Kiev a expulsé hier un diplomate hongrois pour avoir naturalisé illégalement des ressortissants ukrainiens dans son consulat de Berehove. En conflit latent avec l’Ukraine au sujet de la minorité hongroise de Transcarpatie, Budapest a répliqué en renvoyant un consul ukrainien. Accusée de faire le jeu de la Russie en livrant une guérilla diplomatique contre l’Ukraine, l’attitude de la Hongrie commence à lasser l’OTAN et les États-Unis.
Le torchon n’en finit plus de brûler entre Kiev et Budapest au sujet de la minorité hongroise d’Ukraine. Le gouvernement ukrainien a déclaré hier persona non grata le consul hongrois de Berehove. Celui-ci s’est rendu coupable d’avoir organisé clandestinement des cérémonies de remise de passeports hongrois à des ressortissants ukrainiens alors que la double-nationalité est proscrite en Ukraine.
Le ministre hongrois des affaires étrangères Péter Szijjártó a répliqué en tout début d’après-midi en expulsant un diplomate ukrainien de Hongrie. « L’ambassadeur ukrainien a été convoqué et il lui a été signifié qu’un de ses consuls devra quitter le territoire sous 72 heures, c’est cela la riposte graduée », a-t-il annoncé au cours d’une conférence de presse.
Guérilla diplomatique
« Nous considérons les citoyens ukrainiens d’origine hongroise comme un facteur de rapprochement entre nos deux pays, et nous aimerions que cette vision soit aussi celle de nos partenaires hongrois », avait pourtant déclaré plus tôt son homologue ukrainien Pavlo Klimkine dans un communiqué de presse. Kiev déplore la guérilla diplomatique que lui livre Budapest suite à l’adoption il y a un an d’une loi sur l’éducation limitant l’enseignement des langues minoritaires dans les écoles ukrainiennes, dont le hongrois.
« Dans tous les forums existants, dans toutes les organisations internationales – sous-entendu l’Union européenne et l’OTAN –, la Hongrie bloquera toute initiative favorable à l’Ukraine », avait menacé Péter Szijjártó le 26 septembre 2017 au lendemain de la ratification de la loi par le président ukrainien Petro Porochenko. Budapest a empêché depuis un an tout format de réunion de l’Alliance atlantique ou de l’Union européenne incluant l’Ukraine.
« Je ne vois pas d’adhésion [de l’Ukraine] à l’OTAN et les chances qu’elle rejoigne l’Union européenne sont nulles (…). L’objectif russe de restaurer la situation antérieure [à la révolution orange] ne semble pas irréaliste », avait précisé en juillet dernier le premier ministre hongrois Viktor Orbán lors de son traditionnel discours annuel de Băile Tușnad. Ce qui lui avait valu les foudres de Kiev qui avait aussitôt convoqué l’ambassadeur de Hongrie.
Une épine dans le pied de l’OTAN
Du côté de l’OTAN, la querelle entre les deux pays voisins commence à lasser. Au cours d’une conférence tenue mercredi à Budapest, l’ambassadeur des États-Unis en Hongrie David Cornstein a ainsi déploré que les intérêts de l’Alliance atlantique dans la région soient sacrifiés sur l’autel de ce litige bilatéral. « Je comprends la position hongroise (…) mais je ne vois pas en revanche ce que l’OTAN a à voir là-dedans », a-t-il ainsi argumenté.
De son côté, le gouvernement ukrainien soupçonne la Hongrie de servir les intérêts de la Russie, avec qui les relations sont détériorées depuis l’annexion de la Crimée en 2014. Depuis le début du conflit, Budapest semble en effet jouer le pourrissement de la situation, alors que les mesures linguistiques prises par Kiev ne ciblent que très marginalement les Hongrois d’Ukraine. Accusé par Budapest d’utiliser la minorité magyarophone à des fins électoralistes, le gouvernement ukrainien n’a pourtant pas vraiment intérêt à faire durer un problème qui ne concerne que 0.2% de sa population et qui bloque son rapprochement avec l’Ouest.
En Ukraine subcarpatique, le séparatisme hongrois n’est pas à l’ordre du jour
Pour Vasyl Bodnar, vice-ministre ukrainien aux affaires étrangères, « il est trop tôt pour dire si la Hongrie se range du côté de la Russie. Mais il y a des signes inquiétants », d’après des propos rapportés il y a quelques jours par le Kyiv Post. « Regardez les sanctions au sujet du Russe. Alors que tous les membres de l’UE se sont unis pour défendre l’Ukraine, la Hongrie approfondit sa coopération avec la Russie dans le domaine nucléaire. (…) La Russie pourrait utiliser d’importants projets énergétiques tels que la centrale nucléaire de Paks pour étendre son influence en Europe », a-t-il conclu.
Le contexte géopolitique régional est en tout cas tendu, Moscou et Washington s’opposant sur la question de l’avenir de l’Ukraine et de son intégration éventuelle aux institutions euro-atlantiques. Dans ce contexte, la Hongrie évolue sur le fil du rasoir : membre depuis 1999 de l’OTAN qui a des velléités expansionnistes en Ukraine, la Hongrie dénonce toutefois les sanctions européennes qui frappent la Russie depuis son annexion de la Crimée et prône un rapprochement avec celle-ci.
Reportage chez les Hongrois d’Ukraine, dans « la Patrie des absurdités »