La Hongrie et l’Azerbaïdjan entretiennent depuis quelques années d’excellentes relations diplomatiques. Un choix de politique étrangère aux antipodes des grands appels de Budapest à soutenir les « chrétiens d’Orient », mais en phase avec une diplomatie économique et énergétique classique, menée notamment par Bruxelles.
La sanglante reprise des combats dans le Haut-Karabakh, qui a fait plus de 300 morts en quelques jours, n’a visiblement pas découragé la Commission européenne, désespérément à la recherche de nouvelle source énergétique, d’acter son rapprochement avec l’Azerbaïdjan, qui se trouve posséder (un peu) de gaz. En visite à Bakou en juillet, la présidente de la Commission, Ursula Van der Layen, a rangé le régime autoritaire d’Ilham Aliyev parmi les « partenaires plus stables et plus fiables » vers lequel l’UE peut se tourner pour réduire sa dépendance au gaz russe.
Bruxelles s’engage donc dans une voie déjà ouverte, entre autres, par Budapest. Lorsque la guerre faisait rage dans le Haut-Karabakh entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie à l’automne 2020, la Hongrie se rangeait publiquement derrière Bakou. Le ministre des Affaires étrangères hongrois, Péter Szijjártó, après avoir rappelé que le Haut-Karabakh faisait bien partie de l’Azerbaïdjan, déclarait alors que Budapest soutenait « l’intégrité territoriale et la souveraineté des États » – un vœu pieux que le voisin ukrainien doit sûrement apprécier.
De bonnes affaires
En mars 2021, quelques mois après la fin des combats, M. Szijjártó se rendait à Bakou en visite officielle avec sept chefs d’entreprise, avec l’espoir de décrocher de juteux contrats dans le BTP, l’agriculture ou le ferroviaire. La visite fut l’occasion pour Budapest de confirmer une ligne de crédit de 100 millions de dollars (83 millions d’euros) assurée par Eximbank, une banque contrôlée par l’État hongrois. M. Szijjártó a en fait été très explicite puisqu’il a déclaré que la Hongrie soutenait la prise de participation des entreprises magyares à la « reconstruction du Haut-Karabakh ».
Les entreprises hongroises réalisent déjà de belles affaires en Azerbaïdjan. La compagnie aérienne Wizz Air, ou encore les boissons énergétiques Hell, qui possèdent 25% de parts de marché, sont déjà présentes. Surtout, le pétrolier hongrois MOL y a réalisé le plus gros investissement d’une entreprise hongroise à l’étranger (1,57 milliard de dollars), en obtenant des parts dans l’exploitation pétrolière Azeri-Chirag-Gunashli, ainsi que dans l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan.
La Hongrie au soutien des chrétiens d’Orient
Des Européens qui commercent avec des régimes autoritaires, ce n’est pas certes pas la surprise du siècle. En revanche, l’alignement sans équivoque de Budapest avec Bakou pourrait surprendre. Depuis 2010, Viktor Orbán et son équipe ne sont pas avares en appels à la défense de la chrétienté et des chrétiens d’Orient. Chaque année, lors des meetings de Tusványos (à Băile Tușnad en Roumanie), le Premier ministre hongrois développe sa vision d’une Europe chrétienne.
En décembre 2020, Viktor Orbán remettait lui-même les clefs de l’ancienne villa de János Kádár (l’ancien dictateur communiste de 1956 à 1988) à Ignace Éphrem II Karim, Primat et patriarche de l’Église syriaque orthodoxe. Lors de cette cérémonie privée, le patriarche a notamment remercié la Hongrie pour son soutien aux chrétiens persécutés.
Tristan Azbej, directeur du programme Hungary Helps, soulignait alors la nécessité de soutenir les églises orthodoxes non seulement de Syrie, mais aussi d’Irak, de Jordanie et du Liban. Mais de l’Arménie – qui se classe tout de même haut en termes de « chrétiens d’Orient persécutés » – on n’en entendra pas parler. Ce n’est pas une surprise : depuis 2012, les relations entre Budapest et Erevan sont au point mort à la suite de l’affaire dite Safarov.
En 2004, l’officier azéri Ramil Safarov se rend à Budapest pour participer à des formations dispensées par l’OTAN. Il y rencontre un officier arménien, Gurgen Markarian, qui participe au même rassemblement à Budapest. Pendant la nuit, Safarov s’introduit dans la chambre de Markarian, et l’abat à coups de hache pendant son sommeil. Il est immédiatement emprisonné, et condamné en 2006 à perpétuité par la justice hongroise pour meurtre avec préméditation.
En 2012, deux ans après le retour du Fidesz au pouvoir, Budapest accepte la demande d’extradition émanant de Bakou, qui a maintes fois promis de mettre en œuvre la peine décidée par le tribunal hongrois. Une promesse bien vite oubliée. À son retour, Safarov n’est pas emprisonné mais accueilli en héros national, amnistié, dédommagé pour ses huit années passées en prison avant d’être promu au sein du ministère de la Défense, où il travaille aujourd’hui.
Erevan réagit immédiatement en suspendant totalement les relations diplomatiques avec la Hongrie. Le consulat hongrois de Tbilissi en Géorgie est responsable des ressortissants hongrois en Arménie. Inversement, c’est le consulat arménien de Vienne qui s’occupe des Arméniens présents en Hongrie.
La Hongrie rejoint les peuples turciques
À cela s’ajoute l’amitié bien connue entre Viktor Orbán et son homologue turc, Recep Tayyip Erdoğan, ainsi que les pays turciques. Depuis 2018, la Hongrie est membre observateur du Conseil turcique, une organisation internationale qui promeut une coopération à la fois économique et culturelle entre ses membres. L’adhésion à cette organisation renvoie d’ailleurs aux idées régulièrement mises en avant par Viktor Orbán, selon lesquels les Magyars sont historiquement liés aux tribus turques.
Évidemment, en politique étrangère, il n’est jamais vraiment question de culture. Dans le cas hongrois, comme dans le cas de la Commission, c’est l’odeur du gaz qui met tout le monde d’accord. Et peu importe que les quantités en jeu soient presque insignifiantes, dans le contexte actuel, tout est bon à prendre : le gaz azéri représente pour l’instant 2% de la consommation de l’UE (Royaume-Uni inclus) et transit par le gazoduc transadriatique (TAP), fraîchement inauguré, auquel Budapest aimerait se raccorder sous peu. En Hongrie, on s’imagine déjà en train d’étendre ce gazoduc jusqu’au Turkménistan, un pays aux réserves gazières et aux pratiques autoritaires à faire pâlir l’Azerbaïdjan.
Photo d’illustration : le Premier ministre hongrois Viktor Orbán et le Président azéri Ilham Aliyev. (Source : Wiki Commons)