Monika Tódová, une des journalistes d’investigation les plus en vue en Slovaquie, fait l’objet d’une inquiétante surveillance…
Une forte impression de déjà vu. Monika Tódová, journaliste d’investigation pour le journal indépendant Denník N, est à nouveau surveillée. Deux gros SUV, l’un immatriculé à Bardejov, l’autre à Bratislava, se sont relayés durant plusieurs jours pour stationner devant le chalet des Hautes-Tatras où la journaliste et sa famille passaient leurs vacances. A l’intérieur, un homme prenait des photos. Qui était-il et surtout pour qui travaillait-il ? Ces questions restent pour l’heure sans réponse.
« Le propriétaire du chalet aussi a appelé la police, celui de Bardejov a reçu une amende pour violation du couvre-feu. Je ne sais pas de qui il s’agissait, la police ne m’a pas dit leurs noms », témoigne Monika Tódová, dans le journal pour lequel elle travaille, Denník N. Selon elle, il est clair qu’elle faisait l’objet d’une surveillance. « Je ne sais pas ce qu’ils voulaient découvrir. Peut-être que je suis journaliste et que je rencontre des gens ? », ironise-t-elle.

L’affaire a de quoi inquiéter la communauté des journalistes slovaques, en première ligne contre les groupes criminels qui ont prospéré au cours de la décennie 2010. Plusieurs d’entre eux, dont Monika Tódová en 2017, ont été surveillés par des hommes de Marian Kočner, l’homme accusé – puis acquitté en première instance – d’avoir ordonné le meurtre du jeune journaliste Ján Kuciak.
« Nous savons comment s’est terminé la surveillance des journalistes sous Robert Fico. Même quand celui-ci voulait «seulement» savoir qui rencontraient les journalistes. Même quand Kočner essayait «seulement» de chercher de la saleté sur les journalistes […] », a réagi Matúš Kostolný, le rédacteur-en-chef de Denník N, en référence à l’assassinat de Kuciak.
Le ministre de l’Intérieur, Roman Mikulec (OĽaNO), s’est dit très préoccupé et a assuré qu’il n’hésitera pas à prendre des sanctions. « Toute tentative d’intimidation ou de persécution visant à faire taire les journalistes est inacceptable dans notre société », a-t-il déclaré.
Une journaliste d’enquête chevronnée

Monika Tódová n’est pas n’importe quelle journaliste. Par ses enquêtes et ses révélations, depuis des années, sur les affaires de corruption les plus sensibles du pays, comme l’affaire des Gorilles, l’influence du groupe Penta, ou l’enlèvement d’un citoyen vietnamien, elle se trouve en première ligne face au crime organisé. Ces trois dernières années, elle a consacré ses enquêtes au meurtre de Ján Kuciak et aux affaires de Marian Kočner.
Mercredi, l’ancien premier ministre Robert Fico, soupçonné d’avoir de multiples liens avec le crime organisé, a publié sur facebook un commentaire par lequel il tente de diffamer Monika Tódová. « Deux grandes amies sont allées ensemble pour un test PCR lundi 21 décembre 2020. Rien d’anormal si elles n’étaient amies à la vie à la mort : la journaliste Monika Tódová de Denník N et la juge du tribunal pénal spécialisé Pamela Záleská ».
Cette dernière a placé en garde à vue plusieurs hauts-fonctionnaires ayant servi sous Robert Fico, comme le procureur spécial Dušan Kováčik et l’ancien président de la police Milan Lučanský, qui s’est suicidé dans sa cellule à la fin de l’année 2020.
Robert Fico, qui a versé dans une rhétorique conspirationniste inspirée de celle du Hongrois Viktor Orbán, estime que la politique anti-corruption impulsée par le gouvernement d’Igor Matovič relève d’une chasse aux sorcières qui atteint à la présomption d’innocence des accusés et à l’état de droit. « Ce qui s’est passé en 2020 en Slovaquie dans le domaine criminel n’a pas de place dans la démocratie. Nous avons un groupe de prisonniers politiques en garde à vue », affirme-t-il. Comment a-t-il eu accès au dossier médical de la journaliste ? Là encore, la question reste sans réponse.