La télévision publique Česká televize ne se prive pas d’égratigner le pouvoir. En retour, elle subit les assauts du gouvernement et des partis d’extrême-droite et d’extrême-gauche. Elle a remporté une bataille jeudi à la Chambre des députés, mais la société civile craint pour l’indépendance des médias publics.
« Pourquoi est-ce qu’on devrait payer pour quelque chose qui nous nuit ? », a interrogé depuis la tribune de la Chambre des députés, Miloslav Rozner, du parti d’extrême-droite SPD (Liberté et démocratie directe). Son collègue communiste Jiří Valenta a pour sa part attaqué les salaires des animateurs de la télévision publique, même si la députée de droite (ODS), Miroslava Němcová, lui a rappelé que ceux-ci sont près de deux fois inférieurs que chez la concurrence privée. Finalement, le chef du nouveau parti d’extrême-droite Tricolore et fils de l’ancien président, Václav Klaus junior, a tonné qu’il fallait supprimer la contribution obligatoire de chaque citoyen à la télévision publique.
Pour les défenseurs de l’indépendance de la télévision publique, la Česká televize (ČT), le risque était de voir la Chambre rejeter les rapports d’activité de la chaîne à deux reprises. Cela aurait entraîné la chute du Conseil de la télévision, dont les nouveaux membres auraient pu être choisis par le gouvernement pour s’assurer un plus grand contrôle sur la télévision nationale. Jeudi, quelques centaines de manifestants étaient devant la Chambre à l’appel de l’initiative « Je suis avec ČT » pour enjoindre aux députés d’approuver les rapports. Malgré les craintes de voir le parti gouvernemental ANO du premier ministre Andrej Babiš mettre au pas la télévision publique, qui ne se gêne pas pour rapporter tous les scandales liés au gouvernement actuel, celui-ci a préféré éviter la confrontation et c’est par une confortable majorité que les rapports annuels 2016 et 2017 ont été approuvés.

Drôles de candidats
S’il n’est pas inhabituel de voir les extrémistes de droite et de gauche attaquer le télédiffuseur public, les journalistes du service public se sont fait des ennemis plus inquiétants en ne ménageant pas le premier ministre Babiš et le président Miloš Zeman. En 2017, alors qu’éclatait un premier scandale autour de la vente de titres de dette de son groupe agro-alimentaire Agrofert, M. Babiš traitait les journalistes de « racaille corrompue » et visait tout particulièrement le programme ‘Reporters’ de la télévision publique, qu’il qualifiait de « programme manipulé ». Il avait averti à l’époque que « les programmes de ČT ne devraient pas participer au combat politique » et avait averti qu’il remettrait en question le financement de la chaîne.
Andrej Babiš n’est certes pas passé à l’acte, mais il a longtemps suspendu la question de l’adoption des rapports de la chaîne au-dessus des journalistes telle une épée de Damoclès. De plus, l’attitude de son parti (ANO) autour des nominations aux conseils des médias publics provoque des inquiétudes. En effet, M. Babiš profite du fait que les votes lors des nominations sont secrets et semble s’être entendu avec l’extrême-droite (SPD) en nommant un de ses candidats au Conseil de l’audio-visuel, chapeautant tous les médias publics. En retour, l’extrême-droite avait soutenu un candidat d’ANO et, surprise, le Conseil avait alors commencé à attaquer la télévision publique, l’accusant de ne pas avoir accordé un droit de réponse dans les reportages sur l’empire agro-alimentaire Agrofert.
En juin, un autre candidat du SPD, le conspirationniste aux tendances antisémites Michal Semín, est passé tout près d’être nommé au Conseil de l’agence de presse publique, sans doute grâce aux appuis d’ANO. Les protestations des partenaires de coalition sociaux-démocrates et de la communauté juive avaient finalement ramené à la raison les députés d’Andrej Babiš, mais cela est de mauvais augure alors qu’un tiers des postes au Conseil de la télévision publique devra être renouvelé au printemps prochain et huit au Conseil de l’audiovisuel en 2021. Si le premier ministre peut compter sur les voix des extrêmes droite et gauche, il pourrait bien contourner ses alliés sociaux-démocrates pour imposer ses candidats. Déjà l’animateur à la radio publique Luboš Xaver Veselý, critiqué pour une entrevue très conciliante avec le premier ministre, a annoncé sa candidature, aussitôt soutenue par Tricolore (extrême-droite).
Journalistes inquiets
Du côté des journalistes des médias publics, on ne se fait pas d’illusions. Ainsi, Marek Wollner, en charge du service des reportages, annonce des temps sombres : « Le cirque ne fait que commencer. L’année prochaine, six membres du Conseil partent, donc en plus de Xaver, il faudra cinq combattants similaires qui n’auront pas peur de montrer qu’ils se battront courageusement contre l’oppression des plus puissants. Cela va être une belle bousculade », a-t-il conclu avec ironie. Le directeur de la télévision publique, Petr Dvořák, lui, n’a pas hésité à révéler sur les ondes de la chaîne que les députés lui ont confié qu’ils attaquaient l’administration financière de la chaîne parce que la couverture médiatique ne leur plaisait pas et il a déclaré qu’il défendrait la chaîne contre les politiciens.
Pour la journaliste vedette de l’émission hebdomadaire « 168 heures » depuis 13 ans, Nora Fridrichová, les attaques sont différentes, car les critiques des politiciens envers la télévision « sont devenues concrètes, en général il y a le nom de mon émission, mon nom à moi ». Si elle souligne qu’elle n’a jamais reçu de pression de la direction, elle raconte à l’hebdomadaire Respekt : « l’atmosphère est différente, je le sens aux réactions des téléspectateurs. Ils sont vigilants. Si on ne diffuse pas l’émission un dimanche à cause d’un congé, ils nous écrivent avec inquiétude, nous demandant si cela veut dire que quelqu’un nous a supprimé ». Elle aussi attend les prochaines nominations avec appréhension, notant que les députés qui soutiennent la télévision négligent les nominations et facilitent la tâche à ceux qui veulent politiser la télé publique.