En Tchéquie, une victoire « sans triomphe » pour Andrej Babiš

En République tchèque, les élections européennes ont été marquées par une participation en hausse et une victoire plus modeste que prévue (21 %) pour le parti au gouvernement ANO d’Andrej Babiš. Celui-ci s’est révélé incapable de polariser la société autour d’enjeux culturels et historiques, comme le font Orbán ou Kaczyński, explique l’hebdomadaire libéral Respekt. Petit tour des réactions des principaux médias tchèques.

Au-delà de la victoire annoncée du parti ANO du premier ministre Andrej Babiš, c’est la débâcle des sociaux-démocrates (ČSSD) qui a retenu l’attention des médias. « ANO 1er, ČSSD dehors », titre laconiquement le plus grand quotidien d’information du pays Mladá Fronta Dnes. Le journal libéral Lidové noviny se montre tout aussi direct : « ANO a gagné devant ODS et les Pirates. Le ČSSD a sombré ». Quant au plus grand des journaux, le tabloïd Blesk, il écrit carrément : « le ČSSD zombie ».

Si la victoire d’ANO est incontestable, loin devant la droite (ODS) et les Pirates (centre-gauche), qui sont au coude-à-coude autour de 14 %, les médias ne manquent pas de souligner qu’Andrej Babiš ne peut être que déçu du résultat, loin des près de 30 % récoltés lors des élections législatives de 2017. Surtout que la participation record, bondissant de 18 % à presque 29 %, était censée le favoriser, lui qui se prévaut du soutien des « masses silencieuses ». Les autres partis qui enverront les leurs sur la scène européenne sont la coalition libérale autour du parti TOP 09 (11,7 %), l’extrême-droite (SPD, 9 %), les chrétiens-démocrates (7 %) et les communistes (7 %).

Babiš, déçu et averti

Ainsi, les Lidové noviny titre son analyse avec les propos du politologue Daniel Kunštát déclarant qu’« ANO a subi la victoire, Babiš doit être déçu ». Celui-ci relève que les européennes attirent en général un public plus intéressé par l’UE et critique du parti au pouvoir, mais que la forte participation semble indiquer une véritable baisse de soutien pour Babiš. Parlant de la réaction du premier ministre à l’annonce des résultats, le politologue ajoute qu’« il était même visible qu’il n’était pas de très bonne humeur. »

Le taux de participation élevé n’a pas été accompagné par une mobilisation des électeurs d’ANO malgré une campagne tapageuse aux moyens importants.

Même son de cloche du côté du quotidien économique Hospodářské noviny, où le principal analyste politique Petr Honzejk écrit qu’« ANO a gagné sans triomphe ». Celui-ci a aussi remarqué que Babiš « ne rayonnait pas d’enthousiasme » lors de sa soirée électorale. Soulignant lui aussi que le taux de participation élevé n’a pas été accompagné par une mobilisation des électeurs d’ANO malgré une campagne tapageuse aux moyens importants, il voit même les résultats comme « un avertissement pour Babiš ».

Des bisbilles en vue au sein du gouvernement

De plus, à l’instar de ses collègues, Petr Honzejk note bien que les résultats « catastrophiques » des alliés de Babiš sont porteurs de mauvaises nouvelles pour la stabilité du gouvernement. En effet, les partenaires de coalition sociaux-démocrates (ČSSD) quittent Strasbourg, les quelques 4 % ne suffisant pas à défendre le moindre de ses quatre sièges, tandis que la présence des communistes (KSČM) fond de trois à une députée. Selon Mladá Fronta Dnes la « débâcle » des sociaux-démocrates mènera à d’intenses discussions internes remettant en cause la participation au gouvernement.

Le politologue Daniel Kunštát interrogé par les Lidové noviny se fait plus prudent, prévoyant plutôt que les sociaux-démocrates patientent jusqu’aux élections régionales et sénatoriales de 2020 avant de sérieusement remettre en question leur soutien à Babiš. Selon lui, il ne faut pas encore enterrer le ČSSD, qui pourrait faire un retour s’il parvient à faire émerger des meneurs un peu plus inspirants.

Tchéquie forte ? Bof…

Le rédacteur en chef de l’hebdomadaire libéral Respekt, Erik Tabery, lui, explique ce lundi matin pourquoi Babiš a échoué là où les populistes hongrois et polonais ont réussi. Selon lui, contrairement à Orbán ou Kaczyński, Babiš est incapable de polariser la société autour d’enjeux culturels et historiques, le Tchèque moyen n’ayant que peu de goût pour le patriotisme et la gloire nationale. Ainsi, les slogans choisis par ANO comme ‘Tchéquie forte’ imprimés sur des casquettes rouges à la Donald Trump ne marchent pas avec l’électeur moyen d’ANO qui lui aurait plutôt répondu avec le message suivant : « Arrête tes balivernes et envoie-nous plutôt de l’argent ! »

Adrien Beauduin

Correspondant basé à Prague

Journaliste indépendant et doctorant en politique tchèque et polonaise à l'Université d'Europe centrale (Budapest/Vienne) et au Centre français de recherche en sciences sociales (Prague). Par le passé, il a étudié les sciences politiques et les affaires européennes à la School of Slavonic and East European Studies (Londres), à l'Université Charles (Prague) et au Collège d'Europe (Varsovie).

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