poczobut, fervent critique du gouvernement de Loukachenko. Alors à première vue, le rapport entre un journaliste et le trafic routier peut paraître flou. Or, la traversée frontalière est au cœur du bras de fer diplomatique que Varsovie et Minsk sont en train de se livrer depuis des mois.

Le journaliste Andrzej Poczobut condamné à huit ans de prison au Bélarus

Les passagers clandestins

Si les relations entre la Pologne et le Bélarus se sont nettement refroidies depuis le commencement de la guerre en Ukraine, elles n’étaient déjà pas très chaleureuses auparavant. À la suite des manifestations massives contre le pouvoir bélarussien en 2020, Varsovie a ouvert ses portes aux dissidents, ce qu’il avait déjà fait par le passé. La Pologne abrite et finance aussi Belsat, la seule station de télévision bélarussienne critique du régime. Un parti pris perçu comme une attaque du côté de Minsk, qui a toujours dénoncé ce qu’il considère comme l’ingérence de son voisin.

Dans l’espace frontalier polonais. Photo : Hélène Bienvenu

Depuis, les deux états ne s’échangent plus que des coups bas. Avant le cas des poids lourds, c’était surtout la traversée de la frontière par les êtres humains qui avait envenimé le dialogue. À l’automne 2021, le président bélarussien Loukachenko a entamé un jeu aussi cynique que sinistre dont les pions sont les migrants. En effet, le Bélarus est devenu un point de transit pour de nombreux individus en provenance d’Irak et de Syrie notamment, attirés par la promesse de pouvoir passer en Union Européenne. Menant une « guerre hybride » contre la Pologne, Minsk a ainsi déclenché des vagues de déplacement en direction de la frontière polonaise. En novembre 2021, la crise migratoire a atteint son paroxysme, avec quelque 4 000 migrants massés à la frontière.

À la frontière polono-bélarusse, la traque des migrants se poursuit

En réaction, Varsovie a choisi la méthode dure en militarisant sa frontière et en cloisonnant son territoire derrière un imposant mur de 186 km de long. De ce fait, le passage est devenu un enfer pour les migrants, victimes des renvois de balle incessants des voisins, propulsés dans la forêt par les Bélarussiens puis réexpédiés dans celle-ci par les Polonais. La Pologne accuse Minsk d’être responsable de cette tragédie humanitaire, en incitant les déplacés à tenter la traversée, fournissant même des conseils et des outils pour franchir les grillages barbelés. Or, de son côté, Varsovie bafoue le droit international en renvoyant les réfugiés. Depuis le début de la crise, on estime qu’une quarantaine de personnes auraient perdu la vie en tentant de passer.

Des relations à l’arrêt

Sur fond de conflit migratoire, les différends frontaliers entre la Pologne et le Bélarus n’ont fait que s’intensifier depuis le début de la guerre en Ukraine. D’un côté, Loukachenko soutient bec et ongles l’agression russe, tandis que l’autre Duda s’affirme comme le principal soutien de Kyïv. Une fois encore, les tensions réciproques se cristallisent au niveau de la frontière, et plus particulièrement autour du passage des poids lourds.

Andrzej Duda galvanisé par la venue à Varsovie de Joe Biden proclamé « leader du monde libre »

Depuis la condamnation du journaliste polono-bélarussien Andrzej Poczobut « pour encouragement à des actes portant atteinte à la sécurité nationale » et « incitation à la haine raciale », les représailles se succèdent d’un côté puis de l’autre. Tout d’abord, la Pologne a décidé de fermer le poste frontière de Bobrowniki en invoquant la « défense de la sécurité nationale ». En ne laissant ouvert qu’un unique point de passage à Koroszczyn avec des contrôles renforcés, elle a provoqué un bouchon historique allant jusqu’à 60 heures d’attente pour les routiers. Varsovie s’est donc attirée une fois de plus les foudres de Loukachenko qui dénonce une « provocation économique ». Afin de rendre les coups, Minsk a décrété l’obligation pour les camionneurs polonais stationnés sur son territoire de n’en ressortir que par la frontière de leur pays, interdisant le passage par la Lituanie ou la Lettonie.

La nouvelle réplique de Varsovie ne s’est pas fait attendre : immédiatement, le gouvernement polonais a annoncé une mesure similaire en prohibant la traversée de sa frontière pour les transporteurs bélarussiens, forcés à passer par les Pays baltes. Si le message n’était pas déjà assez clair, à l’interdiction de passage des gros porteurs s’ajoute l’expulsion de plusieurs diplomates bélarussiens du territoire polonais. Un jeu de vendetta qui risque de ne pas s’arrêter de sitôt. Le controversé politologue russe Dmitry Ievstafiev a qualifié la Pologne de « hooligan géopolitique » et urgé le Bélarus de renforcer ses forces militaires à sa frontière ouest.

De son côté, Varsovie se félicite de faire barrage à la dictature bélarussienne. La Pologne serait prête à renforcer sa muraille de barbelés, quitte à mettre en danger l’intégrité du sanctuaire de Białowieża, la dernière forêt vierge d’Europe. Alors après les hommes et les véhicules, les animaux pourraient être les prochaines victimes des tensions frontalières entre les deux voisins.

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